Jonathan
Jacques Louis, 21 ans, et Alexander Semyonov, 25 ans.
Crédit photo : Mads Nissen
Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »
samedi 28 février 2015
Nea prosopa - Manolis Rassoulis - 1
Voici une série de trois vidéos consacrées à la "nouvelle chanson" grecque. Le terme de "nouvelle chanson" exprime, dans quelques régions de l'Europe en particulier (mais également en Amérique latine), une démarche lancée à la fin des années 1960 pour se démarquer du folklore dans lequel était parfois confinée la vision de la culture musicale. Il s'agit, conservant les acquis et les structures musicales, de proposer de nouveaux textes, la plupart du temps très engagés dans la revendication sociale mais aussi culturelle, et en opposition farouche contre les dictatures encore en vigueur dans ces années-là : la Grèce ici, mais également l'Espagne et la Catalogne, le Chili, jusqu'à l'Italie qui se souvenait très fort de la prégnance du fascisme.
Matteo Salvatore, présenté il y a quelques jours, est une figure fort intéressante de cette forme culturelle : il est l'héritier de la tradition musicale, et à ce titre mobilise musique, poésie, mémoire personnelle pour traduire une vision de l'Italie dont il est une forme d'incarnation.
Lluis Llach pour la Catalogne, Maria et Angel Para pour le Chili, Caterina Bueno en Italie toscane, etc. ont été des figures très marquantes de cette période où le monde était en train de changer. Les Etats-Unis d'Amérique, parallèlement, connaissaient également une magnifique continuité de folk-singers qui traduisaient leur poésie en revendication musicale.
Je n'ai pas retrouvé l'année de ce documentaire, dont la qualité technique n'est pas excellente. Elle présente Manólis Rassoúlis comme fil conducteur de tout une génération de chanteurs grecs, parfois un peu oubliés, et quelquefois disparus comme Manólis Rassoúlis lui-même ainsi que Níkos Papázoglou. Elle témoigne en tout cas de la qualité du travail mené alors, loin d'une variété un peu facile parfois.
Matteo Salvatore, présenté il y a quelques jours, est une figure fort intéressante de cette forme culturelle : il est l'héritier de la tradition musicale, et à ce titre mobilise musique, poésie, mémoire personnelle pour traduire une vision de l'Italie dont il est une forme d'incarnation.
Lluis Llach pour la Catalogne, Maria et Angel Para pour le Chili, Caterina Bueno en Italie toscane, etc. ont été des figures très marquantes de cette période où le monde était en train de changer. Les Etats-Unis d'Amérique, parallèlement, connaissaient également une magnifique continuité de folk-singers qui traduisaient leur poésie en revendication musicale.
Je n'ai pas retrouvé l'année de ce documentaire, dont la qualité technique n'est pas excellente. Elle présente Manólis Rassoúlis comme fil conducteur de tout une génération de chanteurs grecs, parfois un peu oubliés, et quelquefois disparus comme Manólis Rassoúlis lui-même ainsi que Níkos Papázoglou. Elle témoigne en tout cas de la qualité du travail mené alors, loin d'une variété un peu facile parfois.
vendredi 27 février 2015
jeudi 26 février 2015
C'est la fin
The Doors - Jim Morrison This is the end
This is the end est une musique de transe. L'orgue électrique de Ray Manzarek qui soutient la guitare électrique et le chant de Jim Morrison a quelque chose d'entêtant. Il est curieux de constater que ce son de l'orgue électrique est devenu totalement obsolète aujourd'hui et presque difficile à écouter tant il marque une époque.
Les paroles de la chanson sont signées de Jim Morrison. Avec Pier Paolo Pasolini, j'évoquais le thème d’OEdipe dans sa complexité. Jim Morrison l'évoque ici crûment. C'est étonnant comme la période des années 1960 a permis de faire remonter ces problèmes, avec le sentiment d'une fin, fin de soi, fin du monde, et surtout, une rupture entre les générations, et le sentiment si prégnant d'une totale impossibilité de communication entre elles.
Si quelques termes du texte de Morrison paraissent hermétiques, l'ensemble évoque ce qui apparaîtra plus tard dans le mouvement punk (no future), et en attendant, parce que les enfants sont devenus fous, ils veulent tuer leur père et baiser leur mère... Ce que Luchino Visconti illustra dans Les Damnés (1969).
This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end
I'll never look into your eyes...again
Can you picture what will be
So limitless and free
Desperately in need...of some...stranger's hand
In a...desperate land ?
Lost in a roman...wilderness of pain
And all the children are insane
All the children are insane
Waiting for the summer rain, yeah
There's danger on the edge of town
Ride the King's highway, baby
Weird scenes inside the gold mine
Ride the highway west, baby
Ride the snake, ride the snake
To the lake, the ancient lake, baby
The snake is long, seven miles
Ride the snake...he's old, and his skin is cold
The west is the best
The west is the best
Get here, and we'll do the rest
The blue bus is callin' us
The blue bus is callin' us
Driver, where you taken' us ?
The killer awoke before dawn, he put his boots on
He took a face from the ancient gallery
And he walked on down the hall
He went into the room where his sister lived, and...then he
Paid a visit to his brother, and then he
He walked on down the hall, and
And he came to a door...and he looked inside
"Father ?", "yes son", "I want to kill you"
"Mother?...I want to...FUCK YOU"
C'mon baby, take a chance with us X3
And meet me at the back of the blue bus
Doin' a blue rock, On a blue bus
Doin' a blue rock, C'mon, yeah
Kill, kill, kill, kill, kill, kill
This is the end, Beautiful friend
This is the end, My only friend, the end
It hurts to set you free
But you'll never follow me
The end of laughter and soft lies
The end of nights we tried to die
This is the end
This is the end est une musique de transe. L'orgue électrique de Ray Manzarek qui soutient la guitare électrique et le chant de Jim Morrison a quelque chose d'entêtant. Il est curieux de constater que ce son de l'orgue électrique est devenu totalement obsolète aujourd'hui et presque difficile à écouter tant il marque une époque.
Les paroles de la chanson sont signées de Jim Morrison. Avec Pier Paolo Pasolini, j'évoquais le thème d’OEdipe dans sa complexité. Jim Morrison l'évoque ici crûment. C'est étonnant comme la période des années 1960 a permis de faire remonter ces problèmes, avec le sentiment d'une fin, fin de soi, fin du monde, et surtout, une rupture entre les générations, et le sentiment si prégnant d'une totale impossibilité de communication entre elles.
Si quelques termes du texte de Morrison paraissent hermétiques, l'ensemble évoque ce qui apparaîtra plus tard dans le mouvement punk (no future), et en attendant, parce que les enfants sont devenus fous, ils veulent tuer leur père et baiser leur mère... Ce que Luchino Visconti illustra dans Les Damnés (1969).
This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end
I'll never look into your eyes...again
Can you picture what will be
So limitless and free
Desperately in need...of some...stranger's hand
In a...desperate land ?
Lost in a roman...wilderness of pain
And all the children are insane
All the children are insane
Waiting for the summer rain, yeah
There's danger on the edge of town
Ride the King's highway, baby
Weird scenes inside the gold mine
Ride the highway west, baby
Ride the snake, ride the snake
To the lake, the ancient lake, baby
The snake is long, seven miles
Ride the snake...he's old, and his skin is cold
The west is the best
The west is the best
Get here, and we'll do the rest
The blue bus is callin' us
The blue bus is callin' us
Driver, where you taken' us ?
