Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 31 octobre 2017

Variations autour d'un roman d'Erri de Luca (1)

De passage à Draguignan cet été, je m’arrête à la librairie du Boulevard Foch. Elle porte un joli nom : Lo Païs, « Le Pays ». En occitan, ce terme est suffisamment flou pour qu’il ne justifie aucun nationalisme. Le pays, c’est là où l’on vit ; c’est l’endroit où l’on a posé ses pénates qui ne sont pas forcément mieux là qu’ailleurs, mais c’est surtout le lieu où l’on a fait son nid. Après, on peut avoir de nombreux nids, et aimer changer souvent, comme une forme de nomadisme. Ça n’est pas incompatible. On a simplement des horizons qui parlent davantage aux sens, parce que souvent des émotions y sont nées, se sont épanouies comme fleurs au soleil. Il faut seulement faire en sorte que les fleurs ne fanent pas. Au pire, qu’elles deviennent des fleurs séchées, des immortelles dont on ne s’aperçoit qu’à peine qu’elles ont pris un peu de poussière. Le monde devient alors comme une sorte de grae nde maison, un luxe bourgeois absolu, dont on visite certaines pièces de temps en temps. On s’y rappelle avoir lu, discuté, aimé. Il en reste cet immense espace de nostalgie dans lequel les fantômes errent parfois en rappelant au visiteur ce qu’il a été, ce qu’il aurait pu être d’une situation évanouie dans le temps. Les tribulations en sont parfois surprenantes ou tout au moins inattendues. C’est dans l’un de ces espaces que j’avais recherché Jean-Marie.
Une librairie m’est toujours  une espèce de moment suspendu, où l’ordinaire s’arrête pour me permettre de laisser une proposition se déclarer quand, au dehors, il est devenu nécessaire de marquer une pause, voire de devoir se réfugier dans les mots et les pensées d’un auteur ; c’est sans doute au point que la vie elle-même ne saurait se dérouler sans une traduction que seule l’écriture est à même d’apporter. Il faut alors se défaire de toutes les mauvaises habitudes et tous les pièges ordinaires que le langage oral pourrait laisser croire prolifique ; il n’est qu’une illusion supplémentaire qui confond la séduction avec le désir de pénétrer plus précisément l’esprit d’un interlocuteur sans autre procès que de croire que les mots ont eu, là, à un instant très précis, le même sens pour chacun des interlocuteurs. Il faut sans doute rapidement se ressaisir, s’emparer du silence, se reconstituer afin de n’être affecté par quoi que ce soit d’autre que l’ombre tournante des choses qui se rient du passant. Et partir, par la suite, comme si rien ne s’était passé, comme si aucun atome n’avait bougé dans la mémoire du temps, en sachant que jamais aucun autre instant ne pourra donner l’illusion d’un éternel retour.
L’auteur avec lequel j’ai rendez-vous dans cette librairie est Erri de Luca. Le livre est paru l’an dernier en Italie, au mois de mai dernier pour la traduction française. J’ai cherché ensuite à Rome, non de manière assidue toutefois, la version originale en italien, mais sans succès. La couverture attire aussitôt mon œil et je sais que c’est ce livre singulièrement qui est la raison véritable pour laquelle je suis entré dans la librairie. La nature exposée/La natura esposta. L’écriture d’Erri de Luca me trouble. Le personnage est surprenant, attachant. Il fut pendant les années d’ébullition en Italie l’un des dirigeants du mouvement Lotta continua.  Si l’on s’attache à une sociologie de cette période, on saisit la situation d’impasse que constitue la compréhension de la situation sociale de l’Italie. Le cinéma néoréaliste montre ce qu’il en est d’un pays où, comme en France, l’exode rural a emporté vers les cités industrielles une population qui est le prolétariat démuni, dont la capacité de travail reste la seule richesse. Le Parti communiste italien vit peut-être alors ses plus belles heures, fort d’un espoir porté conjointement par la foi catholique que cette population traduit par l’adhésion à la croyance que l’avenir sera plus radieux. Néanmoins, les critiques portées depuis toujours par les intellectuels et notamment le cinéma néoréaliste  joue d’un poids essentiel dans l’orientation des mouvements d’une critique radicale qui s’expriment dans les années 1960 et 1970. Lotta continua est de cette nature qui naît à la fin des années 1960 dans la région de Turin, où la population ouvrière est la plus nombreuse. On croit encore que la Chine peut être un modèle avec sa « révolution culturelle » et on ne sait pas encore de quelle cruauté le pouvoir du Parti communiste chinois a pu se rendre coupable. Le communisme idéalisé est pétri d’idéologie chrétienne dans laquelle aucun privilège de classe ne saurait être toléré. On croit que les intellectuels, dont la culture est issue de leur position de classe, sont infiniment redevables au peuple des avantages qui consistent à ne pas se salir les mains devant une machine ou dans les rizières aux images plaisantes pour l’Occident. On fantasme alors, en Occident sur ces mesures qui consistent à rééduquer ces intellectuels. L’éloignement du réel, qu’est la transformation de la matière, a déformé la pensée. Le confort bourgeois apporté par les livres et la lecture a détourné les intellectuels de l’objet de leur nature qui était d’éclairer ceux qui n’avaient pas les mêmes facilités à comprendre le monde. La praxis définie par Aristote, revue par les penseurs marxistes est la forme par laquelle les intellectuels doivent se ressaisir, retrouver l’articulation entre le sens du réel, de la matière qui forme la nature des hommes dans leur relation au travail et le sens social qui permet de comprendre où est la place de chacun dans une société sans classe.
Ce challenge, intenable, n’est mené que pour exercer, en Chine, les revanches des frustrations de ceux qui ont compris comment fonctionnent le pouvoir et la domination. On n’en parle pas encore de cette manière pour autant, mais l’envoi dans les champs des intellectuels, les destructions d’œuvres artistiques ou patrimoniales, l’hystérisation de la société contre ce qui peut être rattaché à l’ancienne Chine ne sont connues que plus tardivement. Le principe est tel, en tout cas, qu’il consiste à mettre les intellectuels derrière ce qui peut ainsi réduire à néant leur nature pour se soumettre aux seules valeurs que le travail manuel peut représenter dans ses symboles.


