Quand ils t’ont emmené,
bafouant les engagements pris auparavant, je ne te connaissais pas. Est-ce ton
nom, entendu sur les ondes, qui a résonné à mes oreilles, réveillant je ne sais
quel
souvenir d’une geste romantique ? Ceux qui résistaient à l’ordre
social, à l’ordre moral se retrouvaient ainsi, au petit matin, poings menottés,
maison dévastée, entraînés sans ménagement vers les geôles de l’ordre. Les phalanges de l’ordre noir. Les
couleurs de Bilal ont fixé cette peste d’abord européenne.
Γιάννης Τσαρούχης - Yannis Tsarouchis |
J’ai cherché sur la toile
électronique. Les sites alors n’étaient pas aussi documentés qu’aujourd’hui et
je n’ai pas trouvé ce qui m’aurait expliqué d’où tu venais, et pourquoi cette
spirale de violence s’était déchaînée et t’avait entraîné à ton tour dans ce
système répressif. La presse, imbécile comme toujours, s’est satisfaite de
faits froids et pauvres. Elle t’oublia très vite.
J’ai cependant trouvé ta
photographie où ton visage apparaissait. Tu étais entouré des policiers, ceux
qui ne changent jamais et servent tous les régimes, quels que soit leur nature.
En France, les gens les applaudissent parfois dans leur aveuglement volontaire.
J’ai blêmi devant ta
beauté. J’ai vu encore le visage d’un garçon italien dont les jeux, en culotte
courte, le faisaient courir derrière un ballon, plein d’une joie ensoleillée.
Tes boucles brunes
couronnaient ton visage, ferme, décidé, et sûr de son bon droit.
Depuis j’ai lu ton
histoire, rapidement. J’ai eu l’envie de te rencontrer dans ta prison, de te
dire mon amitié, que nos pensées d’un monde éloigné de toutes ces oppressions
et ces soumissions nous entraînaient vers les désillusions les plus amères.
J’ai cherché à savoir dans quelle geôle tu te trouvais, comment tu passais tes
journées, si tes amitiés, tes amours te soutenaient dans cet exil de l’Italie
intérieure.
D’autres instances m’ont
éloigné de la velléité de cette démarche.
Plusieurs années après,
cherchant ton visage, j’ai vu celui d’un homme fatigué, aux yeux effondrés. Tes
boucles sont devenues grises. Je me suis interrogé sur ce que l’on fait subir
au corps pour qu’il abandonne ainsi les formes de sa jeunesse et de ses
espoirs. Je sais toutefois que ton esprit reste ferme, que ce que tu combats
est toujours présent qui te maintient dans ta certitude de ne jamais rien
lâcher de ta dignité et de ton vouloir d’être — lo ferm voler q’el cor
m’intra d’Arnaut Danièl — et que tu
vis près de Rome dans cette attitude dont ils ne pourront jamais rien atteindre
de la beauté. Vers toi vont mes pensées.
6 commentaires:
étrange, Celeos, ce don que vous avez de réveiller en moi une nostalgie de mes activités du passé. copain de Denis Manuel - visiteur de prison (!) - j'ai eu l'occasion de monter Ubu Roi avec des détenus de la maison d'arrêt de la Santé. un des plus beaux spectacles auquel j'ai pu assister...
mais quel désespoir, quelle détresse j'y ai côtoyés ! une douche pour 100 mecs ! ouais, c'était pas le quartier des vip(ères) du fric, des affaires politiques, vous savez, ceux qui sont tellement cons qu'ils se font piquer malgré leurs hautes opinions d'être au-dessus de tout et tout le monde.
j'adore Bilal. je vous envoie des embruns de varech.
Merci Yves pour ce varech ! J'ai souvenir que Denis Manuel fut un très beau Saint-Just, et je sais qu'il était visiteur de prison. Belle attention envers l'enfer carcéral.
Partie de chasse -de Bilal - où les mots associés pourraient suggérer une purge, non?,
J'ai longtemps été voisine (professionnellement) d'une prison.
Une petite prison d'hommes en centre ville d'une petite ville.
L'été, lorsqu'il fait chaud, fenêtres ouvettes, on les entend vivre.
Des cris, des rires, des jeux (de ballon), des disputes, des bagarres et des hurlements, parfois.
Ils m'émouvaient profondément.
Cette émotion n'a jamais été partagée:
"s'ils sont là, c'est qu'ils le méritent" était la plus fréquente réponse à ma sensibilité et je vous passe les discours sur le luxe dans lequel ils vivent : logés, chauffés, télés, loisirs...
Et puis, et surtout, il y avait les échanges avec les familles et amis, hors les visites.
Ils se tenaient, alors, dans la rue et hurlaient leurs échanges, parfois des choses de la vie quotidienne, parfois des mots d'amour, d'amitié(bouleversants).
Ce qui m'amenait le plus au bord des larmes était un cri de petit enfant qui de toute sa force d'enfant appelait "papa,papa..." et une voix d'homme répondait, de derrière ses barreaux "ma chérie, je t'aime, papa t'aime..." et s'achevait souvent dans un sanglot.
Il y avait un tel désespoir dans ces voix sans visages.
Les entendez vous?
Puis tout est "rentré dans l'ordre" : cela a été interdit, gênant le voisinage et des affiches furent placardées sur les hauts murs de la prision y ajoutant un interdit supplémentaire...sous peine de poursuites...
La majorité d'entre nous se croient du bon côté du mur alors qu'ils ne sont qu'entre des murs plus vastes..
Marie
Surveiller et punir, titrait Michel Foucault sur son histoire de la prison.
Jamais le sol français n'a compté autant de femmes et d'hommes incarcérés qu'on fait vivre dans des conditions indignes.
C'est encore un signe pour vouloir refonder la société.
oh Marie ! merci de ce témoignage. certes, beaucoup trop de gens ignorent cette frange de la population qui dérange trop. parfois, c'est cher payé pour un moment d'égarement !
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