C’est réduire le mythe d’Œdipe à sa plus simple
expression que de n’y voir qu’une relation difficile entre son père et lui
visant à l’éliminer pour pouvoir filer le grand amour avec sa mère. Sigmund
Freud, dans son approche lui permettant de comprendre la complexité des
relations réglant les sexes et les générations, en donne, sans toutefois
expliciter tous les ressorts, une approche qu’il définit comme un complexe. Claude Lévi-Strauss tente de
déplier, à partir des signifiants linguistiques notamment, la manière dont le
mythe joue une base de référence universelle pour les sociétés.
Dans les sources consacrées au mythe, il y a
d’abord Sophocle, même si de nombreuses sources sont constitutives de ce même
mythe : Œdipe roi reste
l’histoire de référence dans laquelle apparaissent les protagonistes. Voici le
mythe :
À Thèbes
règne le roi Laïos, époux de Jocaste. Leur fils vient de naître, dont le mythe
ne donne pas le nom. Le devin, Tirésias, qui est aveugle donne un oracle : le fils qui est né est
marqué par le destin, il tuera son père et épousera sa mère. Bien évidemment,
cet oracle n’est pas acceptable. Il convient de rejeter l’enfant, et selon la
pratique, de l’exposer, c'est-à-dire
de le laisser mourir, abandonné à son sort. Pour cela un serviteur l’a emmené
au loin de Thèbes, aux environs de Corinthe, et lui ayant percé les pieds,
passé une lanière dans ces mêmes pieds et attaché à un arbre, le sort doit
faire en sorte qu’il meure de faim ou mangé par des bêtes sauvages.
Le destin intervient en effet, mais pas dans le
sens imaginé par le roi Laïos : un berger trouve l’enfant, le recueille,
le soigne, et le confie à son maître qui n’avait pas de fils. Là, un nom lui
est donné : Œdipe, c'est-à-dire
« Pied enflé », de la cicatrice qu’il conservera sa vie durant
d’avoir eu les pieds percés. C’est également dire que son propre nom est la
marque de son destin, puisque laissé volontairement à la mort, les Moires
n’ont pas permis qu’il disparaisse.
Œdipe grandit ainsi à la cour du roi de Corinthe,
Polybos, et de sa femme Péribœa sans problème jusqu’à l’âge d’homme. Là, un
jour, au cours d’une dispute avec un autre Corinthien, celui-ci pour l’insulter
lui révèle qu’il est sans père, qu’il est un enfant trouvé. Œdipe interroge
alors Polybos, et celui-ci, sur l’insistance d’Œdipe, lui avoue la vérité.
Œdipe décide de partir à Delphes interroger la Pythie. Celle-ci lui révèle ce
que Tirésias avait déjà annoncé à la naissance d’Œdipe, qu’il tuerait son père
et épouserait sa mère. Œdipe s’enfuit, épouvanté, imaginant qu’il s’agit de son
père et de sa mère adoptifs, qu’il pense être ses vrais parents.
Désorienté, Œdipe poursuit sa route qui le mène au
carrefour de Mégas, où se retrouvent la route qui monte à Delphes, celle venant
de Daulis et celle de Thèbes. Là, le chemin est enserré entre des rochers ne
laissant le passage qu’à un seul convoi. Un autre char veut passer, annoncé par
le héraut Polyphontès, qui devance Laïos. Trouvant que le convoi d’Œdipe ne se
pousse pas assez rapidement, Polyphontès tue l’un des chevaux d’Œdipe. En
colère, Œdipe tire alors son épée et tue successivement Polyphontès et Laïos,
sans toutefois connaître leur identité.
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Jean-Auguste-Dominique Ingres - Œdipe explique l'énigme au Sphinx - 1827 |
Poursuivant son chemin, Œdipe arrive aux alentours
de Thèbes. Il est arrêté par le Sphinx, au corps pour moitié de lion, et de
femme pour l’autre moitié. Le Sphinx a pour habitude de dévorer les passants
qui se présentent par hasard à ses yeux, et les interroge d’abord par des
énigmes reposant sur l’interprétation d’allégories. Parmi celles-ci, le Sphinx
demande : « Ce sont deux sœurs qui s’engendrent l’une et l’autre,
successivement. Qui sont-elles ? » Si le passant ne peut répondre, le
Sphinx se précipite sur lui et le dévore. C’est ce qui arrive notamment à
Hæmon, fils de Créon, frère de Jocaste, qui n’a su deviner que le Sphinx
évoquait le jour et la nuit (ημέρα και νύχτα,
qui sont toutes deux au féminin en grec).
