Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mercredi 13 avril 2016

La ronde des poètes


Afficher l'image d'origineOn a un peu oublié Olivier Larronde, décédé en 1965. Je manque d’à propos : j’aurais dû écrire ce billet pour la fin du mois d’octobre dernier ; je pensais alors à Pier Paolo dont je partageais le souvenir de la fin tragique.
Olivier Larronde est décédé le 31 octobre. Aurait-il eu quelque chose à partager de la poésie de Pier Paolo ? Je ne sais pas. Il me semble qu’ils sont très dissemblables, bien que partageant tous deux cet amour de la poésie dont ils firent leur fibre-même allant jusqu’au terme de leur logique, de leurs fulgurances, de leur amour de l’esthétique rendue à la raison de morale. Tout comme Jean, par ailleurs, dont les jours qui viennent vont célébrer les trente ans de sa disparition. Dire que la littérature de Jean Genet manque à l’esprit de notre temps me paraît une évidence et les gens qui ont aimé le personnage, ses outrances parfois, mais son implication toujours au côté des bannis, se sentent orphelins de lui dont il reste ce à quoi il a consacré sa vie : faire de sa littérature une poésie des humiliés. Je pense notamment à un texte dont je ne suis pas sûr qu’il ait été publié, et qui était un scénario de film : La nuit venue. J’en parlerai certainement un jour, si j’arrive à retrouver les notes que m’a confiées un ami.
En attendant parlons de Larronde, ce garçon improbable, dont on a dit qu’il était le dernier des poètes maudits, ou plus précisément, si l’on veut se référer à Verlaine, le dernier des poètes absolus.
Il est né en 1927, à la Ciotat, dans une famille d’origine bordelaise. Son ascendance devait certainement l’inciter à entrer dans un projet de démarche poétique : il quitte l’école très tôt, car il s’y ennuie, et chez lui, c’est certainement plus amusant que dans les écoles de la République aux tableaux noirs, aux blouses grises dont le premier enseignement est la soumission à l’ordre social. À dix-sept ans, il a déjà écrit ses premiers poèmes dans ce qui est publié en 1946 dans un recueil intitulé Les barricades mystérieuses. L’un de ses grands chagrins est de voir disparaître sa sœur Myriam à laquelle il voue une immense affection, et dont il dit que sa capacité de création était bien supérieure à la sienne.
Jean Cocteau - Olivier Larronde (dessin) - 1945
J’en retire un poème dédié à Jean-Pierre Lacloche. Ce dernier fut son compagnon, peut-être son amant, bien qu’il s’en défendît en 1990, disant et rectifiant un propos tenu sur René Char, tombé fou amoureux des poèmes de Larronde : « Olivier Larronde était viril, il avait couché à cette époque avec A.M.C. et J.G., entre autres filles. » Curieuse mention, qui dédouanait Olivier Larronde de toute homosexualité, comme s’il s’agissait de ne pas dévaloriser sa poésie, entachée alors d’être celle d’un homosexuel. Ou s’agissait-il simplement de ne pas évoquer la sexualité qui déborde pourtant des propos comme des poèmes, comme dans ceux que Rimbaud a présenté dans l’Album zutique ou encore d’autres que son siècle pudibond ne pouvait pas accepter. Voici le poème dédié à Jean-Pierre :





I

Dans ces linges, ô mer, nous nous désenlaçâmes
Ces linges orageux où préparent un lit
Les derniers courants d’air. À l’heure où se déplient
De sombres paravents, au travers de mes larmes
Saurai-je reconnaître aux cendres les contours
D’un ciel d’après-dîner. Votre sel sur ma peau
L’impénétrable écorce !

                                                             Ainsi qu’aux froides tours
Qu’un bel œil détourné perdrait toutes ses flèches,
Mer ! contre votre amant en nage sur ces linges
Rêches, dans le temps où vous rentrez vos troupeaux.

II

Riche nuit ! si je suis hélas d’une autre étoffe,
La trame n’en est pas de vos oiseaux de mer
Mais de leurs proies ourdie.

                                                                                    Sur ces terrasses
Où vous êtes à l’aise, ô nuit dans vos bains d’huiles,
Irai-je, à chaque instant brisant des pots de fard,
Défaire le jeu des ultimes barricades
Si je n’y suis cloué par de splendides races :

La nuit sur son plateau verse un quartier d’étoile :
N’est, d’un pleur si brûlant que le gardien de phare,
Ce sourcilleux donjon, mer, votre amant en nage.



Troublante, dans le mystère de cette relation, est la fidélité de Jean-Pierre Lacloche qui accompagna Olivier Larronde au-delà de la mort : en 1965, c’est Jean-Pierre Lacloche qui trouve à Olivier Larronde une concession au cimetière de Samoreau, près de Valvins, aux côtés de Stéphane Mallarmé. En 2006 Jean-Pierre Lacloche rejoint son ami dans la mort dans la même tombe, quarante et un ans après.

