Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mercredi 6 mai 2015

Au cœur de la poésie

Jean Genet évoque, dans le Journal du voleur (publié en 1949), sa rencontre avec Guy. Jean Genet, maître en écriture, opère la métamorphose de la misère dans les relations qu'il raconte avec les mauvais garçons, catégorie qui paraît difficile à appréhender aujourd'hui. Le Journal du voleur est un long poème en prose mais Genet a-t-il jamais écrit autre chose que de la poésie, jusque dans ses outrances incompréhensibles à certains intellectuels ? qui est un éclairage sur le monde considéré comme le jeu pervers des dominations grossières ou subtiles, à partir de quoi il s'agit d'entrevoir les manières de s'en échapper.

La description de ce que peut être alors la tendresse passe, en geste de peintre qu'était Genet.

Il Bronzino Portrait d'un jeune homme - 1550-1555


      " […]
Quand  pourrai-je  enfin  bondir  au  cœur  de  l'image,  être  moi-même  la  lumière  qui la  porte  jusqu'à  vos  yeux ?  Quand  serai-je  au  cœur  de  la  poésie ?  
Je  risque  de  me  perdre  en  confondant  la  sainteté  avec  la  solitude.  Mais  par  cette  phrase,  ne  risqué-je  pas  de  redonner  à  la  sainteté  le  sens  chrétien  que  je  veux  détacher  d'elle ?  
Cette  recherche  de  la  transparence  est  peut-être  vaine.  Atteinte  elle  serait  le  repos.  Cessant  d'être  «  je  »,  cessant  d'être  «  vous  »,  le  sourire  subsistant  c'est  un  sourire  égal  posé  sur  les  choses.

Le  jour  même  de  mon  arrivée  à  la  Santé   — pour   l'un  des  nombreux  séjours  que  j'y  fis  — je  comparus  devant  le  directeur  :  j'avais  bavardé  au  guichet  d'un  ami  reconnu  au  passage.  Je  fus  puni  de  quinze  jours  de  mitard,   l'on  me  conduisit  tout  de  suite.  Trois  jours  après  que  j'étais  au  cachot,  un  auxiliaire  me  fit  passer  des  mégots.  C'étaient  les  détenus  de  ma  cellule  où,  sans  y  avoir  encore  mis  les  pieds,  j'étais  affecté,  qui  me  les  envoyaient.  En  sortant  du  cachot  je  les  remerciai.  Guy  me  dit :
 — On  a  vu  qu'il  y  avait  un  nouveau,  c'était  marqué  sur  la  porte  :  Genet.  Genet  on  savait  pas  qui  c'est.  On  te  voyait  pas  arriver.  On  a  compris  que  t'étais  au  mitard  et  on  t'a  fait  passer  les  clops.
Parce  que  mon  nom,  sur  les  registres,  m'établissait  dans  cette  cellule,  déjà  ses  occupants  se  savaient  solidaires  d'une  peine  inconnue,  encourue  pour  un  délit  auquel  ils  n'avaient  aucune  part.  Guy  était  l'âme  de  la  cellule.  Il  en  était  cet  adolescent,  blanc  et  bouclé,  beurré,  la  conscience  inflexible,  la  rigueur.
  S'adressait-il à moi, chaque fois j'éprouvais le sens de cette expression étrange : « Dans les reins une décharge de parabellum ». Il fut arrêté par la police. Devant moi s'échangea ce dialogue :
 — C'est toi qui as fait le coup de la rue de Flandre.
 — Non, c'est pas moi.
 — C'est toi. La concierge te reconnaît.
 — C'est un type qui a ma gueule.
 — Elle dit qu'il s'appelle Guy.
 — C'est un type qui a ma gueule et mon nom.
 — Elle reconnaît tes fringues.
 — Il a ma gueule, mon nom et mes fringues.
 — C'est les mêmes cheveux.
 — Il a ma gueule, mon nom, mes fringues et mes cheveux.
 — On a relevé tes empreintes.
 — Il a ma gueule, mon nom, mes fringues, mes cheveux et mes empreintes.
 — Ça peut aller loin.
 — Jusqu'au bout.
 — C'est toi qui as fait le coup.
 — Non, c'est pas moi.
C'est de lui que je reçus la lettre où se trouve ce passage. (Je venais d'être encore enfermé à la prison de la Santé... ) : « Mon petit Jeannot, je suis trop fauché pour t'envoyer un colis. Je n'ai plus le rond, mais je tiens à te dire ceci qui va te faire plaisir je l'espère, c'est que, pour la première fois, j'ai voulu me branler en pensant à toi et j'ai joui. Tu peux au moins être sûr qu'au dehors il y a un copain qui pense à toi.
[…] "

4 commentaires:

joseph a dit…

Le jeunot ne se génait pas pour décrire tout le bien que lui inspirait le 'Genet" tant il est vrai que comme chantait Georges " Auprès de mon arbre -(buste) je vivais heureux, j'aurais jamais du le quitter des yeux"

Anonyme a dit…

"Cessant d'être "je", cessant d'être "vous", le sourire..."
Spirituellement très inspirant, un chemin de vie qui efface...tous les chemins.
Marie

Celeos a dit…

Est-ce comme comme le suggérait Sartre, un narcissisme absolu qui se dissoudrait dans l'écriture de la transparence à "tout" révéler ? Il n'y aurait alors plus rien à écrire et peut-être enfin une sérénité retrouvée.

Anonyme a dit…

Seuls les poètes et les enfants savent, c'est probablement pour cela qu'ils nous touchent et nous émeuvent tant.
Marie