Les organisations maoïstes répandent en Occident ce parfum d’exotisme venu de Chine, mais trouvent un terreau fertile dans l’idée qu’accompagner le prolétariat dans ses tâches les plus humbles permet aux intellectuels de s’approprier réellement la pensée prolétarienne. Cette vaste blague — croire qu’il existerait une pensée prolétarienne à même de s’approprier les termes de son devenir — est menée en France par quelques intellectuels tels que Serge July qui applique plus tard sa praxis du monde libéral au journal Libération, et de quelques autres qui comprennent vite l’aporie de ce type de pratique. On me reprocherait de ne pas citer également Benny Lévy, philosophe engagé dans la Gauche prolétarienne, d’où sortira Libération, journal dans lequel Benny Lévy signait ses articles sous le pseudonyme de Pierre Victor. Quittant celui qu’il était avec Pierre Victor, Benny Lévy rejoint la philosophie d’Emmanuel Lévinas, et la longue tradition d’exégèse des philosophes phénoménologues qui se passionnaient pour le Talmud. On railla ainsi ceux qui passèrent de manière aussi facilement en quelques années, de Mao Tse Toung — on n’écrivait pas encore Mao Dzedong — à Moïse. Cette transformation n’est toutefois pas anecdotique : ce que l’échec de l’action directe immédiate implique est un renoncement à mobiliser collectivement pour passer dans une transcendance par le retour à l’étude et à l’écriture. L’illusion de la transformation sociale est dissipée par la conscience forte que ce que les chrétiens appellent le salut passe comme seul recours par l’identification à l’Autre en ce que sa nature reste celle d’un humilié. Le retour, d’une autre manière, à la modestie de l’action. Et le goût, dit Lévinas, de comprendre l’apparence de la nudité dont celle du visage reste la plus évidente.
Aporie de conduire une praxis dans les milieux ouvriers, donc. Sauf à y trouver, par goût de l’humilité chrétienne, les satisfactions de l’esprit dont le narcissisme propre aux intellectuels devient exclu. Peut-être est-ce un jeu d’ailleurs, un comble d’orgueil hypostasié, qui consiste, à ses propres yeux, à créer un hiatus social entre ses propres qualités intellectuelles et leur déconnexion à une valeur du travail qui ne requiert que celles du prolétariat, des seules forces physiques. Alors, sans doute, sans qui que ce soit puisse le savoir, revient l’estime de soi, la satisfaction de n’agir que dans une gratuité dont le paiement en retour se trouve dans une autre dimension du monde. La notion d’espoir à la sauce téléologique.
C’est ce qu’a vécu Erri de Luca pendant les longues années où il a maîtrisé son corps et son esprit à la lecture et à l’écriture, à arpenter les lieux de montagne, comme si le renoncement à toute autre forme d’engagement qui ne puisse passer par le truchement de l’écriture et de la lecture restait vain. Et à nourrir une passion forte pour l’hébreu et les écritures que cette langue a servies. Sont restées vaines, en effet, les actions d’éclat menées en Italie par les groupes radicaux, en lutte contre un État corrodé par les partis traditionnels, la mafia, l’inertie sociétale maintenue par une église catholique désespérante. On croit mieux savoir aujourd’hui que l’assassinat insensé d’Aldo Moro fut une provocation de l’extrême droite infiltrée dans les Brigate rosse. Qui n’avait pas vraiment à voir avec Lotta continua, où se trouvait Erri de Luca. Le visage du combat social italien en fut changé. Les anciens des Brigate rosse furent conduits à une vie solitaire de fuyards n’ayant d’autre solution que de se fondre dans un anonymat repentant, ou, la force de l’esprit revenant, reprendre la réflexion politique dans un combat intellectuel complexe, sans moyen contre les formes élaborées de l’État moderne et de la déréliction d’un mouvement plus radical devenu incapable de s’organiser. Cesare Battisti écrivit des romans policiers, avant d’être rattrapé par la nature revancharde de la droite et de l’État italien. Son sort est, aujourd’hui, lié à la décision d’un juge brésilien qui décidera de son extradition ou non vers l’Italie.
Bref, la littérature italienne dans ce qu’elle a de meilleur aujourd’hui est nourrie de manière consciente ou non par les décennies des luttes sociales italiennes pour lesquelles on serait tenté de croire que le plomb qui a servi d’épithète à la période de leur acmé s’attache aujourd’hui à masquer en Italie comme dans le reste de l’Europe la lente progression des répressions de l’État, la carcéralisation globale de la société telle que tout ressemble tellement à la naissance de l’État moderne des XVIe et XVIIe siècles : tout doit passer sous le contrôle policier. La relative libéralisation des circulations de personnes fait place à la surveillance généralisée, si facile depuis que la numérisation et le passage obligé par Internet comptabilise chaque déplacement, chaque achat, chaque pensée.
À Draguignan, ayant en main le livre qui va m’accompagner, la libraire a envie de me parler de l’auteur. « Erri de Luca, c’est pas un marrant ! » 
- « Ce n’est pas ce qu’on lui demande », lui réponds-je. « C’est un écrivain important, et ce qu’il écrit est tout de gravité… » 
- « Oui, bien sûr, mais il est venu ici à Draguignan, au mois de février faire une signature, et on regrette un peu de l’avoir fait venir, parce qu’il n’aime pas parler avec les gens. Il m’a dit qu’il trouvait que les signatures dans les librairies ou dans les salons étaient des simagrées… »
Je comprends le dépit de la libraire. Organiser une signature d’auteur n’est jamais facile, et une librairie de province prend parfois des risques financiers. La situation du livre aujourd’hui n’est pas très facile pour une librairie indépendante. J’imagine Erri de Luca, homme un peu austère, qui doit commercer avec les poncifs que les lecteurs, pourtant tout de bonne composition, doivent inévitablement lui servir. « J’ai beaucoup aimé tel livre… J’ai préféré celui-là ». L’auteur doit se prêter à ce jeu que lui conseillent généralement son éditeur et les attachés de presse. Pour un résultat de vente qui n’est pas forcément significatif. J’imagine également le repas prévu presque toujours après la signature, et les conversations sans grand intérêt pour l’auteur s’il n’a pas face à lui une personne en mesure de partager les véritables intérêts qui ne sont pas ceux des mondanités littéraires. Il faut être suffisamment narcissique pour que ce temps qui paraît déjà perdu apporte la satisfaction des louanges inutiles ou des flagorneries habituelles.
Je compatis à la déception de la libraire. Et me dis que la présence d’Erri de Luca n’était pas forcément requise dans cette petite librairie d’une ville un peu reculée. Mais il accepte volontiers de passer devant une caméra de télévision ou devant le microphone d’une radio nationale… N’est-ce pas une démarche de même nature après tout ? 