The killer awoke before dawn, he put his boots on
He took a face from the ancient gallery
And he walked on down the hall
He went into the room where his sister lived, and...then he
Paid a visit to his brother, and then he
He walked on down the hall, and
And he came to a door...and he looked inside
"Father ?", "yes son", "I want to kill you"
"Mother?...I want to...FUCK YOU"
C'mon baby, take a chance with us X3
And meet me at the back of the blue bus
Doin' a blue rock, On a blue bus
Doin' a blue rock, C'mon, yeah
Kill, kill, kill, kill, kill, kill
This is the end, Beautiful friend
This is the end, My only friend, the end
It hurts to set you free
But you'll never follow me
The end of laughter and soft lies
The end of nights we tried to die
This is the end
mercredi 25 février 2015
Hair - Au poil
Milos Forman, dont j'ai présenté un extrait d'Amadeus voici quelque temps, avait réalisé également cette curiosité du nom de la comédie musicale, Hair, qui eut un succès retentissant dans les années 1960 et quelques brouettes, et qui faisait du phénomène hippie cet espèce de respiration dans les bouleversements que connut la société américaine alors. En trame de fond se déroule le drame de la guerre du Viêt Nam qui vient se greffer sur le scénario du film, en conformité avec la comédie musicale. Le film reste une histoire plaisante où il s'agit de mettre en avant l'optimisme de la jeunesse d'alors, son non-conformisme et sa capacité à renverser les valeurs conservatrices.
Le film sort sur les écrans en 1979, alors que la situation de la guerre du Viêt Nam s'est terminée en 1975. La comédie musicale avait été présentée douze ans auparavant à Broadway, et bien évidemment, les enjeux n'étaient plus tout à fait les mêmes. Le film marque alors davantage la "fin" de la période hippie que sa véritable consécration, dont les thèmes paraissent alors un peu superficiels.
L'extrait qui suit est un moment assez réjouissant où le chef du groupe hippie, George Berger, interprété par Treat Williams, essaie de détourner Claude Bukowski de son enrôlement dans l'armée. Bukowski est joué par John Savage, dont la présence à l'écran est un toujours enchantement...
Le film sort sur les écrans en 1979, alors que la situation de la guerre du Viêt Nam s'est terminée en 1975. La comédie musicale avait été présentée douze ans auparavant à Broadway, et bien évidemment, les enjeux n'étaient plus tout à fait les mêmes. Le film marque alors davantage la "fin" de la période hippie que sa véritable consécration, dont les thèmes paraissent alors un peu superficiels.
L'extrait qui suit est un moment assez réjouissant où le chef du groupe hippie, George Berger, interprété par Treat Williams, essaie de détourner Claude Bukowski de son enrôlement dans l'armée. Bukowski est joué par John Savage, dont la présence à l'écran est un toujours enchantement...
mardi 24 février 2015
Níkos Xiloúris - Erotókritos
Níkos Xiloúris-Νίκος Ξυλούρης -Erotókritos Ερωτόκριτος
Erotókritos est une épopée romanesque composée par le poète crétois Vitsentzos Cornaros au début du XVIIe siècle. Il raconte les amours de deux jeunes gens, Erotókritos et Aretousa (Αρετούσα).
Cette épopée, très populaire, fut notamment illustrée par le peintre naïf Theofilos Hadjimichail, originaire de Mytilène (Lesbos).
Erotókritos est une épopée romanesque composée par le poète crétois Vitsentzos Cornaros au début du XVIIe siècle. Il raconte les amours de deux jeunes gens, Erotókritos et Aretousa (Αρετούσα).
Cette épopée, très populaire, fut notamment illustrée par le peintre naïf Theofilos Hadjimichail, originaire de Mytilène (Lesbos).
Theofilos Hadjimichail, Erotókitos et Aretousa, ca 1900 |
lundi 23 février 2015
San Francisco 1985
A surveiller dans nos cinémas : la sortie le 1er avril prochain du film San Francisco 1985, un film de Chris Mason Johnson, avec Scott Marlowe et Kevin Clarke : un jeune danseur, Frankie, est recruté dans une prestigieuse troupe de danse contemporaine. Il y rencontre Todd et leur relation s'engage.
C'est le moment où apparaît le VIH, période terrible pour l'amour libre et pour la communauté gay en particulier. A voir, donc, dès que possible...
C'est le moment où apparaît le VIH, période terrible pour l'amour libre et pour la communauté gay en particulier. A voir, donc, dès que possible...
Matteo Salvatore - Sempre poveri
Matteo Salvatore est certainement une des plus belles voix et l'un des plus grands talents de la chanson populaire italienne. Originaire des Pouilles et de Foggia plus précisément, il a donné à la chanson un répertoire magnifique, composé des aspects de la vie misérable du Sud de l'Italie, moments de pure poésie. Connu en France grâce aux Lamenti di mendicanti, parus dans la collection blanche "Musique d'abord" des éditions Harmonia Mundi, sa notoriété est immense en Italie où, à Apricena, un théâtre, la Casa Matteo Salvatore, porte ainsi son nom.
Sa propre histoire, son enfance et son parcours d'homme et de chanteur, est un véritable roman. Sans doute y reviendrai-je, tant la qualité de son travail me semble immense. Sa manière de chanter, utilisant un filet de voix de tête, inscrit son expression dans un registre intime où les chansons, parfois plaintives, parfois revendicatives, font ressortir l'immense tendresse de la vie populaire.
La vidéo suivante provient de son dernier spectacle donné à Foggia en 2004, l'année précédant sa mort.
L'italien qu'il pratique n'est pas le toscan bon teint parlé dans les grandes villes italiennes plus au nord, mais le dialecte des Pouilles qui résonne particulièrement bien dans sa bouche, et avec une belle clarté (par exemple comprendre mangiare pour magnare).
Sa propre histoire, son enfance et son parcours d'homme et de chanteur, est un véritable roman. Sans doute y reviendrai-je, tant la qualité de son travail me semble immense. Sa manière de chanter, utilisant un filet de voix de tête, inscrit son expression dans un registre intime où les chansons, parfois plaintives, parfois revendicatives, font ressortir l'immense tendresse de la vie populaire.
La vidéo suivante provient de son dernier spectacle donné à Foggia en 2004, l'année précédant sa mort.
L'italien qu'il pratique n'est pas le toscan bon teint parlé dans les grandes villes italiennes plus au nord, mais le dialecte des Pouilles qui résonne particulièrement bien dans sa bouche, et avec une belle clarté (par exemple comprendre mangiare pour magnare).
dimanche 22 février 2015
Charlie Siem - Canopy - The English Chamber Orchestra
Charlie Siem et The English Chamber Orchestra
samedi 21 février 2015
Tacones lejanos
Talons aiguilles, film de Pedro Aldomóvar, sortit en 1991,
avec une très belle distribution.
Luz Casal interprétait la chanson Piensa en mi
que chantait, dans le film, Marisa Parédes.
Le magnifique Miguel Bosè y interprétait un juge,
chanteur travesti en soirée.
