Je viens de terminer le dernier Vargas en date. Temps glaciaires. J'aime bien Vargas. Et pourtant, chaque fois je reste sur ma faim, comme une lecture inaboutie. Comme si, dans les milliers de pistes explorées, il fallait s'arrêter, faute de temps, faute de moyens de l'esprit pour aller jusqu'au bout de la seule piste qui compte.
Temps glaciaires nous entraîne dans deux sens apparemment très opposés, et géographiquement, et dans le temps : l'Islande d'un côté, la Terreur de l'autre. L'Islande, ce pays qui nous semble impossible, habité par des forces de la nature capables de résister aux pires froids, aux tempêtes, qui ne pourraient toutefois subsister sans la pêche pour nourrir leur corps, sans le volcanisme pour nourrir leur esprit, et, accessoirement mettre à leur disposition des bains d'eau chaude d'où ces forces viriles ressortent pour se précipiter dans la neige.
Jules Verne nous avait appris que c'est par chez eux que l'on pénètre la terre pour en découvrir le centre. L'aboutissement est en Sicile, où les roches encore brûlantes permettent de revenir en des lieux plus cléments à travers des méandres impossibles.
La Terreur, que l'on a apprise à l'école, est personnifiée par quelques noms dont Maximilien de Robespierre reste la figure de proue. Danton, Desmoulins, Saint-Just, l'entourent, autour d'une guillotine aussi sinistre qu'elle rend peu sympathique cette période de l'histoire française.
C'est entre ces deux points d'appui que l'enquête d'Adamsberg se déroule, dans ses errances intellectuelles, entouré de personnages et de policiers tout aussi improbables qu'ont pu l'être les acteurs de la Terreur.
C'est sans doute ce qui fait l'intérêt des romans de Fred Vargas : savoir la complexité des êtres, tous faits de tics, de tocs, jusqu'aux animaux qui ne se départissent pas d'une nature humaine. Complexe comme elle l'est également : elle est archéologue de métier et son travail s'apparente à une enquête de police ; son frère est un spécialiste connu de la Première Guerre mondiale : tous deux ont cette culture de la recherche de vérité que la police et la justice, que les sociologues et ethnologues essaient d'entrevoir, pas forcément avec les mêmes méthodes d'ailleurs, en ayant le sentiment qu'ils passent toujours toujours à côté de la seule vérité intéressante... Elle s'est également beaucoup investie dans la défense de l'ancien brigadiste rouge Cesare Battisti dont elle a contesté l'extradition réclamée par l'Italie.
Ses romans, comme beaucoup de romans policiers, explorent la marge de l'esprit humain : qu'est-ce qui déraille dans le sens commun pour trouver une autre voie qui fasse sens ? Quand on a posé la question, il suffit de laisser aller son écriture et tout vient avec, comme le besoin de se délivrer des saloperies dont le genre humain est capable, qui fait de si belles histoires.
La Terreur : je n'ai jamais été passionné par cette période, trop sanguinolente, dont l'instrument de musique préféré, la guillotine, nous est restée si longtemps pour rappeler le sort que le collectif sait faire aux individus. Le vice et la vertu. Extirper le vice de la nouvelle société. Qui peut dire le vice, et, le disant, croire qu'on ne l'incarne pas également ? La vertu est-elle la seule proclamation de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, aussitôt oubliées au nom de l'intérêt général ?
L'Ancien Régime ne me paraît pas plus enviable : la seule raison que nous avons vraiment est de penser dans le présent, qui n'est déjà pas si facile. Il fallait autrefois être un étudiant d'Albert Soboul, spécialiste de la Révolution française pour trouver un intérêt à la prise du pouvoir des institutions par la bourgeoisie et ses clercs, et en garder les ornements, les ors affligeants, les draperies poussiéreuses passés de l'Ancien Régime à la nouvelle République. J'étais bien trop jeune pour être étudiant d'Albert Soboul, et François Furet liquida le catéchisme pseudo républicain de la République auto convaincue de ses choix avant que je puisse jamais m'intéresser à cette période qui déboucha sur les dictatures les plus effrayantes se réclamant de l'esprit des Lumières, qui comme l'esprit du 11 janvier 2015, n'a pas plus de pertinence que le beurre en broche.
