Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 21 mai 2015

Affabulazione

 Affabulazione est un spectacle de théâtre mis en scène par Stanislas Nordey et joué jusqu'au 6 juin au Théâtre de la Colline à Paris, 15, rue Malte-Brun, Paris 20e (métro station Gambetta).

 Voici un extrait du dossier de presse : 

« Celui qui vous parle est le Spectre de Sophocle.


Je suis ici arbitrairement appelé à inaugurer un langage à la fois difficile et facile :
difficile pour une société qui vit le pire moment de son histoire, facile pour les rares lecteurs de poésie.

Votre oreille devra s’y faire. Bref. Quant au reste, vous suivrez comme vous le pourrez les péripéties
un peu indécentes de cette tragédie qui finit mais ne commence pas – jusqu’au moment où reviendra mon spectre.

Alors les choses changeront et ces vers acquerront leur propre saveur grâce à, pour une fois, leur évidente objectivité. »
(Prologue d' Affabulazione)





Stanislas Nordey a commencé sa vie de metteur en scène avec Bête de Style de Pasolini, en 1991. Presque personne alors ne connaissait ce théâtre – six pièces, composées dans les années 1970, qui inventent un « théâtre de parole » direct, poignant, tendu entre visions oniriques et confrontations radicales. Tout en s’ancrant concrètement dans son époque, Pasolini veut renouer avec la tragédie grecque, sa violence, sa charge mythique, son adresse frontale au public. Sous le signe du « spectre de Sophocle », Affabulazione inverse le meurtre fondateur d’Œdipe : tout y naît de la hantise qu’un fils – trop beau, trop désirant - inspire à son père, industriel milanais terrifié par cette image inversée de son propre déclin. Et si le désir de « tuer le fils » était le vrai refoulé de notre société ?

C’est aussi le souffle de la langue de Pasolini, son rythme, sa puissance, que Stanislas Nordey veut faire entendre, comme metteur en scène et comme interprète : il sera sur scène dans le rôle du Père, pour partager avec ses acteurs les fulgurances poétiques d’Affabulazione et l’inquiétant questionnement générationnel de Pasolini.


 

Je rajouterai, moi, Celeos, un élément pour complexifier encore le propos : le désir de « tuer le fils » est explicite dans l’œuvre de Pasolini. Il est clairement montré dans Œdipe roi (voir mon billet sur Œdipe roi). Peut-être Pier Paolo Pasolini a-t-il négligé que ce désir de tuer le fils ne naît pas spontanément : le mystère de la naissance d'un fils fait de la mère un être tout puissant, capable d'engendrer un homme à partir de son corps de femme. Freud parlait du désir de pénis, ainsi sublimé à travers la capacité d'enfanter. Or ce fils est de sa propre chair; la mère et l'enfant ne font alors qu'un sans que rien ne puisse les séparer, hormis justement le père dont la contribution par une simple giclée de sperme est bien peu[1]

La concurrence entre le fils et le père devient alors un combat mortel. Jocaste nourrit la haine qui les oppose, et favorise le combat au profit du fils, permettant la disparition du père. Sans l'intervention de Jocaste, père et fils pourraient se coaliser dans une fraternité qui verrait la destruction de la société puisque la famille ne peut exister que dans le rapport de conflit de pouvoir générationnel et le rapport d'inceste, toujours nié, mais toujours réalisé dans le déni de réalité. Inceste sublimé dans une réalisation de l'homosexualité du fils et nié, là encore par une substitution de l'épouse acceptant de prendre le rôle de la mère afin que le désordre qui naîtrait d'une confusion des générations ne puisse advenir.

Sachant qu'il était un défenseur de la famille traditionnelle, il me paraît évident que cet élément supplémentaire, absent du puzzle, ne pouvait convenir à Pier Paolo Pasolini ... 

On peut se référer également à mon billet du 6 novembre dernier « Papa où est Têtu ? » (clic)

[1] Une anecdote, dont je n’ai pas retrouvé la source, concerne le peintre Salvador Dalí : il aurait, à la fin de son adolescence, envoyé un petit flacon de son propre sperme à son père en ajoutant ce petit mot : « Nous sommes quittes. »

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