En prime, et pour le plaisir, voici le très beau, et alors très jeune, (il a un je-ne-sais-quoi de Dalida qui n'a pas échappé à Pedro Almodóvar) Miguel Bosè dans une chanson impérissable : Te amaré. On ne rit pas. On a tous été ridicule au moins une fois dans sa vie.
vendredi 20 février 2015
Mediterranean sundance
(je me demande si ce n'est pas une banque qui avait inventé ce slogan affligeant...)
Volé à gejaj rakontoj en esperanto |
Les Grecs et la mer
Réflexions de Jacques Lacarrière, en 1997, sur les relations entre les Grecs et la mer à l'occasion d'une invitation par la Librairie Desmos.
Belle intervention, pertinente, qui demande un peu d'attention, mais qui rappelle la richesse intellectuelle et sensible de ce bel écrivain. L'occasion de relire aussi L'été grec, dont l'actualité reste si présente.
Belle intervention, pertinente, qui demande un peu d'attention, mais qui rappelle la richesse intellectuelle et sensible de ce bel écrivain. L'occasion de relire aussi L'été grec, dont l'actualité reste si présente.
jeudi 19 février 2015
SPQR*
Pour accompagner un désir de Rome
Il m'a été rapporté que le syndicat d'initiative romain accueillait avec le plus grand soin les visiteurs, mettant à disposition de jeunes gens spécialisés notamment dans les meilleurs crus du Latium. Je ne peux qu'accorder foi à cette information, preuve à l'appui...
* Senatus Populusque Romanus, mais la version Sono per qui ridere me semble très acceptable...
Il m'a été rapporté que le syndicat d'initiative romain accueillait avec le plus grand soin les visiteurs, mettant à disposition de jeunes gens spécialisés notamment dans les meilleurs crus du Latium. Je ne peux qu'accorder foi à cette information, preuve à l'appui...
Photo Gutyerrez, Baco |
mercredi 18 février 2015
Rameau/Minkowski
Galantes, les Indes !
Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau : " Forêts paisibles ", dirigé par Marc Minkowski, avec
Magali Léger, Laurent Naouri, et les Musiciens du Louvre dans un concert dont je n'ai pas trouvé la date.
Cette version, au tempo plus rapide, plus ancienne que celle du concert dirigé par Emmanuelle Haïm au Théâtre des Champs Elysées en 2011, me semble plus à même de restituer la vivacité de la musique de Rameau. Mais, bien sûr, tous les goûts sont dans la nature...
Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau : " Forêts paisibles ", dirigé par Marc Minkowski, avec
Magali Léger, Laurent Naouri, et les Musiciens du Louvre dans un concert dont je n'ai pas trouvé la date.
Cette version, au tempo plus rapide, plus ancienne que celle du concert dirigé par Emmanuelle Haïm au Théâtre des Champs Elysées en 2011, me semble plus à même de restituer la vivacité de la musique de Rameau. Mais, bien sûr, tous les goûts sont dans la nature...
La marche d'Œdipe - 4
Quelques réflexions, trop vite faites, sur le gaz - j'y reviendrai.
Je voulais presque intituler ce billet " Œdipe à Bologne " pour parler de cette (trop ?) grande identification de Pier Paolo Pasolini au personnage d'Œdipe. Sans doute reprendrai-je, plus tard, les éléments qui, de son premier film, Accatone, jusqu'au dernier, Salò, constituent une sorte de chemin de petits cailloux, laissés, comme le fait le petit Poucet dans le conte de Perrault, pour donner la cohérence de sa vie, comme une route tragique et violente annoncée depuis toujours peut-être, comme l'oracle de Tirésias et de la Pythie. Quinze courtes années, de 1960 à 1975, mais terriblement denses, qui jalonnent ainsi sa propre vie dans un combat permanent contre les idées étriquées de la société dont son œuvre reste un miroir.
Je voudrais revenir sur l'intitulé de ces billets et sur le terme " marche ". Peut-être n'ai-je pas assez insisté sur la relation, tellement étroite qu'elle en est inséparable, entre la notion de marche et celle de la nature de l'humanité. C'est bien à la capacité à marcher, et à marcher debout grâce à la bipédie, que la nature humaine se détermine. Or ce que rappelle le mythe, et ce que redisent finalement un certain nombre d'artistes voyants - au sens d'Arthur Rimbaud -, c'est que la marche est l'attitude qui permet d'accomplir son destin. Ainsi, le père d'Œdipe, Laïos, son grand père, Labdacos, se sont entravés dans des actes qui les ont fait chuter, les empêchant de continuer à marcher. De même, Œdipe en étant sourd lui-même à sa propre connaissance, celle qui lui permet de faire chuter le Sphinx, se perd dans les lieux précis qu'il voulait, qu'il devait éviter.
Je reprendrai simplement ici la métaphore d'Alberto Giacometti de L'homme qui marche. C'est pour l'artiste suisse une sorte d'obsession sculpturale qu'il met en œuvre à partir de 1947 dans laquelle il tente de comprendre, comme il le fait pour la réflexion sur la tête - qu'est-ce qu'une tête ?- ce que c'est qu'un être humain. Il propose la série de ses sculptures de L'homme qui marche - est-ce bien cela ? car Alberto Giacometti a l'intelligence de poser des questions, pas d'y répondre. Je reprendrai ensuite une réflexion de Jean Genet, dans le documentaire réalisé par Antoine Bourseiller, sur, justement, l'impasse dans laquelle Arthur Rimbaud s'est rendu lorsqu'il se trouve en Arabie ; c'est dans ce désespoir intellectuel que se déclare son cancer de la jambe droite, l'empêchant définitivement d'accomplir son errance autrement que dans un abandon de soi. Jean Genet faisait remarquer qu'une sorte de prémonition, dans son écriture de voyant, lui avait fait écrire, dans " Le bateau ivre " :
" Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! "
Dans ce quatrain (le poème est composé en 1871), tout apparaît comme si Arthur Rimbaud voyait déjà son propre état vingt ans plus tard - Jean Genet rappelle qu'en argot, la quille est la jambe - le faisant aller lui-même, bateau sans gouvernail, vers une mer le naufrageant. Le voyant qu'il est devenu paie sa connaissance de sa propre souffrance : sa jambe, puis sa vie dans un cancer généralisé.
La figure d'Œdipe, dans la vie fulgurante d'Arthur Rimbaud, se répète dans l'impossibilité de celui qui est porteur d'une vérité indicible de continuer à marcher. Son propre corps ne le lui permet plus.
Je ne veux pas ici aller au-delà de ce simple parallèle entre la figure d'Œdipe, celle d'Arthur Rimbaud, et celle de Pier Paolo Pasolini. On m'objectera que PPP n'a pas eu de pathologie l'empêchant de marcher. Je n'ai en effet aucun élément permettant de l'affirmer, si ce n'est qu'en novembre 1975, alors qu'il pense en avoir fini avec le cinéma, ne lui permettant plus d'exprimer ce qu'il a encore à dire, le dernier chemin choisi vers la plage d'Ostie fut pour lui le parcours dont, très certainement il avait l'intuition qu'il serait le dernier, la ultima via. Dans un billet à venir, j'essaierai d'évoquer ce qui, dans son cinéma, en trace, film après film, les jalons.