Mais je m'égare. Un peu, pas vraiment. Peut-être ai-je l'esprit digressif à la manière du commissaire Adamsberg, qui va chercher sous les latitudes improbables les éléments dont il a besoin pour faire fonctionner ses neurones.
Chez Vargas, ce qui reste étonnant, c'est souvent soit l'absence de femmes, soit des personnages féminins dont les rôles restent très secondaires. Un peu comme dans les bandes dessinées : Hergé, mais sans aller jusqu'à Pétillon dont le Jack Palmer est le anti héros absolu. Pas de femme remarquable, donc, sauf Violette Retancourt, qui n'est justement pas un modèle féminin. Et Camille, avec qui Adamsberg a des relations compliquées et qui n'apparaît pas dans Temps glaciaires. Pas de femme à la féminité éprouvée, mais comme tous ces hommes qui hantent commissariat, vieilles baraques, ne sont pas non plus plus des modèles masculins. Disant cela je m'interroge aussi : qu'est-ce qu'une femme à la féminité éprouvée ? Apparence vestimentaire ? Maquillage ? Phéromones déterminant le côté canon de la dite femme féminine, appelant autour d'elle un lâcher de testostérone ? Le contraire donc d'une femme voilée ?
Et pourtant j'ai toujours l'impression que ces hommes décrits par Fred Vargas, malgré leurs devoirs rendus à la normalité : métier, travail, relations hétérosexuelles dont des enfants sont nés... restent dans une révérence, souvent non avouée, à la masculinité, quelle qu'en soit ses formes, et jusque dans celles les plus caricaturales. Je m'interroge toujours : qui est gay, dans ses personnages, dont on ne saura rien de son désir pour un autre garçon ?
Je parlais précédemment de sentiment d'inaboutissement des personnages, inaboutissement qui en fait des alcooliques, des rêveurs, des assassins, des artistes, des historiens, peut-être tous à la recherche d'un modèle inexistant, tellement idéel qu'on renonce une fois pour toutes à l'imaginer. C'est sans doute ce à quoi réussit son écriture : faire naître le besoin de parler, parler encore de ces êtres mal foutus, qui arrivent toutefois à s'accorder pour un temps donné, provisoire, jusqu'au prochain déséquilibre qui remet tout en cause. Comme à chaque fois qu'on s'est raté avec un garçon et qu'on ne sait pas vraiment pourquoi.
Oui, ces personnages sembleraient issus d'une institution spécialisée où les manies sont acceptées sans qu'on ne les considère jamais comme des troubles du comportement. Là, chacun compose une tesselle de cette mosaïque qui prend forme dès que l'on prend un peu de recul. Et à chaque fois, dans l'improbabilité d'un scénario se reconstitue une forme d'aventure légendaire. Ici l'Islande, la morue, la Terreur, la guillotine.
Quand je ferai un film d'un bouquin de Vargas, je ne prendrai pas Jean-Hugues Anglade pour Adamsberg, et encore moins José Garcia, qui personnifia le commissaire dans Pars vite et reviens tard, réalisé par Régis Wargnier. Jean-Hugues Anglade reste le Zorg de 37,2 le matin, L'Homme blessé de Chéreau, celui qui ne m'avait convaincu dans aucun de ces deux films. Jai toujours été étonné qu'on ne pense pas à Jacques Gamblin, comédien exceptionnel dont chaque prestation est une précision nouvelle de son travail d'acteur. Il sera formidable comme Adamsberg.
La canicule n'est pas encore tout à fait passée ; c'est à mon sens une raison suffisante pour lire, si ce n'est déjà fait, Temps glaciaires. On a parfois l'impression qu'ils sont devant nous, ces temps glaciaires.