Je laisse la librairie, et Draguignan. Le livre en poche, que je lis un peu plus tard, et finalement dans le train qui me mène à Rome, je reste amusé par le malentendu que constitue un roman. En fait ce n’est pas tant l’auteur qui m’a convaincu d’acheter le livre, mais le sujet qui m’a interpellé. L’éditeur ne s’est pas trompé qui a mis en première de couverture la photographie du ventre d’un christ en ivoire dont le sexe est simplement caché par un linge, retenu par une corde. C’est ce sexe dissimulé qui m’a incité à ouvrir le livre.
(A suivre)

lundi 30 octobre 2017

Hommage à Jacques Sauvageot

Jacques Sauvageot fut l'un du triumvirat - Cohn-Bendit, Geismar et Sauvageot - qui illustra le mouvement étudiant en 1968. Il vient de disparaître des suites d'un accident de circulation - il a été renversé par un scooter -  à l'âge de 74 ans.

Il y a quelques jours, j'évoquais ici la période de mai 1968 dont Daniel Cohen-Bendit reste une figure marquante, pas la plus sympathique à mon sens. C'est l'occasion de dire que Jacques Sauvageot, président alors de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) fut un responsable discret, efficace et relativement réservé dans les périodes qui suivirent les événements de mai 1968. Je ne paraphraserai pas ce qu'on peut lire ici ou là dans la presse : Libération me semble avoir fait un bon papier, consultable ici. Incontestablement la période que nous vivons semble un peu oublieuse de la nature des engagements d'alors. C'est sans doute très normal. Il faut laisser le temps faire son travail, et la disparition de Jacques Sauvageot est un signe supplémentaire de cette poussière du temps qui s'accumule. Pensée pour lui qui, je veux le croire, fut un homme intègre.

Voici néanmoins des images d'archives de mai 1968 qui vont du 6  au 13 mai. On se reportera à la chronologie des événements, par exemple sur Wikipédia ici, pour comprendre la manière dont les événements se sont enchaînés alors jusqu'au retour à l'«ordre».  Jacques Sauvageot apparaît à la minute 6:00. 

Il demeure de cette période le sentiment d'une longue histoire du mouvement social dans lequel les engagements ouvriers et étudiants se sont brièvement rencontrés. J'ose croire qu'ils n'ont pas tout à fait disparu.


dimanche 29 octobre 2017

Petit pays/Μικρή Πατρίδα

Il n'y a pas à voyager loin quand chaque jour est une nouvelle découverte du monde...

La voix de Pantelís Theoharídis/Παντελής Θεοχαρίδης La musique de Giórgos Andréou/Γιώργος Ανδρέου Les paroles de Paraskevás Karasoúlos/Παρασκευάς Καρασούλος

Bon dimanche au soleil d'automne !

vendredi 27 octobre 2017

Mauro Durante a la notte de la taranta

Le monde est rempli de gens piqués, ne trouvez-vous pas ? Par la tarentule, s'entend, de la famille des arachnides. Alors on se prend pour Napoléon, César, Vasco de Gama, e tutti quanti... La seule façon de s'en sortir est la tarentelle dont les soubresauts permettent de faire s'échapper le venin de la vilaine bête. On se réveille le matin avec un regard rasséréné sur le monde et sans la pénible obsession de vouloir le dévorer...




jeudi 26 octobre 2017

Sokratis Sinopoulos - Madilatos

Le quartet de Sokrátis Sinópoulos/Σωκράτης Σινόπουλος dans une pièce de musique traditionnelle grecque, Μαντηλάτος, «le châle».
Une belle place est faite à la lyra/λύρα, qui est tout à la fois cousine du rebec et de la viole, jouée par Socrátis lui-même.

mercredi 25 octobre 2017

mardi 24 octobre 2017

L'espoir

L'espoir est un terme qui ne peut se concevoir qu'avec un complément de nom, sans lequel il ne pourrait être qu'une sorte de cliché poétique. Accordons toutefois que dans les situations les plus désespérantes, un trait infime de lumière pourrait être cet objet par lequel on peut imaginer que le meilleur peut arriver...


lundi 23 octobre 2017

Zelim Bakaev assassiné

Je n'en sais pas davantage : on apprend sur la toile que le jeune chanteur tchétchène Zelim Bakaev est mort sous la torture de la police tchétchène. Il était soupçonné d'homosexualité.
Les barbares continuent sous le silence feutré de l'Occident, qui poursuit lui-même ses propres turpitudes même s'il y a un degré dans les dégueulasseries. Il aurait disparu le 8 août dernier, et le site Back2stonewall.com le donne pour mort. Histoire à suivre, certainement.


Diciasette anni

Un joli court lorsque la vie est tout aussi compliquée dans ces Alpes italophones du Tessin...
(voilà,  c'est corrigé !)

dimanche 22 octobre 2017

Bertrand Chamayou et Franz Liszt

Ce dimanche n'est pas très ensoleillé, me dit-on. Profitons-en pour écouter l'excellent Bertrand Chamayou, un Toulousain, parler de Lizst. Et le jouer. Comme on se rapproche du temps des morts, la deuxième vidéo est la Totentanz  «Danse des morts» de Franz Liszt, avec l'Orchestre symphonique de Francfort dirigé par Jeremie Rohrer.

Dimanche coucounage. Fainéantez à votre aise, aussi longtemps que votre envie vous le dit !




samedi 21 octobre 2017

Une fugue

Catherine  et Maxime Le Forestier avaient composé une petite fugue, en hommage à Jean-Sébastien Bach, d'une remarquable fraîcheur. On y entend en contrepoint, la voix de Maxime, qui est bien plus beau, jeune, sans barbe. Et comme on ne se lasse pas de ces petits moments de poésie musicale devenus plus rares aujourd'hui, la deuxième vidéo est une chanson de Georges Moustaki, Joseph, qui a été composée en 1966, où l'on voit que Maxime n'a pas encore traversé, en ce qui concerne sa façon de s'habiller, le vent de mai 1968. Ils étaient, en tout cas, tous deux très beaux...


vendredi 20 octobre 2017

Jour de pluie

Concomitance des dates, le 17 octobre 1961, plus près de nous que la Révolution russe, est ce jour détestable où la police de de Gaulle et de Papon jetèrent les Algériens qui manifestaient à l'appel du FLN dans la Seine. Je me souviens que Jean-Luc Einaudi fit remonter à la surface des mémoires le rôle que joua ce préfet, Maurice Papon, dans la déportation des enfants juifs lorsqu'il était sous-préfet, secrétaire général de la Gironde. 

Les chiffres de Jean-Luc Einaudi concernant les jetés à la Seine furent contestés par Jean-Paul Brunet ; néanmoins, quel que soit le chiffre, la démarche de Jean-Luc Einaudi montra la continuité d'une pensée de l'Etat français qui ne disparut pas sous de Gaulle, trop soucieux de lisser les aspérités d'une société en pleine ébullition notamment de ses colonies. On peut penser légitimement que le successeur de Maurice Papon, Maurice Grimaud, n'aurait pas permis que se déroule un tel massacre. Il y eut également, quelques mois plus tard, le 8 février 1962, la manifestation contre la guerre en Algérie qui se solde par neuf morts et deux-cent cinquante blessés dus aux charges et aux coups de la police. Les événements ne dépendent pas seulement des déterminismes, mais également de la force morale des individus.