J'avais préalablement inséré une vidéo de présentation du film Una vita violenta. Malheureusement, le compte Youtube qui y était associé a été clôturé. Je l'ai donc remplacée par la fin du film dans laquelle meurt Tommaso, joué par Franco Citti. Le film, rappelons-le, sorti en 1962, est de Paolo Heusch et Brunello Rondi. (Note du 30août 2015)
Je voulais presque intituler ce billet " Œdipe à Bologne " pour parler de cette (trop ?) grande identification de Pier Paolo Pasolini au personnage d'Œdipe. Sans doute reprendrai-je, plus tard, les éléments qui, de son premier film, Accatone, jusqu'au dernier, Salò, constituent une sorte de chemin de petits cailloux, laissés, comme le fait le petit Poucet dans le conte de Perrault, pour donner la cohérence de sa vie, comme une route tragique et violente annoncée depuis toujours peut-être, comme l'oracle de Tirésias et de la Pythie. Quinze courtes années, de 1960 à 1975, mais terriblement denses, qui jalonnent ainsi sa propre vie dans un combat permanent contre les idées étriquées de la société dont son œuvre reste un miroir.
Je voudrais revenir sur l'intitulé de ces billets et sur le terme " marche ". Peut-être n'ai-je pas assez insisté sur la relation, tellement étroite qu'elle en est inséparable, entre la notion de marche et celle de la nature de l'humanité. C'est bien à la capacité à marcher, et à marcher debout grâce à la bipédie, que la nature humaine se détermine. Or ce que rappelle le mythe, et ce que redisent finalement un certain nombre d'artistes voyants - au sens d'Arthur Rimbaud -, c'est que la marche est l'attitude qui permet d'accomplir son destin. Ainsi, le père d'Œdipe, Laïos, son grand père, Labdacos, se sont entravés dans des actes qui les ont fait chuter, les empêchant de continuer à marcher. De même, Œdipe en étant sourd lui-même à sa propre connaissance, celle qui lui permet de faire chuter le Sphinx, se perd dans les lieux précis qu'il voulait, qu'il devait éviter.
Je reprendrai simplement ici la métaphore d'Alberto Giacometti de L'homme qui marche. C'est pour l'artiste suisse une sorte d'obsession sculpturale qu'il met en œuvre à partir de 1947 dans laquelle il tente de comprendre, comme il le fait pour la réflexion sur la tête - qu'est-ce qu'une tête ?- ce que c'est qu'un être humain. Il propose la série de ses sculptures de L'homme qui marche - est-ce bien cela ? car Alberto Giacometti a l'intelligence de poser des questions, pas d'y répondre. Je reprendrai ensuite une réflexion de Jean Genet, dans le documentaire réalisé par Antoine Bourseiller, sur, justement, l'impasse dans laquelle Arthur Rimbaud s'est rendu lorsqu'il se trouve en Arabie ; c'est dans ce désespoir intellectuel que se déclare son cancer de la jambe droite, l'empêchant définitivement d'accomplir son errance autrement que dans un abandon de soi. Jean Genet faisait remarquer qu'une sorte de prémonition, dans son écriture de voyant, lui avait fait écrire, dans " Le bateau ivre " :
" Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! "
Dans ce quatrain (le poème est composé en 1871), tout apparaît comme si Arthur Rimbaud voyait déjà son propre état vingt ans plus tard - Jean Genet rappelle qu'en argot, la quille est la jambe - le faisant aller lui-même, bateau sans gouvernail, vers une mer le naufrageant. Le voyant qu'il est devenu paie sa connaissance de sa propre souffrance : sa jambe, puis sa vie dans un cancer généralisé.
La figure d'Œdipe, dans la vie fulgurante d'Arthur Rimbaud, se répète dans l'impossibilité de celui qui est porteur d'une vérité indicible de continuer à marcher. Son propre corps ne le lui permet plus.
Je ne veux pas ici aller au-delà de ce simple parallèle entre la figure d'Œdipe, celle d'Arthur Rimbaud, et celle de Pier Paolo Pasolini. On m'objectera que PPP n'a pas eu de pathologie l'empêchant de marcher. Je n'ai en effet aucun élément permettant de l'affirmer, si ce n'est qu'en novembre 1975, alors qu'il pense en avoir fini avec le cinéma, ne lui permettant plus d'exprimer ce qu'il a encore à dire, le dernier chemin choisi vers la plage d'Ostie fut pour lui le parcours dont, très certainement il avait l'intuition qu'il serait le dernier, la ultima via. Dans un billet à venir, j'essaierai d'évoquer ce qui, dans son cinéma, en trace, film après film, les jalons.
J'avais préalablement inséré une vidéo de présentation du film Una vita violenta. Malheureusement, le compte Youtube qui y était associé a été clôturé. Je l'ai donc remplacée par la fin du film dans laquelle meurt Tommaso, joué par Franco Citti. Le film, rappelons-le, sorti en 1962, est de Paolo Heusch et Brunello Rondi. (Note du 30août 2015)
mardi 17 février 2015
De Visée/Nordberg
Le théorbe est cet instrument à cordes invraisemblable créé à partir du luth pour exprimer un relief supplémentaire en utilisant la profondeur de la sonorité des basses, présentes pour soutenir davantage la mélodie jouée sur les chanterelles. Je vous concède que le théorbe n'est pas l'instrument le plus facile à transporter...
Jonas Nordberg apporte ici tout son talent et son joli minois de garçon de la montagne du nord (je sais, c'est facile...), et son minois me rappelle celui de quelques très agréables garçons un peu germaniques que j'ai l'avantage de connaître !
Jonas Nordberg apporte ici tout son talent et son joli minois de garçon de la montagne du nord (je sais, c'est facile...), et son minois me rappelle celui de quelques très agréables garçons un peu germaniques que j'ai l'avantage de connaître !
lundi 16 février 2015
De Samuel
Vladimir (froissé, froidement). - Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
Estragon. - Dans un fossé
Vladimir. (épaté) - Un fossé ! Où ça ?
Estragon (sans geste). - Par là.
Vladimir. - Et on ne t'a pas battu ?
Estragon - Si... Pas trop.
Vladimir. - Toujours les mêmes ?
Estragon. - Les mêmes ? Je ne sais pas.
Estragon. - Dans un fossé
Vladimir. (épaté) - Un fossé ! Où ça ?
Estragon (sans geste). - Par là.
Vladimir. - Et on ne t'a pas battu ?
Estragon - Si... Pas trop.
Vladimir. - Toujours les mêmes ?
Estragon. - Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence
Photo Herbert List |
dimanche 15 février 2015
Vivaldi/Spinosi
Jean-Christophe Spinosi, avec l'ensemble Matheus pour La notte d'Antonio Vivaldi (concerto n°2 en sol mineur RV 439).
Un régal absolu !
L'ami Silvano me signale que la vidéo n'est pas active. Elle l'était pourtant lorsque je l'ai programmée, il y a quelques jours. Pour une raison qui n'est pas expliquée sur la page de Youtube, l'intégration dans un site web n'est pas autorisée. C'est vraiment regrettable (la peur d'être associé à des sites qui ne seraient pas "conformes" ? Je n'ose y croire !) Pour ne pas être pénalisé par cette décision, toute du droit des auteurs, voici le lien vers Youtube. C'est ici : clic
Un régal absolu !