Temps glaciaires nous entraîne dans deux sens apparemment très opposés, et géographiquement, et dans le temps : l'Islande d'un côté, la Terreur de l'autre. L'Islande, ce pays qui nous semble impossible, habité par des forces de la nature capables de résister aux pires froids, aux tempêtes, qui ne pourraient toutefois subsister sans la pêche pour nourrir leur corps, sans le volcanisme pour nourrir leur esprit, et, accessoirement mettre à leur disposition des bains d'eau chaude d'où ces forces viriles ressortent pour se précipiter dans la neige.
Jules Verne nous avait appris que c'est par chez eux que l'on pénètre la terre pour en découvrir le centre. L'aboutissement est en Sicile, où les roches encore brûlantes permettent de revenir en des lieux plus cléments à travers des méandres impossibles.
La Terreur, que l'on a apprise à l'école, est personnifiée par quelques noms dont Maximilien de Robespierre reste la figure de proue. Danton, Desmoulins, Saint-Just, l'entourent, autour d'une guillotine aussi sinistre qu'elle rend peu sympathique cette période de l'histoire française.
L'Islande : glace et feu |
C'est sans doute ce qui fait l'intérêt des romans de Fred Vargas : savoir la complexité des êtres, tous faits de tics, de tocs, jusqu'aux animaux qui ne se départissent pas d'une nature humaine. Complexe comme elle l'est également : elle est archéologue de métier et son travail s'apparente à une enquête de police ; son frère est un spécialiste connu de la Première Guerre mondiale : tous deux ont cette culture de la recherche de vérité que la police et la justice, que les sociologues et ethnologues essaient d'entrevoir, pas forcément avec les mêmes méthodes d'ailleurs, en ayant le sentiment qu'ils passent toujours toujours à côté de la seule vérité intéressante... Elle s'est également beaucoup investie dans la défense de l'ancien brigadiste rouge Cesare Battisti dont elle a contesté l'extradition réclamée par l'Italie.
Fred Vargas au Brésil |
Ses romans, comme beaucoup de romans policiers, explorent la marge de l'esprit humain : qu'est-ce qui déraille dans le sens commun pour trouver une autre voie qui fasse sens ? Quand on a posé la question, il suffit de laisser aller son écriture et tout vient avec, comme le besoin de se délivrer des saloperies dont le genre humain est capable, qui fait de si belles histoires.
La Terreur : je n'ai jamais été passionné par cette période, trop sanguinolente, dont l'instrument de musique préféré, la guillotine, nous est restée si longtemps pour rappeler le sort que le collectif sait faire aux individus. Le vice et la vertu. Extirper le vice de la nouvelle société. Qui peut dire le vice, et, le disant, croire qu'on ne l'incarne pas également ? La vertu est-elle la seule proclamation de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, aussitôt oubliées au nom de l'intérêt général ?
L'Ancien Régime ne me paraît pas plus enviable : la seule raison que nous avons vraiment est de penser dans le présent, qui n'est déjà pas si facile. Il fallait autrefois être un étudiant d'Albert Soboul, spécialiste de la Révolution française pour trouver un intérêt à la prise du pouvoir des institutions par la bourgeoisie et ses clercs, et en garder les ornements, les ors affligeants, les draperies poussiéreuses passés de l'Ancien Régime à la nouvelle République. J'étais bien trop jeune pour être étudiant d'Albert Soboul, et François Furet liquida le catéchisme pseudo républicain de la République auto convaincue de ses choix avant que je puisse jamais m'intéresser à cette période qui déboucha sur les dictatures les plus effrayantes se réclamant de l'esprit des Lumières, qui comme l'esprit du 11 janvier 2015, n'a pas plus de pertinence que le beurre en broche.
Maximilien de Robespierre |
Chez Vargas, ce qui reste étonnant, c'est souvent soit l'absence de femmes, soit des personnages féminins dont les rôles restent très secondaires. Un peu comme dans les bandes dessinées : Hergé, mais sans aller jusqu'à Pétillon dont le Jack Palmer est le anti héros absolu. Pas de femme remarquable, donc, sauf Violette Retancourt, qui n'est justement pas un modèle féminin. Et Camille, avec qui Adamsberg a des relations compliquées et qui n'apparaît pas dans Temps glaciaires. Pas de femme à la féminité éprouvée, mais comme tous ces hommes qui hantent commissariat, vieilles baraques, ne sont pas non plus plus des modèles masculins. Disant cela je m'interroge aussi : qu'est-ce qu'une femme à la féminité éprouvée ? Apparence vestimentaire ? Maquillage ? Phéromones déterminant le côté canon de la dite femme féminine, appelant autour d'elle un lâcher de testostérone ? Le contraire donc d'une femme voilée ?
