Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 23 juin 2015

Dominique Fernandez : avant 1968

Hier, notre collègue blogueur Silvano publiait dans Gaycultes un lien vers un article de L'Obs sur l'étude d'un chercheur, Régis Révenin, qui relativise la répression de l'homosexualité antérieure à 1968 (« La France de l'avant-68 était moins corsetée qu'on ne le dit »). Comme c'est étrange de voir les bonds et rebonds de la manière dont on écrit l'histoire et on la révise : les faits objectifs sont pourtant que l'homosexualité fut réprimée, de toutes les manières, même si par le folklore littéraire, et par ceux qui osaient s'affirmer dans leur identité sexuelle, il est parfois apparu que l'amour des garçons pour d'autres garçons put avoir une visibilité.  Cette exception ne faisait que confirmer la règle. Et la dépénalisation de l'homosexualité n'intervint qu'en 1982, même si à proprement parler, elle n'était plus vraiment criminalisée depuis longtemps (elle n'est toutefois retirée de la liste des maladies mentales de l'OMS qu'en 1991).

La réalité était que l'homophobie se traduisait (et encore aujourd'hui, hélas) par des « cassages de pédé » en divers lieux, notamment en milieu populaire, et que la possibilité de vivre sa sexualité devait obligatoirement passer par des milieux, géographiques et sociaux, auxquels la société concédait cette place. En dehors de cela, point de salut, et que dire du milieu rural où parler du fait n'était même pas pensable !

Il m'a paru intéressant de présenter les réflexions de Dominique Fernandez, qu'il n'est pas besoin de présenter. Son amour de l'Italie en fait un grand connaisseur des mœurs culturelles qui ont mené les artistes, écrivains, et esthètes de la péninsule italienne et de l'Europe de manière plus générale. Toutefois, on peut, bien évidemment, ne pas partager ses sentiments, notamment sur la question du « choix » en matière d'orientation sexuelle, et sa grande érudition ne masque pas que tout cela apparaît beaucoup plus complexe, notamment en matière de visibilité (oui, au Moyen-âge, on pouvait avoir des mœurs beaucoup plus libres que ce qu'elles furent dans les périodes suivantes !) des pratiques homosexuelles, étant entendu que le fait d'être gay peut apparaître surtout comme une affirmation sociale.

On n'est pas obligé de partager non plus le choix de Dominique Fernandez en matière de goûts pour la famille... Et il n'est pas sûr que son idée de la bisexualité généralisée soit avérée !

Dominique Fernandez est interrogé par Antoine Perraud.










8 commentaires:

Silvano a dit…

Sur le premier paragraphe de ce billet, il y a beaucoup à dire, et matière à débat : certes, les lois en vigueur dans cette période se voulaient répressives, et l'on se souvient du fameux amendement Mirguet (l'homosexualité "fléau social". Je trouve, moi, pour avoir vécu la période (plutôt à la fin des "sexties" et au début des "sèventies") que l'étude de Monsieur Revenin est assez proche de mon ressenti (ou non-ressenti) de l'époque. Il est vrai que je vivais dans une région quelque peu privilégiée. Ainsi, Cannes, administrée, en ces années-là, par une municipalité de centre-gauche* (si !), était un paradis pour les homos, jamais inquiétés par la police : bars et boîtes à garçons y étaient fort fréquentés au point que beaucoup de parisiens et provinciaux venaient y faire leurs emplettes. La célèbre Croisette était très bien achalandée le soir venu. L'arrivée de la droite locale à la fin des années 70, et malgré les réformes de la gauche en la matière (l'ère Mitterrand), sonna le glas de cette joyeuse permissivité. À Paris,où je vécus pendant 4 ans, de 79 à 83,l'ambiance était à la plus grande tolérance. Bien évidemment, il n'en était certes pas de même en France profonde : mais c'est toujours pareil, peu ou prou, de nos jours, où l'homophobie fait toujours des ravages, notamment chez les jeunes. Mais brisons là : je vais me procurer cette étude et y reviendrai.

* Le Maire de Cannes était Bernard Cornut-Gentille, dont le milieu homo (on ne disait pas encore "gay") disait (à tort ou à raison) qu'il n'était pas qu'un simple sympathisant...

Celeos a dit…

Il y eut, très certainement, une grande diversité de situations. Mais l'affirmation de son orientation n'allait pas de soi si l'on se réfère à l'histoire, et notamment à l'action du FHAR (Front homosexuel) ; des penseurs comme Michel Foucault, par exemple, ne révélèrent pas leur homosexualité, ne parlons pas de Barthes. La tolérance au milieu gay fut ainsi réservé à certains écrivains "scandaleux", au milieu artistique auquel on associait les boîtes gay, qui achetaient, m'a-t-on dit, leur tranquillité.

joseph a dit…

et si je vous disais en tout honnèteté que je suis très ému d'avoir entendu les paroles de Fernandez dont je ne connaissais que certains textes, Eisenstein, Tribunal d'honneur et Nicolas ! Je dirais que ces propos sont frappés de bon sens et puis quelle belle langue!

The Narrow Corner a dit…

Saine lecture : "Citoyen de seconde zone" de Jean Le Bitoux, 2003.

Silvano a dit…

L'étude en question fait référence, ne l'oublions pas, à la sexualité adolescente. Il est fort probable, en effet, que parvenus à l'âge adulte, beaucoup de ces jeunes (pour des raisons professionnelles entre autres) aient préféré s'enfermer dans le placard. Je déjeunais précisément aujourd'hui avec un "ami d'enfance" qui, marié, père et grand père, a fait le choix de cette placardisation pendant des décennies. Sinon,les boîtes, même non gay, achètent souvent leur tranquillité...

Celeos a dit…

@Another country : vous faites bien de rappeler le rôle de Jean Le Bitoux, cofondateur du mythique Gai Pied, et qui mis en avant les faits de déportation des homosexuels pendant la période nazie, en publiant le témoignage de Pierre Seel.
@Silvano : on est d'accord, l'étude s'attache à la sexualité adolescente. Et je crains qu'ainsi elle ne soit vue qu'à travers le prisme déformant de faits de société "amusants", négligeant ainsi ce que vous soulignez fort justement, la mise aux normes des comportements sociaux au passage dans la classe d'âge adulte.

Anonyme a dit…

Je partage son opinion sur la bisexualité, sans doute pas généralisée mais plus commune qu'on ne le croit.
Il me semble que la virulence des homophobes naît du refus de cette sensualité là ou de sa négation, peut être inconsciente.
De plus, je trouve dommage d'enfermer des êtres dans des cases: gay, hétéro, bi...et ainsi de les entraver dans leur "danse avec la vie"...si courte.
Marie

Celeos a dit…

Oui, je crois aussi que la bisexualité est très commune. Mais il existe des frontières infranchissables parfois, qui sont sans doute plus culturelles et psychologiques, empêchant les sentiments et les attirances de s'exprimer. De là peut-être en effet une homophobie de défense ; et je vous rejoins sur les typologies et catégories imbéciles qui aggravent les situations et les enfermements. Mais l'identité, on le sait, est une affaire d'assignation, et ce qui est parfois pire, une auto-assignation<;