On a un peu oublié Olivier Larronde, décédé en 1965. Je manque d’à propos : j’aurais dû écrire ce billet pour la fin du mois d’octobre dernier ; je pensais alors à Pier Paolo dont je partageais le souvenir de la fin tragique.
Olivier Larronde est
décédé le 31 octobre. Aurait-il eu quelque chose à partager de la poésie de
Pier Paolo ? Je ne sais pas. Il me semble qu’ils sont très dissemblables,
bien que partageant tous deux cet amour de la poésie dont ils firent leur
fibre-même allant jusqu’au terme de leur logique, de leurs fulgurances, de leur
amour de l’esthétique rendue à la raison de morale. Tout comme Jean, par
ailleurs, dont les jours qui viennent vont célébrer les trente ans de sa
disparition. Dire que la littérature de Jean Genet manque à l’esprit de notre
temps me paraît une évidence et les gens qui ont aimé le personnage, ses
outrances parfois, mais son implication toujours au côté des bannis, se sentent
orphelins de lui dont il reste ce à quoi il a consacré sa vie : faire de
sa littérature une poésie des humiliés. Je pense notamment à un texte dont je
ne suis pas sûr qu’il ait été publié, et qui était un scénario de film : La nuit venue. J’en parlerai
certainement un jour, si j’arrive à retrouver les notes que m’a confiées un
ami.
En attendant parlons de
Larronde, ce garçon improbable, dont on a dit qu’il était le dernier des poètes
maudits, ou plus précisément, si l’on veut se référer à Verlaine, le dernier
des poètes absolus.
Il est né en 1927, à la Ciotat,
dans une famille d’origine bordelaise. Son ascendance devait certainement
l’inciter à entrer dans un projet de démarche poétique : il quitte l’école
très tôt, car il s’y ennuie, et chez lui, c’est certainement plus amusant que
dans les écoles de la République aux tableaux noirs, aux blouses grises dont le
premier enseignement est la soumission à l’ordre social. À dix-sept ans, il a
déjà écrit ses premiers poèmes dans ce qui est publié en 1946 dans un recueil
intitulé Les barricades mystérieuses.
L’un de ses grands chagrins est de voir disparaître sa sœur Myriam à laquelle
il voue une immense affection, et dont il dit que sa capacité de création était
bien supérieure à la sienne.
Jean Cocteau - Olivier Larronde (dessin) - 1945 |
J’en retire un poème dédié
à Jean-Pierre Lacloche. Ce dernier fut son compagnon, peut-être son amant, bien
qu’il s’en défendît en 1990, disant et rectifiant un propos tenu sur René
Char, tombé fou amoureux des poèmes de Larronde : « Olivier Larronde
était viril, il avait couché à cette époque avec A.M.C. et J.G., entre autres
filles. » Curieuse mention, qui dédouanait Olivier Larronde de toute
homosexualité, comme s’il s’agissait de ne pas dévaloriser sa poésie, entachée
alors d’être celle d’un homosexuel. Ou s’agissait-il simplement de ne pas
évoquer la sexualité qui déborde pourtant des propos comme des poèmes, comme
dans ceux que Rimbaud a présenté dans l’Album
zutique ou encore d’autres que son siècle pudibond ne pouvait pas
accepter. Voici le poème dédié à Jean-Pierre :
I
Dans ces linges, ô mer, nous nous
désenlaçâmes
Ces linges orageux où préparent un
lit
Les derniers courants d’air. À
l’heure où se déplient
De sombres paravents, au travers de
mes larmes
Saurai-je reconnaître aux cendres les
contours
D’un ciel d’après-dîner. Votre sel
sur ma peau
L’impénétrable écorce !
Qu’un bel œil détourné perdrait
toutes ses flèches,
Mer ! contre votre amant en nage
sur ces linges
Rêches, dans le temps où vous rentrez
vos troupeaux.
II
Riche nuit ! si je suis hélas
d’une autre étoffe,
La trame n’en est pas de vos oiseaux
de mer
Mais de leurs proies ourdie.
Où vous êtes à l’aise, ô nuit dans
vos bains d’huiles,
Irai-je, à chaque instant brisant des
pots de fard,
Défaire le jeu des ultimes barricades
Si je n’y suis cloué par de splendides
races :
La nuit sur son plateau verse un
quartier d’étoile :
N’est, d’un pleur si brûlant que le
gardien de phare,
Ce sourcilleux donjon, mer, votre
amant en nage.
Troublante, dans le
mystère de cette relation, est la fidélité de Jean-Pierre Lacloche qui
accompagna Olivier Larronde au-delà de la mort : en 1965, c’est
Jean-Pierre Lacloche qui trouve à Olivier Larronde une concession au cimetière
de Samoreau, près de Valvins, aux côtés de Stéphane Mallarmé. En 2006
Jean-Pierre Lacloche rejoint son ami dans la mort dans la même tombe, quarante
et un ans après.