Et pourtant j'ai toujours l'impression que ces hommes décrits par Fred Vargas, malgré leurs devoirs rendus à la normalité : métier, travail, relations hétérosexuelles dont des enfants sont nés... restent dans une révérence, souvent non avouée, à la masculinité, quelle qu'en soit ses formes, et jusque dans celles les plus caricaturales. Je m'interroge toujours : qui est gay, dans ses personnages, dont on ne saura rien de son désir pour un autre garçon ?
Je parlais précédemment de sentiment d'inaboutissement des personnages, inaboutissement qui en fait des alcooliques, des rêveurs, des assassins, des artistes, des historiens, peut-être tous à la recherche d'un modèle inexistant, tellement idéel qu'on renonce une fois pour toutes à l'imaginer. C'est sans doute ce à quoi réussit son écriture : faire naître le besoin de parler, parler encore de ces êtres mal foutus, qui arrivent toutefois à s'accorder pour un temps donné, provisoire, jusqu'au prochain déséquilibre qui remet tout en cause. Comme à chaque fois qu'on s'est raté avec un garçon et qu'on ne sait pas vraiment pourquoi.
Jacques Gamblin, façon Harcourt |
Quand je ferai un film d'un bouquin de Vargas, je ne prendrai pas Jean-Hugues Anglade pour Adamsberg, et encore moins José Garcia, qui personnifia le commissaire dans Pars vite et reviens tard, réalisé par Régis Wargnier. Jean-Hugues Anglade reste le Zorg de 37,2 le matin, L'Homme blessé de Chéreau, celui qui ne m'avait convaincu dans aucun de ces deux films. Jai toujours été étonné qu'on ne pense pas à Jacques Gamblin, comédien exceptionnel dont chaque prestation est une précision nouvelle de son travail d'acteur. Il sera formidable comme Adamsberg.
La canicule n'est pas encore tout à fait passée ; c'est à mon sens une raison suffisante pour lire, si ce n'est déjà fait, Temps glaciaires. On a parfois l'impression qu'ils sont devant nous, ces temps glaciaires.
4 commentaires:
Passionnant, comme habituellement, Céléos.
J'aime aussi lire Fred VARGAS, d'une manière un peu trouble, à l'image de ses personnages.
Je n'analyse pas comme vous le faites car je ne sais, tout simplement, pas le faire.
Je n'ai que le niveau intuitif de la rencontre avec l'histoire et les êtres qui y déambulent.
Je pense avoir lu tous ses romans policiers, il me reste donc à aller à ce nouveau rendez-vous avec Monsieur ADAMSBERG qui me plaît tant.
Merci
Marie
J'aime beaucoup Vargas dont j'ai tout lu. J'ai aimé celui-ci aussi même s'il me laisse sur ma faim avec cette intrigue dont le lien entre les deux volets est un peu tiré par cheveux, un simple hasard en fait auquel on a du mal â croire. Mais les personnages restent attachants ou très crédibles dans leurs perversions.
Tu cherchais qui était gay, je dirais Amédée, si ce n'est Victor, de là penser que tous deux ... je ne franchis pas le pas...
J'admire, chez vous, ces longs billets, sachant le travail qu'ils représentent. Et un coup de chapeau, un !
Merci Marie de votre adhésion à mes petites humeurs bafouilleuses.
Estèf : pas sûr qu'il soit important de se déterminer sur la nature gay de l'un ou l'autre des différents personnages. C'est peut-être Marc, après tout...
Silvano : oui, c'est du travail, mais que ne ferais-je pas pour mes lecteurs/rices ?
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