L'ami Silvano me signale que la vidéo n'est pas active. Elle l'était pourtant lorsque je l'ai programmée, il y a quelques jours. Pour une raison qui n'est pas expliquée sur la page de Youtube, l'intégration dans un site web n'est pas autorisée. C'est vraiment regrettable (la peur d'être associé à des sites qui ne seraient pas "conformes" ? Je n'ose y croire !) Pour ne pas être pénalisé par cette décision, toute du droit des auteurs, voici le lien vers Youtube. C'est ici : clic
samedi 14 février 2015
Le Blues de l'Orient
vendredi 13 février 2015
Saint Sébastien (suite 6)
Chose promise : voici un très, très beau saint Sébastien, une huile sur toile de moyen format, dû à un Mexicain, Ángel Zárraga (y) Argüelles. Sa particularité est d'être un ex-voto et de se rattacher à une tradition de ferveur catholique qui n'est pas celle des peintres de la fin du Moyen-âge ou de la Renaissance, mais trouve sa continuité avec celle d'une foi très latine que l'on trouve également en Europe, notamment à la fin du XIXe siècle.
Le personnage féminin agenouillé aux pieds de Sébastien est Zoé, femme de Nicostrate selon la légende, qui était devenue muette. Visitant les prisonniers chrétiens de Dioclétien, Sébastien lui aurait rendu la parole alors qu'elle était agenouillée, lui traçant un signe de croix sur les lèvres. Dans sa facture, on sent chez Zárraga de belles influences préraphaélites.
L'ex-voto dit ceci : "Seigneur, je ne sais te glorifier comme le poète en vers savants ; mais accepte, Seigneur ce travail âpre et humble que j'ai réalisé de mes mains mortelles. Ángel ZÁRRAGA".
Que dire de l'attitude de Sébastien donnée par le peintre ? D'abord une grande sobriété : le décor de l'arrière-plan est minimaliste. Sébastien est attaché, de manière très lâche par le pied droit. Le gauche est libre, légèrement soulevé, et contredit l'attitude générale du corps qui serait alors supposé être en état d'abandon. Il est attaché également par la main gauche au-dessus de sa tête, avec une légère distorsion du bras : petit problème de cohérence dans la mesure des proportions ou de la perspective. Il est auréolé très sobrement. Son visage en demi-sommeil, est d'une grande beauté. La flèche qui lui perce le sein gauche a causé une entaille qui a un peu saigné. De l'ensemble se dégage, malgré les quelques défauts, une belle harmonie.
Zoé, à sa droite pourrait être vue dans un autre plan tant la composition paraît avoir été faite en deux temps : Sébastien d'un côté, Zoé de l'autre, et aucun d'eux ne regarde l'autre, ne paraît donner une raison à leur présence commune dans cet espace, si ce n'est la référence à la légende.
Ainsi, les deux personnages sont prétexte à une expression autonome de cette esthétique, l'une masculine, l'autre féminine, comme si, là encore, il s'agissait d'Eros, dont on ne peut parler dans une expression hautement religieuse, et dans un ensemble de références, au-delà du prétexte légendaire, aux canons de la beauté et de la nudité masculine d'une part, à la retenue du corps de la femme d'autre part. Zoé, dont on ne voit que le bras droit et la tête, est penchée pieusement sous un léger voile.
La question qu'on est en droit de se poser est celle de l'intention de Zárraga: sous couvert d'un prétexte religieux, n'a-t-il pas donné à comprendre l'expression d'un désir beaucoup plus érotique qu'il n'y paraît ?
Le personnage féminin agenouillé aux pieds de Sébastien est Zoé, femme de Nicostrate selon la légende, qui était devenue muette. Visitant les prisonniers chrétiens de Dioclétien, Sébastien lui aurait rendu la parole alors qu'elle était agenouillée, lui traçant un signe de croix sur les lèvres. Dans sa facture, on sent chez Zárraga de belles influences préraphaélites.
L'ex-voto dit ceci : "Seigneur, je ne sais te glorifier comme le poète en vers savants ; mais accepte, Seigneur ce travail âpre et humble que j'ai réalisé de mes mains mortelles. Ángel ZÁRRAGA".
Que dire de l'attitude de Sébastien donnée par le peintre ? D'abord une grande sobriété : le décor de l'arrière-plan est minimaliste. Sébastien est attaché, de manière très lâche par le pied droit. Le gauche est libre, légèrement soulevé, et contredit l'attitude générale du corps qui serait alors supposé être en état d'abandon. Il est attaché également par la main gauche au-dessus de sa tête, avec une légère distorsion du bras : petit problème de cohérence dans la mesure des proportions ou de la perspective. Il est auréolé très sobrement. Son visage en demi-sommeil, est d'une grande beauté. La flèche qui lui perce le sein gauche a causé une entaille qui a un peu saigné. De l'ensemble se dégage, malgré les quelques défauts, une belle harmonie.
Zoé, à sa droite pourrait être vue dans un autre plan tant la composition paraît avoir été faite en deux temps : Sébastien d'un côté, Zoé de l'autre, et aucun d'eux ne regarde l'autre, ne paraît donner une raison à leur présence commune dans cet espace, si ce n'est la référence à la légende.
Ángel Zárraga, Ex-voto de saint Sébastien - 1910 |
La question qu'on est en droit de se poser est celle de l'intention de Zárraga: sous couvert d'un prétexte religieux, n'a-t-il pas donné à comprendre l'expression d'un désir beaucoup plus érotique qu'il n'y paraît ?
Homosexualité et islam
Quelques éclairages sur la question avec les interventions, sur la chaîne Public Sénat, d'Abdellah Taïa, Louis-Georges Tin et Odon Vallet interrogés par Caroline Delage.
jeudi 12 février 2015
Ah ! que le temps vienne
Chanson de la plus haute tour
Oisive jeunesse,
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps
vienne
Où les cœurs s’éprennent.
Je me suis dit :
laisse,
Et qu’on ne te voie ;
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties,
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Francesco e Raffaello Petrini, Firenze nel anno 1490 - 1887 (détail), d'après Francesco Rosselli |
Ainsi la Prairie
À l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps
vienne
Où les cœurs s’éprennent !
Arthur Rimbaud – mai 1872 « Fêtes
de la patience »
mercredi 11 février 2015
Les Ramoneurs de menhirs
Une petite dédicace à notre collègue
Ĵeromo,
de gejaj rakontoj en esperanto puisque la vidéo qui vient est bretonne. En fait un mélange totalement improbable de musique bretonne, de rock, sur un chant populaire italien "Bella ciao".
"Bella ciao" à la bombarde. Tout ce que j'aime.
Enjoy, comme on dit un peu partout maintenant. Le groupe s'appelle les Ramoneurs de menhirs. Tout un programme. 'Y a du boulot, vu l'état des menhirs !
mardi 10 février 2015
"On dit qu'il en est..."