Troublant est le poème,
au-delà de l’évocation d’une nuit d’amour dissimulée dans l’écume blanche d’une
mer rendue le témoin de cette relation. On y découvre Mallarmé, on y lit Genet
dans la rigueur implacable des mots. Il faudra qu’on y revienne, quand on sait
que c’est Genet, qui pleurant à l’audition des poèmes de Larronde, brusqua
Cocteau qui en avait négligé la lecture.
Dans la publication aux
éditions de l’Arbalète de 1990, Marc Barbezat, le pharmacien de Décines, a
voulu réunir les témoignages unanimes des proches d’Olivier Larronde. On y lit
quelques phrases de Genet rapportées par Barbezat. Je ne suis pas sûr de la
fidélité de ce qu’a pu dire Genet, mais, sans doute, la substance y est-elle :
« Olivier Larronde possédait le ton de voix.
Peu importe qu’il ait écrit cent poèmes ou trois. Il y a des poèmes plus ou
moins réussis, plus ou moins bien. Mais ce qui compte, c’est son ton de voix. »
Parmi les témoignages est
celui de Michael Wishart, ami de Lucian Freud et de Francis Bacon :
« Lucian Freud s’était lié avec deux jeunes
gens qui partageaient une chambre à côté de la sienne. Ils étaient inséparables
et le fait que les gens les prissent pour des pédérastes les laissait
indifférents.
L’un d’eux
était Olivier Larronde. Le sort lui avait été favorable en lui faisant
rencontrer un jeune homme d’une intelligence et d’une beauté exceptionnelle qui
allait devenir son protecteur tout au long de sa courte vie. De telles amitiés,
on les trouve dans les livres, c’est la seule que j’ai connue. »
Olivier Larronde était
sujet à des crises d’épilepsie dont l’une des premières se déclencha à la mort
de son père en 1939. Faut-il considérer que la vie lui était devenue
impossible, ne parlant que très peu hormis à déclamer ses propres poèmes,
rencontrant une somme incroyable d’artistes — Alberto Giacometti, notamment —
dont tous témoignèrent de son exceptionnel rayonnement ?
C’est en clochard, barbu,
assommé d’alcool qu’il termina sa vie, retrouvé étouffé dans ses oreillers,
devenu peut-être le parent de Marcel Bascoulard, perdu à tout jamais dans les
fantômes de ses mots.
Son deuxième recueil,
anagramme de son nom, s’intitule Rien
voilà l’ordre, paru en 1959. De ce jeu de mot, terrible dans sa réunion de l'ordre et du chaos dont il se faisait ainsi l'incarnation, Gaston Bachelard
écrivit : «[…] Ah ! si je
faisais encore mes cours à la Sorbonne, avec un ‘tel motif’ je ferais toute une
métaphysique […] »
Faut-il rajouter
qu’Olivier Larronde était d’une insolente beauté, non éloignée de celle de René
Crevel, devant laquelle on ne peut que s’incliner, avec tristesse et
bouleversement ?
8 commentaires:
Merci de remettre en avant ce poète unique.
Passionnant.
J'ai pensé, aussi, bien sûr, à René Crevel.
Lisant le beau texte dédié à Lacloche, je mesure combien la poésie fait cruellement défaut à l'époque actuelle.
Dans les poëtes maudits, y a t'il la place pour Garcia LLorca?
J'avais consacré plusieurs billets à Federico Garcia Lorca. Maudit ? Sans doute par sa fin tragique, mais son oeuvre est aujourd'hui portée très haut dans la littérature hispanique.
En France la poésie n'a plus beaucoup de visibilité...
honte à moi ! je ne connaissais pas. je néglige la poèsie ! et pourtant en ai-je révélé des auteurs à des publics divers z'et variés.
me revient dun souvenir : 1986, le Festival du Marais a pour thème " vienne, fin de siècle et modernité » avec les pièces d'Arthur Schnitzler (Au Perroquet vert) et du Rilke. vérole de moine. quelles soirées. il y avait un public fervent et pas du tout effarouché pour entendre des poèmes. mais bon. j'étais djeun !
Merci pour cette découverte !
Avec plaisir, Jérôme.
Je ne connaissais pas non plus. Ah Celeos, tu nous es précieux!!!merci de partager ces éléments!
Et oui, aujourd'j=hui, la poésie est bien invisible, et pourtant si nécessaire. Voir récemment une tribune dans le monde d'un écrivain africain, sur l'impérieuse nécessité de la poésie, dans notre monde qui perd de son sens...
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