Quand Œdipe se trouve devant le Sphinx, celui-ci
l’arrête et lui demande : « Quel est l’animal qui marche parfois à
quatre pattes, parfois sur deux pattes, parfois sur trois, et qui est le plus
vulnérable quand il est sur quatre pattes ? » Œdipe répond alors sans
hésiter : « C’est l’homme, qui se meut sur ses genoux et sur ses
mains pendant son enfance, marche de manière assurée arrivé à l’âge adulte, et
recourt aux services d’un bâton pour soutenir sa marche arrivé dans ses vieux
jours. » D’entendre la bonne réponse, le Sphinx se précipite dans le vide
depuis son rocher.
La nouvelle de la mort du Sphinx du fait d’Œdipe
étant parvenue à Thèbes, et pour le remercier d’avoir vengé son fils, Créon,
régent depuis la mort de Laïos, propose à Œdipe la royauté de Thèbes, et pour
cela, d’épouser la reine Jocaste.
Les années passant, Œdipe et Jocaste ont eu quatre
enfants, Antigone et Ismène leurs filles, Etéocle et Polynice, leurs fils. Le
destin doit continuer son accomplissement pour Œdipe : la peste survient à
Thèbes, et comme toujours, si un événement de cette ampleur intervient, c’est
en punition d’une faute dont il faut trouver l’auteur jusqu’à l’apaisement de la
colère des dieux.
On envoie alors à Delphes un émissaire consulter la
Pythie. Celle-ci répond que la peste ne cessera que si la mort de Laïos est
vengée. Le roi Œdipe prononce alors une malédiction sur l’auteur du crime
contre Laïos, et interroge le vieux Tirésias pour connaître l’assassin. Or
Tirésias ne peut répondre, bien que connaissant toute la vérité. Il tergiverse,
et Œdipe imagine que c’est son beau-frère, Créon, qui, à l’aide de Tirésias est
l’auteur du crime. Œdipe et Créon commencent à se quereller, et Jocaste tente
d’apaiser la colère qui mène Œdipe et Créon. Tirésias rappelle l’oracle qu’il
avait prononcé autrefois ; mais Jocaste lui rétorque qu’il n’est pas le
devin qu’il prétend être puisque sa prédiction ne s’est pas réalisée, et que
Laïos n’a pas été tué par son fils, mais par un inconnu au carrefour de Mégas.
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Fernand Khnopff, Le Sphinx - 1896 |
À ces mots, Œdipe est pris d’un doute : il se
fait décrire Laïos, et le char qui le transportait sur la route de Delphes. Il
fait venir d’un lointain village le serviteur qui accompagnait Laïos, et qui
avait été témoin du meurtre. C’est ce même serviteur qui avait éloigné l’enfant
de Laïos et de Jocaste pour qu’il soit exposé.
Or un messager arrive de Corinthe pour annoncer la
mort de Polybos, et demander le retour d’Œdipe à Corinthe pour régner à la
place du roi défunt. Œdipe est empli de doute. S’il est marqué par le destin et
l’oracle qui avait annoncé son accomplissement, ne risque-t-il pas l’inceste
avec Péribœa ? Mais Polybos est mort de vieillesse, et l’oracle s’est donc
trompé. Mais le messager le rassure : Œdipe est bien un enfant trouvé, et
Péribœa n’est pas la mère d’Œdipe.
Dès lors la vérité doit éclater : c’est bien
Œdipe qui a tué Laïos à Mégas, qui a ainsi tué son père et commis un inceste
avec sa mère. Jocaste est suffoquée ; elle ne peut en supporter davantage,
court dans son palais et se jette par une fenêtre. De douleur, Œdipe se crève
les yeux avec une broche de Jocaste, et, soumis à la malédiction qu’il a
lui-même prononcée contre l’auteur du meurtre de Laïos, s’enfuit, errant sur
les routes, accompagné de la seule Antigone, sa fille. Ses deux fils l’ont
rejeté, contre lesquels Œdipe prononce une dernière malédiction.
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Jean Cocteau et Jean Marais, Le testament d'Orphée - 1959 |
Les dieux ont fait savoir qu’ayant expié sa faute,
la ville qui accueillerait la sépulture d’Œdipe serait un lieu béni. Aussi, Créon
et Polynice tentent de faire revenir Œdipe à Thèbes ; mais après son
voyage et ses souffrances au long de la route, et accueilli avec compassion par
Thésée, Œdipe demeure à Colonne, en Attique, où il termine ses jours soutenu
par Antigone, et plein d’amertume contre les dieux.
Telle est l’histoire d’Œdipe, ainsi qu’on me l’a
racontée, à moi Celeos. Mais Homère et Sophocle en savaient davantage ;
aussi me tais-je maintenant.
© Celeos
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Bénigne Gagneraux, Jeune homme lisant Homère - ca fin XVIIIe |