Existe-t-il en effet une sorte de métalangage, une manière d’être qui définirait le fait d’« en être » (on repense à la chanson homophobe d’un Fernandel, qui sous des dehors de comique qui le rendait sympathique, était très réactionnaire, voire légèrement collaborationniste, et assurément très homophobe. Il avait appris ça sans doute à l’Alcazar de Marseille qui, comme tout music-hall, faisait ses choux gras de la moquerie, et peut-être au-delà, sur les pédés). Nombre de thèses de sociologie ont vu le jour sur ce thème, à savoir principalement la sociologie des homosexuels : qui sont-ils, que font-ils, où vont-ils ? Quelles parts de marché représentent-ils ? Où les trouve-t-on, en dehors des ghettos/quartiers gays où s’expriment les affichages les plus évidents de leur « culture » ?
On part du principe qu’être homosexuel consiste à s’affranchir d’une norme comportementale considérée longtemps comme naturelle qui exprimerait une « virilité » et déterminerait un penchant pour le sexe féminin. Quoi de plus naturel en somme ? Avoir, de manière inversée, un penchant pour les garçons allait ainsi à contresens de la « nature ». Et ainsi, tout geste, tout élément qui pourrait appartenir à l’autre sexe serait une rupture de classification, un désordre du monde. Aux hommes les attitudes nettes, franches, affirmées, la voix portant haut, le pas décidé ; aux femmes la douceur, la délicatesse, le sourire avenant, les gestes précieux, une certaine élocution de la voix faisant traîner les syllabes, le goût pour la musique, l’opéra, la cuisine, les chiffons, bref, d’un côté la mécanique, y compris celles que l’on roule, de l’autre chiffons et bonbons.
Même punition pour les couleurs, le rose étant banni du choix des hommes virils. La chanson de Fernandel qui suit est édifiante : 1968 encore. Qu’il s’en est passé des choses cette année là ! Mais si le public rit, c’est que peut-être les choses pour l’homosexualité sont en train de changer, très, très, très lentement. On ne condamne plus, on sourit, on se moque. Le refrain « Ta, ta, ta, tala tata, prout, prout ! » fait référence, de manière très directe, au terme « tata, tante » (tata, c'est le tonton qui n'en n'a pas, bien sûr l'homosexuel étant pensé comme « passif », décliné en « tarlouse », « fiotte », « taffiotte », etc., le terme « pédé » n’étant qu’insuffisamment connoté. « Prout, prout », fait référence au pet, donc à l’anus, donc à la sodomie, fantasme absolu des hétérosexuels quand ils évoquent les homosexuels. Ainsi, dire en chantant « tata, prout-prout » fait hurler de rire une salle de la classe populaire en 1968, celle qui peine à effectuer ses quarante heures à l’atelier et voit d’un très mauvais œil des jeunes (car « ils », de ceux « qui en sont » sont plutôt jeunes forcément) qui ne sont pas en mesure de se salir à la graisse d’une machine, mais « sont virtuoses de la guitare », savent « coudre un bouton », etc.
Force des clichés, évidemment. Faute de statistiques, on n’a jamais su quelle proportion d’homosexuels se cachait dans les ateliers des usines. Si une meilleure visibilité était tolérée dans les salons, c’est que ces mêmes salons permettaient aux homosexuels de se fondre dans une fréquentation féminine, évitant ainsi de polluer la masse virile masculine parmi laquelle l’homosexualité révélée était sanctionnée immédiatement par la plus grande violence.
On notera chez Fernandel l'usage du « poignet cassé », signe, s'il en fut, qui montrait qu'on « en était ».
L’autre aspect soulevé par la question de Silvano est la question du « radar ». Le terme n’est pas anodin : c’est un outil de guerre. S’il y a radar c’est pour pouvoir reconnaître celui qui a la même « particularité » que soi, la même « orientation » dirait-on aujourd’hui, la même « déviance » diraient les praticiens de la normalité. S’il y a radar, c’est donc pour se reconnaître « entre soi », et principalement, pour se rassurer. Toute chose étant égale par ailleurs, un sketch juif évoque le même comportement, essayant de deviner si quelqu’un dans le train est effectivement juif, les apparences les plus patentes étant évitées. Ce « radar » gay pourrait ainsi être d’abord une espèce de défense réflexive, sachant qu’être gay, comme être juif dans un milieu « normal » met en danger ; d’où le sentiment fictif d’être en sécurité dans un milieu qui revendique ouvertement son homosexualité, ce que les homosexuels appellent le « milieu ». Essayer de repérer les signes du métalangage homosexuel chez l’autre permet ainsi de repérer un allié éventuel.
C’est un peu ce que nous faisons également sur Internet, sous couvert de l’anonymat le plus souvent. Rompre la solitude terrible du sentiment de la différence. Cela étant, ces signes sont pourtant terriblement parlants : empruntant à l’autre sexe (car il n’y en a que deux, et entre les deux une ligne d’indétermination qui nous permet de passer de l’un à l’autre ; être masculin, pour un homme évolué, consiste également à reconnaître en soi sa part de féminité, et inversement pour les femmes. Toute autre séparation aussi nette ne reviendrait qu’à opérer la répartition définitive des sexes des sociétés traditionnelles, dont excision et circoncision représentent la part la plus évidente) un geste, une phrase, une manière de regarder, ces éléments sont passés dans un registre connoté où il nous est loisible de repérer les signifiants de ce qui, dans un sexe, appartient à l’autre, sans y toucher.
Pau Casals is Bach
Un document d'archives à considérer comme tel car l'enregistrement est loin d'être excellent : août 1954 à l'Abbaye Saint-Michel de Cuxa (prononcer Cuchà). Oubliant les imperfections de la bande son, c'est toujours un moment impressionnant de voir jouer le maître catalan. C'était il y a soixante ans.
lundi 9 février 2015
Jean Genet interviewé par Bertrand Poirot-Delpech
Un portrait de Jean Genet est paru voici quelques années, en 2006, aux éditions EPM, comportant un livret avec la biographie de Jean Genet, un DVD de son unique film de court métrage Un chant d'amour (25 minutes), quelques entretiens, dont un très beau avec Hélène Martin qui avait mis en musique de nombreux textes du poète, dont le très célèbre Condamné à mort, et deux CD audio dont Chanter Genet, poèmes mis en musique par Hélène Martin.
Quelques imbéciles - dont un certain Frédéric M. récemment, qui s'occupa de culture au plus haut niveau - continuent de diffuser l'idée aberrante selon laquelle Genet aurait été admirateur de Hitler ou aurait rendu hommage aux collaborateurs et ceux qui ont notamment anéanti la population d'Oradour. C'est ne rien comprendre à la lecture d'un poète tel que Genet, qui fut également un immense provocateur parallèlement à son génie de l'écriture, et surtout comprendre ce que l'on a envie de comprendre.
Dans l'interview réalisée par Antoine Bourseiller, en 1981, Genet répète que la seule personne qu'il ait jamais admirée était Alberto Giacometti. On est loin des figures épouvantables auxquelles, par provocation contre le monde qu'il détestait, notre monde, Genet s'amusait à troubler le jeu et disperser les cartes pour mieux confondre la morale bourgeoise et sa soupe idéologique.
C'est la même démarche qui l'amène ici en 1982 à accorder une interview, malgré son mépris pour lui, à Bertrand Poirot-Delpech, journaliste au journal Le Monde, académicien français, et qui, très fier de l'honneur que lui fait Genet de cette interview, se confond en questions les plus plates qui soient. On reste ébahi devant la médiocrité du questionnement et la fatuité de Poirot-Delpech qui ne dépasse guère ce qu'un journaliste de Paris-Match aurait pu produire devant un homme de l'envergure de Jean Genet.