Cette vidéo de Jhon Rachid arrive à point nommé pour évoquer ces moments. C'est une vidéo émouvante qui fait passer loin l'envie de rire ou de sourire.



Philippe Léotard - Saturne

Le grand et regretté Philippe Léotard fut un bel interprète de Georges Brassens. Saturne est sans doute l’une de ses plus belles chansons, à laquelle la voix pleine de relief de Philippe Léotard donne une dimension sans égale.

jeudi 19 octobre 2017

La tempe saigna

«Ici, en 1945, il s'est donc trouvé 2 hommes face à face et l'un a tiré sur l'autre», m'écrivez-vous, Marie, après cette promenade où vous découvrez par une plaque posée sur le sol ce qui s'est passé en 1945. L'un avait le choix de ne pas tirer, et ne l'a pas fait. La question du meurtre reste posée, même dans le contexte d'une guerre qui s'achève. Jean Genet au travers de l'ensemble de son oeuvre interroge le crime et sa capacité à transformer celui qui le commet afin d'être projeté dans la pire condition qui soit pour la société, celle de l'homicide volontaire. Le contexte de la guerre est censé absoudre l'assassin dont il ne viendrait même pas à l'idée d'affubler ce terme à celui qui tue au nom de la société. L'assassin, le bourreau.



Dans la sublimation du meurtre commis par Maurice Pilorge, que Jean Genet a peut-être croisé en prison, et auquel il dédie le poème  du Condamné à mort, mais n'a connu réellement que par les articles que la presse écrit, dans la délectation sociale du fait divers, Jean Genet insiste sur la gratuité du crime commis par Maurice Pilorge de son amant Escudero avec lequel il cambriolait des villas sur la Côte d'Azur. La mort que vient sanctionner la société sur la personne de Maurice Pilorge, mort voulue, revendiquée, apparaît alors comme la conséquence logique du refus de toute compromission avec le monde, avec «votre monde», écrivait Jean Genet.


Dans Journal du voleur, à la page 223 de l'édition de 1949, la réflexion de Jean Genet aborde la notion de sainteté, la place que prend le héros dont il souligne la posture équivoque. Il imagine la lutte de deux soldats, amis ou amants, dont la relation ne peut que se dissoudre dans la mort et dans la nature qui la sublime en floraison :


«La tempe saigna. Deux soldats venant de se battre pour une raison qu'ils avaient depuis longtemps oubliée, le plus jeune tomba, la tempe éclatée sous le poing de fer de l'autre qui regarda le sang couler, devenir une touffe de primevères. Rapidement, cette floraison se répandit. Elle gagna le visage qui fut bientôt recouvert de milliers de ces fleurs serrées violettes et douces comme le vin que vomissent les soldats. Enfin, tout le corps du jeune homme écroulé dans la poussière, ne fut qu'un tertre dont les primevères grandirent assez pour être des marguerites où passait le vent. Seul un bras resta visible et s'agita, mais le vent bougeait toutes ces herbes. Le vainqueur bientôt ne vit plus qu'une main disant le maladroit signe de l'adieu et de l'amitié désespérée. A son tour, cette main disparut, prise dans le terreau fleuri. Le vent cessa lentement, avec regret. Le ciel s'obscurcit qui éclairait d'abord l'œil du jeune soldat brutal et meurtrier. Il ne pleura pas. Il s'assit sur ce tertre qu'était devenu son ami. Le vent bougea un peu, mais un peu moins. Le soldat fit le geste de chasser les cheveux de ses yeux et il se reposa. Il s'endormit.


Le sourire de la tragédie est encore commandé par une sorte d'humour à l'égard des Dieux. Le héros tragique délicatement nargue son destin. Il l'accomplit si gentiment que l'objet cette fois ce n'est pas l'homme, mais les Dieux.»

mercredi 18 octobre 2017

De la peau et des os

Ahmad Joudeh  danse sur le toit de sa maison à Damas. Danser contre la barbarie est un beau défi.  Une imploration dont le ciel, assourdi par les bombes et les pleurs a parfois la capacité de percevoir la grâce.


lundi 16 octobre 2017

Le landau d'Eisenstein

Comme il est curieux de constater que le centenaire de la Révolution d'octobre en Russie passe plutôt inaperçu ! C'est un landau qui me l'a rappelé l'autre jour, dans une salle d'attente où un jeune couple était présent. Le papa, garçon moderne, faisait boire son bébé avec un biberon. Devant lui se tenait le landau du bébé, et je me faisais la réflexion que les enfants occidentaux sont magnifiquement pourvus d'un incroyable confort ; on ne saurait laisser sa progéniture sans la doter de ce qu'on fait de mieux en matière de technologie: suspension, amortisseurs… ne manquent que les jantes alu et les spoilers. J’exagère, bien sûr. Mais sur le châssis du landau, une marque est apposée, ou une indication, je ne sais : « High trek ». En anglais, a trek est un « voyage difficile » ; faire un trekking est une course dans des conditions aventurières qui indique le degré de sportivité de celui qui l’accomplit. J’en conclus que le landau en question est prêt à courir dans des conditions extrêmes, ce qui n’est a priori pas le destin normal d’un enfant que l’on mène dans son landau. À moins que ? 

Subitement me revient à l’esprit ce landau qui dévale dans l’escalier. C’est Le Cuirassé Potemkine, de Serguèi Eisenstein dont la scène est un moment incontournable de l’histoire du cinéma. Cette scène a-t-elle influencé les constructeurs de landaus ? Toujours est-il qu’Eisenstein, cinéaste génial aussi bien dans Le Cuirassé Potemkine que dans Ivan le terrible a marqué les esprits. Peut-être la période expressionniste a-t-elle été le retour à la force de l’image, dans ses excès, dans son souci de monstration, dans la manière, en tout cas, de montrer à quel point les cruautés politiques et sociales sont vécues dans la douleur de ces déchaînements de violence. Rien n’a changé, finalement, sinon les technologies qui permettent de croire que les landaus occidentaux sont à même de protéger les enfants, qui ne sont en fait protégés de rien.




