Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

samedi 15 novembre 2014

Finocchio !

Voici quelques semaines je lançais une vaste enquête pour connaître l'origine de l'insulte italienne finocchio dont le sens français est "fenouil", lorsque j'évoquais Pinocchio (voir http://vehemes.blogspot.fr/2014/10/pinocchio-finocchio.html).
L'ami Silvano a également, de son côté, questionné assidûment son lectorat, m'a-t-il dit, et notamment Xersex dont l'italianité n'est plus à avouer.
Cyril, dont la sagacité est tout autant remarquable, m'a fort bien  indiqué de consulter le jardin de Jean (http://www.giovannidallorto.com/cultura/checcabolario/finocchio.html) qui s'est interrogé également sur la question.
J'emprunte ainsi à l'occasion à notre ami italien Giovanni Dall'Orto la photo d'une belle affiche détournée en incitation au coming out. Je préfère le voir ainsi qu'en acte homophobe : "Je soussigné déclare être un gay" à gauche, "Je soussigné déclare être un pédé" à droite. Oui, pédé me semble rendre plus justement le sens de ce terme que "fenouil". Personnellement, je trouve ça plutôt drôle !



Mais ça ne nous dit pas d'où vient le terme. Giovanni Dall'Orto précise que son usage est récent : 1863, au sens de frocio, "pédé", et l'étymologie paraît assez obscure, aucune hypothèse n'apportant d'explication vraiment convaincante.
La première mention serait qu'un finocchio est quelqu'un d'un peu stupide, se trompant sur le bon goût de préférer les hommes aux femmes, tant la norme sociale paraît une évidence. Un finocchio serait donc d'abord un imbécile.
Le terme se serait répandu après l'unité italienne sur l'ensemble du pays, mais aurait bien une origine toscane, les termes de frocio et de recchione lui faisant concurrence. Anciennement, on retrouve  buggerone, forme, sans doute, de notre "bougre" médiéval, c'est à dire originaire de Bulgarie, au sens où les mœurs dépravées ne peuvent venir que de l'étranger, c'est bien connu, et bardassa "berdache", au sens de transgenre, avec une origine qui serait persane. J'y reviendrai un jour en évoquant cet aspect dans les sociétés exotiques.

L'étymologie rappelée par Giovanni Dall'Orto serait multiple : si on tire un trait rapidement sur une pseudo étymologie latine fenor culi "prostitution sodomite", il reste à considérer l'anecdote selon laquelle on mettait dans le feu des fenouils pour recouvrir l'odeur de chair brûlée des sodomites que l'on avait condamnés au bûcher. Si comme le dit notre ami Giovanni, l'usage du terme n'est pas connu avant 1863, cette hypothèse paraît bien improbable. Elle a l'avantage d'être très imagée et d'abonder au folklore gay, dont le milieu lui-même est plutôt friand.



Ce serait l'anglais fagfaggot qui viendrait donner un peu de poids à cette idée. Là encore, il paraît bien improbable que le terme fag qui signifie "corvée", "fatigue", "mégot" par extension ait pu trouver son origine dans les bûchers destinés aux homosexuels condamnés à mort. Il faut y voir davantage l'idée de mépris rattachée à ce sens, comme quelque chose de peu intéressant, et de condamnable. Entre fag et faggot, il y a sans doute un jeu de mot, car si faggot signifie bien "fagot" pour un feu ou un bûcher, il n'y a là pas plus de logique de continuité qu'entre "pédé", abréviation de "pédéraste", issu de paidi/παιδί "enfant", "jeune homme" et erastes/εραστής "amant", et celle de "pédale", qui est un terme dérivé de pes, "pied". Là, seule l'euphonie et le goût de la langue de diversifier les termes pour un sens unique intervient, en français comme pour l'anglo-américain.

Alors, que conclure, sous peine d'être trop long et de lasser mes lecteurs ?

Eh bien sans doute que derrière finocchio, on a vraisemblablement aussi un jeu de mot multiple où l'on trouve, derrière l'innocent légume à l'odeur si plaisante, le sens fino occhio, l' "oeil fin", fino culo, le "cul fin" - ai-je besoin de préciser le sens ? - tout cela résumé dans un légume de peu de valeur. Sans doute n'en fallait-il pas davantage pour donner à ce terme de finocchio une notoriété qui aura dépassé les frontières de la Toscane. Quant au sens actuel, revendiquer le terme, n'est-ce pas lui permettre de lui attribuer aujourd'hui d'autres valeurs et d'en faire également un prétexte de fierté ? Sono finocchio ! En dégustant une tranche de salame finocchiona, arrosée d'un excellent chianti, et en terminant par un caffè ristretto ! Buon appetito!

4 commentaires:

Silvano a dit…

Je préfère de loin la dernière proposition (l’œil et le cul). Je suis partant pour la dégustation de salame.

Celeos a dit…

Rendez-vous sera pris. Nous ferons en sorte qu'il soit du meilleur !

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je viens de retrouver enfin trace d’une lecture récente, dans laquelle il était question du terme finocchi pour désigner les homosexuels en Italie.
Il s’agit de « La course à l’abîme » de Dominique Fernandez, sur la vie du peintre Le Caravage. Je vous en transcris le passage, tiré du chapitre nommé » Alerte ».
J’avais déjà vu brûler, sur ce même Campo dei Fiori, Cipriano Boscolino, pour sodomie. Entre les bottes de paille enflammées, le bourreau avait glissé des plantes de fenouil. Ce geste de parfumer les derniers moments de la victime, je constatais aujourd’hui qu’il s’en dispensait. Pourquoi la mort des bougres devrait-elle être la seule à être embaumée ? Parce que leur forfait est si monstrueux, que la puanteur en offusquerait la ville. Le ciel lui-même en serait empesté. « Ainsi, murmurais-je à l’oreille de Mario, on nous appelle finocchi ; une odeur de bon légume sain corrige ce qu’il y a de dégoûtant dans la seule évocation de notre race. »
Merci encore pour votre blog.
Jerôme Tanguy (blog « Gejaj rakontoj »)

Celeos a dit…

Dankon à vous Jerôme, pour votre contribution et pour votre blog que je m'efforce de lire, malgré mes difficultés en espéranto !