L'entretien est reproduit en version intégrale dans le recueil d'entretiens et de textes réunis par Albert Dichy sous le titre L'ennemi déclaré, paru en 1991 aux éditions Gallimard.
Pour se convaincre de la posture de Genet, il me suffit de citer un extrait d'un texte écrit par Jean Genet en 1968 alors qu'il est allé de manière clandestine aux États-Unis d'Amérique :
" Fabuleux happening. Hippies ! Merveilleux hippies, c'est à vous que j'adresse ma supplique finale : enfants, enfants couverts de fleurs de tous les pays, pour baiser les vieux salauds qui vous mènent la vie dure, unissez-vous, allez sous terre si nécessaire pour rejoindre les enfants brûlés du Vietnam." (ibidem, p. 319)
Quelques imbéciles - dont un certain Frédéric M. récemment, qui s'occupa de culture au plus haut niveau - continuent de diffuser l'idée aberrante selon laquelle Genet aurait été admirateur de Hitler ou aurait rendu hommage aux collaborateurs et ceux qui ont notamment anéanti la population d'Oradour. C'est ne rien comprendre à la lecture d'un poète tel que Genet, qui fut également un immense provocateur parallèlement à son génie de l'écriture, et surtout comprendre ce que l'on a envie de comprendre.
Dans l'interview réalisée par Antoine Bourseiller, en 1981, Genet répète que la seule personne qu'il ait jamais admirée était Alberto Giacometti. On est loin des figures épouvantables auxquelles, par provocation contre le monde qu'il détestait, notre monde, Genet s'amusait à troubler le jeu et disperser les cartes pour mieux confondre la morale bourgeoise et sa soupe idéologique.
C'est la même démarche qui l'amène ici en 1982 à accorder une interview, malgré son mépris pour lui, à Bertrand Poirot-Delpech, journaliste au journal Le Monde, académicien français, et qui, très fier de l'honneur que lui fait Genet de cette interview, se confond en questions les plus plates qui soient. On reste ébahi devant la médiocrité du questionnement et la fatuité de Poirot-Delpech qui ne dépasse guère ce qu'un journaliste de Paris-Match aurait pu produire devant un homme de l'envergure de Jean Genet.
L'entretien est reproduit en version intégrale dans le recueil d'entretiens et de textes réunis par Albert Dichy sous le titre L'ennemi déclaré, paru en 1991 aux éditions Gallimard.
Pour se convaincre de la posture de Genet, il me suffit de citer un extrait d'un texte écrit par Jean Genet en 1968 alors qu'il est allé de manière clandestine aux États-Unis d'Amérique :
" Fabuleux happening. Hippies ! Merveilleux hippies, c'est à vous que j'adresse ma supplique finale : enfants, enfants couverts de fleurs de tous les pays, pour baiser les vieux salauds qui vous mènent la vie dure, unissez-vous, allez sous terre si nécessaire pour rejoindre les enfants brûlés du Vietnam." (ibidem, p. 319)
dimanche 8 février 2015
Fauve ≠ - Les hautes lumières
Fauve ≠ est outé : Fauve ≠ est hétéro. La preuve dans la vidéo qui suit.
Nan, je déconne. Ce qui est amusant est le choix dans la vidéo d'une relation amoureuse hétérosexuelle alors que jusqu'alors les textes entretiennent une ambiguïté intéressante qui décrit l'incertitude, les interrogations des pulsions amoureuses, de la recherche de l'autre dont on ne sait pas qui il/elle est...
Peut-être a-t-on trop dit et écrit que Fauve ≠ avait la grande faveur d'un public gay, ce qui l'incite alors à recentrer ses démonstrations vidéographiques. Le texte de la chanson "Haut les cœurs" dit ceci " Je te connais comme si je t'avais fait" ; peut-être mon orientation me conduit-elle à interpréter dans mon sens ce texte, mais j'imagine mal que la personne à qui s'adresse le (comment faut-il dire? récitant-narrateur-chanteur) soit autre qu'un garçon et que les sentiments évoqués ne soient que ceux d'une forte amitié...
Pour écouter "Haut les coeurs", c'est là : clic
Toujours est-il que la vidéo dont Fauve ≠ a toujours revendiqué la pratique comme forme d'expression complémentaire aux textes et à la musique prend ici un contenu explicite. On aimerait (j'aimerais) que ce contenu puisse n'être pas seulement hétérosexuel.
Voir un précédent billet sur Fauve ≠, cliquer ici : Mancurat
"Les hautes lumières" reprennent et développent les mêmes thèmes. J'apprécie quelques images de la Corse. Je retiens en tout cas ce besoin irrépressible d'oxygène qu'exprime le texte. Je l'ai déjà écrit, ce même texte gagnerait certainement en efficacité par une plus grande sobriété ; néanmoins sa grande force est une sorte de spontanéité qui fait également sa fraîcheur.
"Je t'emmène loin de la barbarie...,
je t'emmène courir après les filles, après les garçons,
à Navone, à Lisbonne..."
samedi 7 février 2015
Saint Sébastien (suite 5)
Mes lecteurs/lectrices apprécieront, comme moi j'imagine, le côté décalé de cette poupée Barbie Ken/San Sebastian, connoté gay avec un triangle arc-en-ciel. J'imagine que c'est un fake réalisé par un plaisantin qui a bien eu raison de se moquer. Néanmoins, je n'avais encore jamais constaté à quel point les poupées Barbie, et Ken a fortiori, étaient moches, très moches. Comme je n'ai pas eu l'occasion depuis quelque temps de renouer avec ma série des saint Sébastien, je vous promets d'en trouver un beau, un très beau dans la semaine qui arrive.
En recherchant un peu mieux, voici les auteurs de cette création artistique, deux Argentins, Marianela Perelli and Pool Paolini qui ont créé un ensemble de 33 boîtes de poupées redessinées pour représenter des figures du catholicisme, du judaïsme, du bouddhisme et de l'islam.
Cet ensemble a été présenté à Buenos Aires le 11 octobre dernier dans une exposition appelée "Barbie, la religion plastique".
Pour plus d'information c'est ici : clic
Chouravé sans vergogne à GC Gazette/ Silvano |
Cet ensemble a été présenté à Buenos Aires le 11 octobre dernier dans une exposition appelée "Barbie, la religion plastique".
Pour plus d'information c'est ici : clic
Danse buto
Je parlais dans un billet précédent de l'éclat des corps, suppliciés, chosifiés, transformés en marchandises. L'industrialisation du corps par sa destruction de masse a accompagné tout le XXe siècle et la critique de ce rapport s'est exprimée sous toutes ses formes. Les sociologues, les philosophes, les artistes se sont interrogés sur tous ces aspects sans parvenir vraiment à d'autres ressources que d'en exprimer l'effroi le plus souvent, car il nous est impossible de nous abstraire de ce propre corps qui nous appartient dans ses formes les plus vaines, dans ses côtés les plus éphémères. Le temps de passer de l'émerveillement à la déploration.