Entre les faits et l’imaginaire se trouve toujours la distance de l’indignation ou de l’éblouissement. Les escaliers d’Odessa ne participent pas de l’histoire réelle de l’écrasement des manifestations populaires en 1905 ; mais les cosaques tirèrent bien sur la foule, comme en France l’armée républicaine tira sur les familles ouvrières de Fourmies, un peu plus tôt en 1891. Question de lieu, même logique carnassière.

Les pouvoirs ne s’y trompent pas. Eisenstein ne finit pas le troisième volet d’Ivan le Terrible : Staline est bien trop reconnaissable. Serguèi Eisenstein subit la censure du pouvoir soviétique ; ironie de l’histoire, lorsque Jean Ferrat chante la chanson Potemkine, écrite par Georges Coulonges, en 1965, cette même chanson est censurée par le pouvoir gaulliste qui exprime ainsi sa défiance vis-à-vis de la période révolutionnaire russe dont les manifestations populaires d’Odessa sont la préfiguration. Trois ans avant mai 1968, le pouvoir sentait-il venir le vent ? La censure frappe fort alors, et bien avant que Jean Ferrat n’aille s’émerveiller à Cuba et en revienne tout moustachu en hommage au líder máximo, puisque la chanson Nuit et brouillard avait été déjà censurée en 1963 par l’ORTF dont le directeur était un valet fidèle du pouvoir. En ces temps de rapprochement avec l’Allemagne,  - dont François Mauriac disait haut et fort qu’il aimait tellement l’Allemagne qu’il était très content qu’il y en ait deux !- le pouvoir gaulliste n’aimait décidément pas qu’on lui rappelle cette période, puisque le film d’Alain Resnais du même nom fut également censuré au prétexte que l’on voyait dans le film une photographie d’un gendarme français surveillant le camp de Pithiviers pour le compte du pouvoir nazi. Tout n’était pas bon à dire pendant cette période où la France nationaliste avait encore à régler ses affaires coloniales et à mater les masses populaires, quel que soit le lieu où elles s’expriment.



dimanche 15 octobre 2017

Moments d'enfance

Une belle chanteuse disparue des ondes, Isabelle Mayereau pour les regrets habituels...

et le groupe Harmonium avec un clin d’œil aux amis québécois dont la créativité avait le charme et la fraîcheur dont on avait besoin... Le morceau s'appelle Vert.

Bon dimanche de cet été très indien !




samedi 14 octobre 2017

Dernières nouvelles de la domination

Deux thèmes actuellement m'occupent l'esprit en matière de domination, la Grèce et la Catalogne. Je crois que leurs deux situations sont très liées, du seul fait de cette volonté de résistance à la domination des pouvoirs des Etats, et des forces réactionnaires qui s'opposent à cette soif d'émancipation.

Je ne serai pas très long : concernant la Grèce, on a appris dans le journal Les Echos, que la dette grecque avait permis de générer quasiment 8 milliards d'euros (7,8 M€) d'intérêts à la Banque Centrale Européenne (BCE). On y apprend que les profits générés sont redistribués aux banques des 19 pays qui ont participé au rachat de cette dette proportionnellement à leur participation au capital de la BCE. Sachant que la dette grecque ne sera jamais remboursable, on peut donc en conclure sans exagération que l'Europe et en particulier l'Allemagne dans cette opération ont rétabli la mainmorte sur la Grèce. Si certains pouvaient encore croire que l'Europe jouait un jeu de solidarité politique entre ses membres, cette mise au jour de la grande profitabilité de la dette grecque vient mettre à mal cette croyance. C'en est au point que croire à l'Europe est devenu un élément de superstition comme autrefois on accrochait du buis bénit au-dessus des cheminées pour écarter le mauvais œil ! 

Concernant la Grèce, le service public étant en grande partie démantelé, les biens publics étant privatisés (on se rappelle qu'Emmanuel Macron est venu avec des patrons français à Athènes proposer que les investisseurs français rachètent à la Grèce ce qu'il restait des bijoux de famille...) la Grèce a ainsi fait la preuve de sa profitabilité, avec les salaires et les retraites de la misère que nous aurons bientôt en France. La «main invisible» des marchés  va pouvoir faire à nouveau son miel d'un pays réduit à accepter l'inacceptable.

En Catalogne, le journal Le Monde a envoyé la journaliste Raphaëlle Rerolle, qu'on ne présente pas. Elle témoigne de la situation en interviouvant des personnes présentes lors de la journée de fête «nationale». Un jeune monarchiste, qui appartient à la mouvance carliste et veut non seulement l'unité nationale, mais le «rétablissement de l'Espagne catholique qui abolirait l'avortement et le divorce», et puis une jeune fille qui raconte : « J’ai appris la langue par amour pour la Catalogne, alors qu’elle était interdite à l’école, du temps du franquisme. Chez moi, on était fiers de vivre dans la région la plus développée d’Espagne. Du coup, quand on me traite de “facha”, je suis indignée : c’est le contraire de ce que j’ai toujours défendu. » (on peut consulter ici l'article en ligne)

Ce qui ressort de son reportage est le sentiment d'un immense gâchis dont peuvent être rendus responsables les nationalistes des deux camps, ceux qui ont utilisé le sentiment identitaire catalan pour conforter une histoire fantasmatique, et ceux qui ont conforté la volonté de domination franquiste et nationaliste de l'Espagne monarchiste tout aussi fantasmatique dont les vieux démons du fascisme ne les ont jamais vraiment quittés, malgré la période de la Movida qui, elle aussi, a fait illusion dans une Espagne en crise de ses institutions depuis le XIXe siècle. Et il est pour le moins ironique de voir le «socialiste» Pedro Sánchez s'associer à Rajoy dans le cas concret d'une expression populaire telle que l'est le référendum organisé par la Generalitat de Catalunya.

Ce constat ne remet pas en question le mouvement démocratique qui s'est exprimé autour de la démarche en peu désespérée de Carles Puigdemont. Finalement, Pablo Iglesias s'est rallié à la démarche des Catalans, voyant qu'il y avait une voie possible pour de véritables alliances démocratiques.

Situation étrange, en tout cas, que celle de la Catalogne. C'est un peu le constat de Raphaëlle Rerolle qui ne peut que dire l'incompréhension généralisée qui s'est emparée des uns et des autres. Le perdant de cette situation, en fin de compte, c'est l'histoire de l'Espagne : que ce soit en France ou en Espagne, il est bien difficile d'écrire ce qui s'est passé en Espagne depuis le pronunciamiento de Franco en 1936, et bien évidemment encore auparavant. La Movida, l'entrée de l'Espagne dans l'Europe et dans une économie généralisée a fait croire que la société espagnole, dans sa modernité, dans l'accès au reste du monde, pouvait sublimer tous les éléments de cette histoire, des barbaries qui s'y sont déroulées, celles de l'Etat espagnol restant, de toutes, les plus inacceptables. Et force est de constater que les jeunes Espagnols, qu'ils soient Catalans ou Castillans, restent bien ignorants de l'histoire factuelle de leur propre pays et de leurs propres régions respectives. Tout comme en France!


