Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

lundi 23 novembre 2015

L'amour au-delà de la peur

Comme tout cela est sympathique. Bien sûr, nous sommes de cette fraternité mondiale où nous essayons de comprendre ce qui fait notre culture commune, et comment nos choix esthétiques peuvent se rejoindre dans le plaisir des sens.
Au-delà, il nous faut encore comprendre comment certains d'entre nous, des égarés, des enfants perdus à tout jamais peuvent encore être générés par nos sociétés. Oui, je dis bien nos sociétés, même si dans leur égarement ils croient retrouver un sens à leur haine, à leur rejet viscéral du monde occidental dont ils veulent extirper la moindre trace dans le lieu originel de leur imaginaire insensé.




Je suis en désaccord toutefois avec le texte final de ce clip bon enfant.
 
« Les gens qui nous ont attaqués n'étaient pas musulmans, ils n'étaient même pas des êtres humains. Ne laissez pas cette tragédie nous diviser : c'est exactement ce que veulent ces animaux »  dit Matthew O'Connor, survivant britannique de la tragédie du Bataclan.

Le problème, justement, c'est que les assassins du Bataclan étaient des hommes, des êtres humains. Ce serait trop facile de les exclure du genre humain. C'est exactement le réflexe de toute société, depuis la nuit des temps, qui s'autosatisfait de ce qu'elle fait, en déniant à toute autre société le droit de s'appeler êtres humains. 

Lorsque on libéra les camps d'extermination, et que l'on découvrit le détail de ce qui s'y était passé pendant la Seconde Guerre mondiale, le sentiment d'horreur prévalut, et on se convainquit que ceux qui étaient coupables de ces atrocités ne pouvaient pas être des hommes. On se rassura. La barbarie était allemande, plus que nazie, et il fallut attendre ce qu'on a appelé la « révolution paxtonienne » pour comprendre comment la France avait pu établir les lois scélérates de 1940 contre les juifs, aggravant le sort des familles.

Depuis, un président de la République, Jacques Chirac, qui n'a pas plus ma sympathie par ailleurs, reconnut la responsabilité de la France dans ce qu'autrefois jusqu'à la gauche réformiste considérait comme une parenthèse de l'histoire, une sorte de phénomène tératologique, dont fut chargé Pétain, dédouanant ceux qui, sous la IIIème République, avaient progressivement alimenté la xénophobie et l'antisémitisme. Des gens de gauche, dans cette période, passèrent à l'extrême droite, nourrissant cette haine des gens étrangers ou d'origine étrangère, se réfugiant dans un nationalisme des plus imbécile et des plus criminel. Tout comme maintenant en Europe, en Grèce, où des responsables de l'extrême droite de Chrissi Avghi ont été condamnés pour assassinat. 

Il faut former des vœux pour que l'histoire ne se répète pas, et que raison gardant, on comprenne que d'un côté, nos sociétés génèrent des enfants perdus, qui n'en sont pas forcément sympathiques, mais toujours de cette nature humaine capable de tous les excès ; que de l'autre, la peur, mauvaise conseillère engendrant la haine, l'intolérance, ces phénomènes radicalisent également les forces antidémocratiques. Lorsque l'on aura accepté de comprendre que la radicalisation des exclus dont une  « avant-garde » passe à l'acte et que la radicalisation des classes moyennes retranchées derrière l'extrême droite ne sont que l'avers et le revers d'une même pièce, peut-être pourra-t-on éviter les jours épouvantables que l'on nous prépare au nom de la sécurité.

Je voudrais évoquer la mémoire de Hannah Arendt, qui, justement, voulut comprendre la personnalité d'Adolf Eichmann à son procès à Jérusalem, en 1963, en rapportant la manière dont l'inacceptable, de qu'on appelle généralement le « mal » était en fait d'une déconcertante banalité : la responsabilité de l'horreur, diluée entre les différents protagonistes, exonère chacun de ces protagonistes qui s'imaginent n'avoir qu'une infime partie de cette responsabilité, alors qu'elle est une responsabilité de système où les individus n'existent plus. Le paradoxe de la justice est d'avoir alors à juger des individus coupables de maintenir, de conforter ce système, lequel n'est justiciable de rien, peut rester dormant pendant des années et resurgir à l'occasion de la crispation des attitudes, lorsque l'économie ne parvient plus à donner du sens à la vie de chacun.

Oui, la responsabilité est largement partagée dans les événements qui déchirent le monde. Responsables. Tout comme les assassins de Charlie Hebdo, tout comme les assassins du Bataclan et des terrasses de Paris. Tout comme nous, qui laissons nos sociétés produire des assassins.



Leonard Cohen  - All There is to Know About Adolph Eichmann
EYES:……………………………………Medium
HAIR:……………………………………Medium
WEIGHT:………………………………Medium
HEIGHT:………………………………Medium
DISTINGUISHING FEATURES…None
NUMBER OF FINGERS:………..Ten
NUMBER OF TOES………………Ten
INTELLIGENCE…………………….Medium

What did you expect?
Talons?
Oversize incisors?
Green saliva?
Madness?
 In Leonard Cohen, Selected Poems, 1956-1968, Bantam Books, 1971.

2 commentaires:

estèf a dit…

Oui, tout ce que tu dis est vrai. Nous enfantons cela. Le mot enfanter devient alors horrible.

joseph a dit…

"Les pierres de la loi
Font les murs des prisons
Les bordels sont bâtis
Des briques de la religion"
Mort Shuman