Troublant est le poème, au-delà de l’évocation d’une nuit d’amour dissimulée dans l’écume blanche d’une mer rendue le témoin de cette relation. On y découvre Mallarmé, on y lit Genet dans la rigueur implacable des mots. Il faudra qu’on y revienne, quand on sait que c’est Genet, qui pleurant à l’audition des poèmes de Larronde, brusqua Cocteau qui en avait négligé la lecture.

Afficher l'image d'origineDans la publication aux éditions de l’Arbalète de 1990, Marc Barbezat, le pharmacien de Décines, a voulu réunir les témoignages unanimes des proches d’Olivier Larronde. On y lit quelques phrases de Genet rapportées par Barbezat. Je ne suis pas sûr de la fidélité de ce qu’a pu dire Genet, mais, sans doute, la substance y est-elle :
« Olivier Larronde possédait le ton de voix. Peu importe qu’il ait écrit cent poèmes ou trois. Il y a des poèmes plus ou moins réussis, plus ou moins bien. Mais ce qui compte, c’est son ton de voix. »

Parmi les témoignages est celui de Michael Wishart, ami de Lucian Freud et de Francis Bacon :
« Lucian Freud s’était lié avec deux jeunes gens qui partageaient une chambre à côté de la sienne. Ils étaient inséparables et le fait que les gens les prissent pour des pédérastes les laissait indifférents.
 L’un d’eux était Olivier Larronde. Le sort lui avait été favorable en lui faisant rencontrer un jeune homme d’une intelligence et d’une beauté exceptionnelle qui allait devenir son protecteur tout au long de sa courte vie. De telles amitiés, on les trouve dans les livres, c’est la seule que j’ai connue. »
Afficher l'image d'origine 
Olivier Larronde était sujet à des crises d’épilepsie dont l’une des premières se déclencha à la mort de son père en 1939. Faut-il considérer que la vie lui était devenue impossible, ne parlant que très peu hormis à déclamer ses propres poèmes, rencontrant une somme incroyable d’artistes — Alberto Giacometti, notamment — dont tous témoignèrent de son exceptionnel rayonnement ?
C’est en clochard, barbu, assommé d’alcool qu’il termina sa vie, retrouvé étouffé dans ses oreillers, devenu peut-être le parent de Marcel Bascoulard, perdu à tout jamais dans les fantômes de ses mots.
Son deuxième recueil, anagramme de son nom, s’intitule Rien voilà l’ordre, paru en 1959. De ce jeu de mot, terrible dans sa réunion de l'ordre et du chaos dont il se faisait ainsi l'incarnation, Gaston Bachelard écrivit : «[…] Ah ! si je faisais encore mes cours à la Sorbonne, avec un ‘tel motif’ je ferais toute une métaphysique […] »

Faut-il rajouter qu’Olivier Larronde était d’une insolente beauté, non éloignée de celle de René Crevel, devant laquelle on ne peut que s’incliner, avec tristesse et bouleversement ?

8 commentaires:

palomar a dit…

Merci de remettre en avant ce poète unique.

Silvano a dit…

Passionnant.
J'ai pensé, aussi, bien sûr, à René Crevel.
Lisant le beau texte dédié à Lacloche, je mesure combien la poésie fait cruellement défaut à l'époque actuelle.

joseph a dit…

Dans les poëtes maudits, y a t'il la place pour Garcia LLorca?

Celeos a dit…

J'avais consacré plusieurs billets à Federico Garcia Lorca. Maudit ? Sans doute par sa fin tragique, mais son oeuvre est aujourd'hui portée très haut dans la littérature hispanique.
En France la poésie n'a plus beaucoup de visibilité...

yves a dit…

honte à moi ! je ne connaissais pas. je néglige la poèsie ! et pourtant en ai-je révélé des auteurs à des publics divers z'et variés.
me revient dun souvenir : 1986, le Festival du Marais a pour thème " vienne, fin de siècle et modernité » avec les pièces d'Arthur Schnitzler (Au Perroquet vert) et du Rilke. vérole de moine. quelles soirées. il y avait un public fervent et pas du tout effarouché pour entendre des poèmes. mais bon. j'étais djeun !

Anonyme a dit…

Merci pour cette découverte !

Celeos a dit…

Avec plaisir, Jérôme.

arthur a dit…

Je ne connaissais pas non plus. Ah Celeos, tu nous es précieux!!!merci de partager ces éléments!
Et oui, aujourd'j=hui, la poésie est bien invisible, et pourtant si nécessaire. Voir récemment une tribune dans le monde d'un écrivain africain, sur l'impérieuse nécessité de la poésie, dans notre monde qui perd de son sens...