Pablo Picasso - Guernica - 1937
en hommage à la République espagnole dont cette ville d'Euskadi fut la martyre.
A la démission de Juan-Carlos, il était possible de revenir au régime démocratique républicain.
C'est un autre choix qui a été fait. L'oeuvre de Picasso peut être vue comme un stigmate de cette folie nationaliste qui a fait agir précisément l'aviation fasciste italienne et les nazis allemands contre une ville basque.



vendredi 13 octobre 2017

Un aller simple/Solo andata

Méditerranée ouverte ou fermée ? La qualité d'être dans l'humanité ne passe plus que par le franchissement des interdits...

Solo andata est une humeur d'Erri de Luca, ici avec la complicité de Mauro et Daniele Durante pour la musique, d'après une idée de Gabriella della Monaca avec Manrico Gammarota, réalisé par Alessandro Gassmann.

jeudi 12 octobre 2017

Braschi. Il Palazzo

Je ne vais jamais à Rome sans effectuer un passage au Palazzo Braschi. Pour bien le situer, il se trouve tout au bout de la Piazza Navona, c'est-à-dire au sud-est, lorsque l'on va traverser le Corso Vittorio Emmanuele II avant de se diriger vers le Campo dei Fiori. Il est fréquent de passer devant sans s'arrêter, car il reste plutôt discret. Néanmoins, c'est le musée de la Ville de Rome - Museo di Roma - qui offre souvent de très belles expositions temporaires. Ces derniers temps y étaient présentées les œuvres de Piranèse qui sont parfois effrayantes tant elles mettent en lumière la force des monuments et de l'architecture qui s'imposent à toute la société. Les auteurs contemporains de cinéma et de bande dessinée ont bien perçu la vision de ces cités devenues obscures sous le dessin de François Schuiten ou dans les images de Jean-Jacques Annaud d'une bibliothèque labyrinthique à laquelle il prête de curieux cheminements dans Le nom de la Rose revu d'après Umberto Eco.

Mais laissons-là Pinarèse : le Palazzo Braschi n'est qu'un moyen de pénétrer mieux les secrets de Rome, d'étendre son regard sur cette ville qui reste étonnamment humaine dans ses qualités comme dans ses défauts.



Il y a trois ans, le Palazzo Braschi présentait une exposition photographique sur ces Romains qui composent aujourd'hui la population de la ville. Dans sa longue tradition Rome a toujours fait des apports étrangers sa richesse et sa capacité à magnifier les lieux. Ils en deviennent parfois dérisoires, tant ils ont connu les heurs et les malheurs de l'histoire. Il en reste ce que Federico Fellini avait filmé voici maintenant tant d'années (quarante cinq ans déjà !), et qui reste sans doute l'un des plus beaux témoignages de cet amour de Rome, ville cosmopolite comme toutes les capitales et peut-être ce centre de la Méditerranée où toutes les rencontres restent possibles.

mercredi 11 octobre 2017

Some afternoon

L'après-midi d'un faune de Claude Debussy, chorégraphie de Thierry Malandain, dansée par Christophe Roméro.

C'est ainsi que, bien souvent, j'aime passer mes après-midis en campagne...



mardi 10 octobre 2017

49 years ago

Voici quelques photos que je ne présenterai pas l'an prochain, alors que ce sera le cinquantième anniversaire de mai 68. Depuis, que de détracteurs cette période symbolique a-t-elle vu apparaître ! Il faut être très ignorant, très con, souvent les deux pour penser que ce moment assez exceptionnel de l'histoire où le mouvement ouvrier et le mouvement estudiantin dansent ensemble une danse d'amour qui finit par une éjaculation précoce qu'on appelle «les accords de Grenelle» n'a fait que détruire les fondements de la belle civilisation française. Mais non, ce n'est pas «Mai 68» qui est coupable - ou alors il faut le mettre en accusation avec les preuves qui s'imposent- mais bien plutôt l'hyperlibéralisme qui se défait de tout ce qui peut avoir nature de coût pour l'économie profitable. Actuellement, on brade les transports en commun en province, sans compter les hôpitaux, dans lesquels les médecins venus d'Europe de l'Est, puisqu'on peut moins les payer, croulent sous l'affluence des urgences. Mais il paraît qu'il y a des gens optimistes. Finalement ce que disais à mes amis grecs, il y a quelques années lorsque commençait vraiment la crise en Grèce, se réalise : je leur disais qu'ils n'avaient qu'un temps d'avance sur la destruction de la société par l'économie hyperlibérale au nom de la comptabilité bancaire.

On crève aujourd'hui en Grèce faute de soins, et on commence à crever également en France faute de soins également: on sait que beaucoup de gens ne vont plus chez le dentiste car leur mutuelle, quand il en ont une, ne couvre qu'une très faible partie des soins. Et les maladies reviennent en force. Nous parlions du sida. Il affecte les seniors maintenant de manière plus importante  qui s'imaginent peut-être que sur les peaux tannées par le temps le virus aurait plus de difficultés à pénétrer les muqueuses... Naïveté contre abstinence ?

Enfin, mai 68. Etant encore très jeune alors, je n'en garde que de très bons souvenirs, et déjà j'entendais les propos réacs de ceux qui croyaient aux complots castristes. Ces photographies sont devenues le symbole des pieds de nez que la jeunesse opposait au vieux monde: «Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi!» Malheureusement le vieux monde a rattrapé la société en bien des points. La grande faucheuse a fait sa récolte de tant de beaux esprits, tant d'artistes dont le souvenir éclaire encore aujourd'hui mes pensées et mes émotions !

« Nous sommes tous des dissous en puissance, nous sommes tous des juifs et des Allemands...» chantait Dominique Grange, la compagne de Jacques Tardi. Le rouquin sympa évoqué dans la chanson était Daniel Cohn-Bendit, qui était devenu le parangon du gauchisme ordinaire. Très anticommuniste également, ce qu'il est resté. Et dans la mouvance des Grünen parmi lesquels il a surtout mené sa carrière politique entre autres activités. Mais bon sang, quel aveuglement idéologique, lui aussi, totalement voué au libéralisme au prétexte de casser les frontières ! Ce en quoi il se trompe, par manque d'une réflexion politique réelle. L'idée de vouloir faire des listes européennes internationales, c'est-à-dire de monter des listes qui permettrait de mélanger des candidats de différents pays, idée défendue par Emmanuel Macron récemment auprès d'Angela Merkel, est de lui. Car en plus Daniel Cohn-Bendit est fervent macroniste, et apparemment conseiller du président, puisque hyperlibéral, c'est assez logique.

J'ai vu récemment une vidéo dans laquelle il aboyait, il n'y a pas d'autre terme, sur Emmanuel Todd parce que ce dernier dénonçait l'accord Alsthom-Siemens qui offre l'entreprise pieds et poings liés aux investisseurs allemands. Enfin, tout cela serait assez risible après tout, si l'on s'amuse à rapporter tout cela au temps long de l'histoire.

Un mot seulement pour parler du tragique destin de Gilles Caron qui a pris ces photos remarquables, disparu au Cambodge en 1970 à l'âge de trente ans. Les années 1960-1970 sont encore dans ces moments terribles où la décolonisation précède les guerres «ethniques». Gilles Caron couvre, comme l'avait fait avant lui Robert Capa auquel on peut le comparer, différentes guerres et événements tragiques : Guerre des Six-jours, Biafra, événements d'Irlande du Nord, revient en Tchécoslovaquie après l'écrasement de Prague par les chars soviétiques. Il est sans doute victime de la reprise du Cambodge par les Khmers rouges.

On apprécie dans les photographies suivantes son sens de l'instant, celui dont parlait Henri Cartier-Bresson par l'expression d'«instant décisif», c'est-à-dire le moment par lequel se fixe un tournant d'une histoire.
Photo Gilles Caron





Hommage donc à Gilles Caron pour mai 68. Le papet Cohn-Bendit a encore un peu de temps devant lui.

Photo Gilles Caron

Photo Gilles Caron
Les couleurs ont changé avec le sens de l'autosatisfaction. Photo Jecépa





lundi 9 octobre 2017

Catalunya si

Les événements actuels en Espagne et en Catalogne éclairent d'un jour encore plus fort ce qui se passe actuellement en Europe. On reparle de romantisme contre la chape de plomb qui retombe sur l'Espagne, qui, apparemment, aura bien du mal à se délivrer du fantôme de Franco. Le veut-elle seulement ? Ces événements ne sont-ils pas également cette espèce de catharsis qui doit permettre de séparer ces deux Espagnes, celle du choix républicain et celle qui trace une terrible continuité depuis l'implacable Isabelle la très catholique en choisissant de conserver la monarchie ? Car évidemment l'accusation de ceux qui considèrent que les Catalans veulent garder par devers eux les bénéfices d'une meilleure économie ne tient pas longtemps. Ce sont bien les fondements démocratiques de l'Espagne qui sont en cause. On a pu entendre sur les ondes des radios ces paroles ahurissantes de gens, qui défenseurs de l'union, niant la réalité culturelle de la Catalogne, demandent qu'on jette en prison les indépendantistes catalans, c'est-à-dire que l'on emprisonne des gens qui demandent l'exercice d'un droit démocratique !

D'un bout à l'autre de l'Europe, cette dernière n'ayant pas beaucoup bronché lorsque le président turc a fait voter un référendum qui confirmait ses pouvoirs et envoyait en prison ses opposants, la rigidité politique prévaut. L'extrême droite revient au Bundestag en Allemagne et évidemment là, en Espagne, les nostalgiques de Franco redressent encore davantage la tête. Le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa est intervenu disant que la démarche des Catalans était une atteinte à la démocratie. Il a été mal inspiré. On peut être prix Nobel et très con, ou très lâche dans le cas de Aung San Suu Kyi, niant les massacres des Rohingyas. Dans celui de Vargas Llosa, son aveuglement sur la société espagnole n'est peut-être dû qu'à l'habitude, finalement de ce monde latin patriarcal par nature, hyperautoritaire et implacable comme Kronos dévorant ses enfants dès lors qu'une tentative d'émancipation se profile. Francisco de Goya l'avait parfaitement compris qui plongeait dans la noirceur de sa peinture les traces doloristes dont l'Espagne est pétrie. La Catalogne aujourd'hui dit que le monde de la jeunesse n'en veut plus. Llosa lui-même ne se rappelle-t-il pas ce que cette Espagne de conquête implacable a fait du monde inca dans le Pérou du XVIe siècle? L'esprit de cruauté et de lucre préside à toute autre considération. Peut-être en est-il resté quelques parcelles dans l'Espagne politique des origines.

Combien pourrait-on oublier la mort de Federico García Lorca ? Se rappelle-t-on qu'il fut exécuté par les franquistes d'une ou plusieurs balles, peut-être, tirées dans l'anus ? A ceux qui pourraient estimer que ce rappel n'a pas grand chose à voir avec les événements actuels de Catalogne, les événements se chargent de dire que la violence, la brutalité de la police, ordonnée par les responsables politiques du «Parti populaire» est cette même violence haineuse qui écrase les différences comme on le fait avec les mouches, celle qui fit arracher les enfants en bas âge des Républicains pour les confier à des familles franquistes, le même procédé s'appliquant quelques années plus tard sous la dictature argentine. En Espagne, comme dans d'autres pays latins d'Amérique, c'est l'armée qui serait garante de la démocratie. On voit bien alors à quel point ce terme a été galvaudé par l'idéologie libérale qui a bien compris que sous les termes de «démocratie», «socialisme», on pouvait faire illusion et imposer les décisions des coteries archaïques et des oligarchies de jeunes gens manipulés par les intérêts bancaires, les mêmes qui dirigent l'Europe derrière le vieux Schaüble. Il est, à ce titre, terriblement symbolique que l'Europe soit dirigée depuis un fauteuil roulant. Kronos ne lâche pas sa garde.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de cette situation qui ne peut être qu'inquiétante. Je redis ici mon soutien aux Catalans, non en ce que l'indépendance serait une affirmation identitaire à laquelle je ne souscris en aucune façon, mais au contraire une démarche de rénovation démocratique contre les symboles mortifères du franquisme et de son avatar monarchiste dont le «Parti populaire» ne cache même pas sa filiation.

Deux vidéos suivent : la première est diffusée par L'Obs, rappelant les événements de la semaine dernière ; la deuxième est un reportage de France 24 réalisé et publié en 2016. On y rappelle que les lois d'amnistie sont des lois scélérates, les tortionnaires franquistes jouissant aujourd'hui de paisibles retraites tandis que des révisionnistes font de Franco un homme de consensus de manière tout à fait comparable ce que certains ont fait du dictateur militaire Pinochet au Chili.




samedi 7 octobre 2017

Yánnis Tsaroúchis

Le Musée Benaki de la rue Piraios a exposé pour la deuxième fois, ou plutôt pour une deuxième partie de la rétrospective de son oeuvre, le peintre Yánnis Tsaroúchis l'an dernier pendant l'hiver 2016.

Voici une vidéo qui ne retrace pas forcément l'exposition, mais les thématiques de Tsaroúchis y sont présentes : le classicisme sur lequel le peintre s'est appuyé dans sa formation, les influences de Matisse, les racines de l'art byzantin, et, bien évidemment la présence des anges, des marins et des soldats qui évoquent la guerre dans laquelle la Grèce vécut à différentes périodes de son histoire.

Yánnis Tsaroúchis est sans doute l'un des peintres les plus importants de la Grèce du XXe siècle. Il est regrettable qu'il ne soit connu en France que dans les milieux sensibilisés au goût des garçons. Il faut rappeler qu'il a vécu en France quelques années à partir de 1967, à Paris et en Normandie ; il travaille alors à des scénographies de théâtre aussi bien sur les costumes que sur les décors. Toutefois la réception de son oeuvre ne dépassa pas les milieux artistiques qui ne virent en lui qu'un peintre mineur. On peut regretter cette absence de lucidité.



Yannis Tsarouchis from Franco Cavaliere on Vimeo.

vendredi 6 octobre 2017

jeudi 5 octobre 2017

The closet

Une vidéo charmante de Stewart Hendler, réflexion sur le temps qui passe...


mercredi 4 octobre 2017

Rythmes

Je ne suis pas sûr que les rythmes d'une vie occidentale trépidante soient aussi plaisants à vivre que ceux-ci, apparemment enregistrés en Guinée (laquelle ? la vidéo ne le dit pas). Une question importante qui se pose est la suivante : pourquoi le rythme a-t-il abandonné la place qu'il a pu occuper dans la culture occidentale voici fort longtemps? Il n'a bien sûr pas disparu, mais sert depuis longtemps les autres parts de la musique, mis au service de la mélodie. Lorsque la mélodie a, par la suite, été remise en cause, le rythme n'a pas pour autant acquis la place qu'il a traditionnellement en Afrique. Bien sûr, la musique contemporaine a donné au autre sens au rythme. On pense aux «Percussions de Strasbourg», entre autres expériences d'envergure. Pour autant, il faut sans doute accepter la chose ainsi : il s'agit d'une différence culturelle de taille. Chapeau bas.


mardi 3 octobre 2017

Angeli da Torino

Gian Giacomo de Alladio detto Macrino d’Alba

Madonna in trono con il Bambino e i santi Giovanni Battista, Giacomo, Gerolamo, Ugone e angeli, 1498

Gian Giacomo de Alladio detto Macrino d’Alba
Madonna in trono con il Bambino e i santi Giovanni Battista, Giacomo, Gerolamo, Ugone e angeli, 1498 (détail)

lundi 2 octobre 2017

Jour de honte pour l'Espagne

Ce matin, Léa Salamé recevait Gérard Onesta, ancien vice-président du parlement européen, observateur de la situation en Catalogne, qui était présent hier à Barcelone. Son témoignage est accablant pour le gouvernement espagnol, et la vidéo ci-dessous est on ne peut plus parlante.
Elle a essayé de lui faire dire que, quand même, au moins la Generalitat de Catalunya aurait été maladroite d'organiser ce référendum. Gérard Onestat lui a rappelé que depuis des décennies, aucun dialogue constructif n'a pu être mené avec le gouvernement central de Madrid.
Je redis ici qu'au regard de l'histoire le gouvernement de Rajoy n'est qu'un avatar du franquisme: il l'a prouvé hier en déclenchant cette déferlante de violence face à des gens qui n'avaient sur eux aucune arme. 
Léa Salamé n'est pas très bien inspirée depuis que le succès médiatique l'a gagnée : elle montre les faiblesses de la posture journalistique dès lors qu'il s'agit de ne pas déplaire au pouvoir. Dans l'interview de Gérard Onesta, on cherchait en vain une interrogation sur la pertinence de l'attitude du gouvernement Rajoy : pour les esprits conformistes,  le statu quo est de mise qui refuse de comprendre que le monde change. 
C'est sans doute la fin des Etats-nations au sens où l'ultralibéralisme a détruit pour partie la part sociale du rôle de l'Etat : la main gauche de l'Etat, son côté féminin, c'est la solidarité qui s'exerce dans les écoles, les hôpitaux, l'aide sociale, tout cela mis à mal au nom d'une seule logique comptable ; il reste la part masculine, patriarcale, la main droite de l'Etat, c'est-à-dire la part répressive, ce que l'on appelle le rôle régalien, dont le terme rappelle bien évidemment son origine archaïque. Dans cette part régalienne se trouvent l'armée, la police, la justice. La justice en France est bien malade, mais on sait bien que la police et l'armée conservent toute la structure et le financement pour contrôler et réprimer. Les actions terroristes confortent ainsi ce rôle, et on ne saurait trouver meilleurs alliés de la répression sociale que ces néo-nazis de la religion qui autorisent ainsi les élus imbéciles à financer ce que la logique comptable ne devrait pourtant pas devoir permettre. La meilleure preuve en est le rôle de la police depuis maintenant de nombreux mois qui ont criminalisé les actions syndicales et sociétales, interdit certaines manifestations au nom de l'état d'urgence, dont on sait que les mesures prises n'interdiront jamais les dingues de la violence d'exercer leurs délires où ils le voudront et quand ils le voudront. Passant à la gare Saint-Charles lundi dernier, j'y ai vu quelques militaires armés de pistolets-mitrailleurs. Ces jeunes gens n'ont pas empêché ce qui s'est passé hier, et n'empêcheront pas d'autres actions, quelles que soient les mesures prises.
En Espagne, c'est un déferlement de cette violence «légitime» selon l'expression du sociologue Max Weber qui s'est fait entendre. Au regard de l'histoire, c'est un balbutiement du franquisme implacable, enfant monstrueux des amours du catholicisme ringard et du capitalisme étriqué qui s'est exprimé hier en Catalogne. Il est pour le moins ironique d'entendre Rajoy se réclamer de la légitimité démocratique. L'histoire a montré que le principe de l'élection démocratique n'est pas aussi simple que sa seule énonciation. Les jours qui viennent montreront ce qui en adviendra. Espérons que ce jour de honte pour l'Espagne permettra de prendre conscience de la nécessité de faire évoluer les institutions. 


dimanche 1 octobre 2017

I had a drum

Le temps est de saison. On s'accordera alors à une musique toute en prise sur les vagues de l'automne. Les chemins de l'Orient ne sont pas très éloignés, bien que tout cela nous vienne de la Grande Île...

Passez un bon dimanche.