Il y a peut-être, entre la célébration du corps vu par les canons de la beauté, celle héritée de l'Antiquité et de la période hellénistique, et sa réduction en poussière par des méthodes les plus sophistiquées, en les regroupant sous l’œil d'un Chronos débarrassé de toute pitié, un simple axe où selon les lieux et les époques, un artiste ou un bourreau jouent à déplacer le curseur. Nous assistons, impuissants, à ce spectacle dont Guy Debord avait compris la vanité et la cruauté.
La danse butō est née dans les années 1960 de cette sensibilité au monde, dans l'horreur digérée des massacres de Hiroshima et Nagasaki. En France, en 1959, le grand Alain Resnais, sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras, en fit Hiroshima mon amour, en collaboration avec le Japon, qui essaie d’exprimer l'indicible et la difficulté de communiquer le traumatisme subi lors d’événements de l'ampleur de ce qui s'est passé au Japon, mais qui est tout aussi valable pour le système des camps de la mort en Occident. Ou ailleurs.
Le butō, qui reste une expression propre à la culture japonaise, procède de la même démarche et explore, par la confrontation du corps à son espace, les moyens de retrouver les spécificités d'une autre humanité : celle qui recherche l'attitude lui permettant de vivre une nouvelle stature, une nouvelle inscription dans le monde, grevée de la mémoire du malheur collectif.
La vidéo qui suit est un extrait de la performance du danseur Imre Thormann au temple d'Hiyoshi Taisha, au Japon, en 2006.
La musique est due au pianiste suisse Nik Baertsch et son groupe "Mobile".
Il y a peut-être, entre la célébration du corps vu par les canons de la beauté, celle héritée de l'Antiquité et de la période hellénistique, et sa réduction en poussière par des méthodes les plus sophistiquées, en les regroupant sous l’œil d'un Chronos débarrassé de toute pitié, un simple axe où selon les lieux et les époques, un artiste ou un bourreau jouent à déplacer le curseur. Nous assistons, impuissants, à ce spectacle dont Guy Debord avait compris la vanité et la cruauté.
La danse butō est née dans les années 1960 de cette sensibilité au monde, dans l'horreur digérée des massacres de Hiroshima et Nagasaki. En France, en 1959, le grand Alain Resnais, sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras, en fit Hiroshima mon amour, en collaboration avec le Japon, qui essaie d’exprimer l'indicible et la difficulté de communiquer le traumatisme subi lors d’événements de l'ampleur de ce qui s'est passé au Japon, mais qui est tout aussi valable pour le système des camps de la mort en Occident. Ou ailleurs.
Le butō, qui reste une expression propre à la culture japonaise, procède de la même démarche et explore, par la confrontation du corps à son espace, les moyens de retrouver les spécificités d'une autre humanité : celle qui recherche l'attitude lui permettant de vivre une nouvelle stature, une nouvelle inscription dans le monde, grevée de la mémoire du malheur collectif.
La vidéo qui suit est un extrait de la performance du danseur Imre Thormann au temple d'Hiyoshi Taisha, au Japon, en 2006.
La musique est due au pianiste suisse Nik Baertsch et son groupe "Mobile".
vendredi 6 février 2015
Reparle-moi
C'est promis, je te rendrai ta valise.
Photo Chris Knight |
... mais crois-tu avoir les arguments nécessaires pour te permettre de fougner* ainsi ?
© Celeos |
* fougner : terme de la langue d'oc (voir http://fr.wiktionary.org/wiki/fonhar, verbe 2)
Wolfi encore
Une compilation d'extraits du film de Milos Forman Amadeus, sorti en salles en 1984.
Film contesté, car peu conforme à la réalité convenue des personnages de Mozart et de Salieri, mais qui reste, du point de vue fictionnel, un véritable plaisir à regarder. Wolfi, personnage hystérique ? pourquoi pas après tout. Il reste la musique de Mozart.
Film contesté, car peu conforme à la réalité convenue des personnages de Mozart et de Salieri, mais qui reste, du point de vue fictionnel, un véritable plaisir à regarder. Wolfi, personnage hystérique ? pourquoi pas après tout. Il reste la musique de Mozart.
Sur fond du "Rondo Alla Turca", plus connu en France sous le nom de "Marche turque".
Il semblerait que Charles Trenet s'en soit inspiré, ou en ait copié quelques mesures pour sa chanson " L'épicière ". Rumeur ou coïncidence ?...
L'extraordinaire prestation de Tom Hulce, qui tranchait, d'après la pièce de Peter Schaffer et à la demande de Milos Forman, alors, a fait dire qu'il avait un rire d'hyène. Montrer Tom Hulce en quasi folle de Broadway, avec des perruques en pétard et un goût de la fête propre à dérider un couvent de Carmélites était un pari pour le moins gonflé !
Film à voir ou à revoir, on ne se lasse jamais de Mozart, même s'il y a à redire. Et puis Milos Forman restera pour toujours le réalisateur de l'admirable Vol au dessus du cou de Nini... Euh ! me serais-je trompé ? On me dit en régie qu'il s'agit du Vol au-dessus d'un nid de coucou. Dont acte.
jeudi 5 février 2015
Salò ou les 120 journées de Sodome
Coïncidence ! qui n'en est pas tout à fait une puisque 2015 sera l'année des quarante ans de la mort de Pier Paolo Pasolini. Abel Ferrara a publié son film Pasolini voici quelques semaines, et peut-être faut-il tout ce temps, ces quatre décennies, pour prendre la mesure de l'importance de son œuvre.
Fabrice Drouelle, sur France Inter, a consacré cet après-midi, son émission au dernier film de Pier Paolo : Salò ou les 120 journées de Sodome.
Plus que jamais il me semble que son œuvre, à la fois intemporelle et ancrée dans une réalité sociale globalisée, trouve une résonance particulière dans notre monde contemporain où l'éclat de la chosification des corps (Michel Foucault, dans Surveiller et punir parlait de "L'éclat des supplices" ; il ne citait pas Sade alors !) nous claque dans la figure tous les jours.
Émission à écouter d'urgence si vous n'étiez pas devant la radio. Cliquez sur le titre :
Affaires sensibles (pour la présentation de l'émission)
ou sur le nom des intervenants pour une écoute directe :
Fabrice Drouelle et Hervé Joubert-Laurencin
Fabrice Drouelle, sur France Inter, a consacré cet après-midi, son émission au dernier film de Pier Paolo : Salò ou les 120 journées de Sodome.
Plus que jamais il me semble que son œuvre, à la fois intemporelle et ancrée dans une réalité sociale globalisée, trouve une résonance particulière dans notre monde contemporain où l'éclat de la chosification des corps (Michel Foucault, dans Surveiller et punir parlait de "L'éclat des supplices" ; il ne citait pas Sade alors !) nous claque dans la figure tous les jours.
Pier Paolo Pasolini - Salò ou les 120 jours de Sodome - 1975 |
Émission à écouter d'urgence si vous n'étiez pas devant la radio. Cliquez sur le titre :
Affaires sensibles (pour la présentation de l'émission)
ou sur le nom des intervenants pour une écoute directe :
Fabrice Drouelle et Hervé Joubert-Laurencin
Benjamin Grosvenor/George Gerschwin
Petits veinards, voici Benjamin Grosvenor,
jeune (22 ans), et british à souhait !
(Les jeux de mots sont de pire en pire sur Véhèmes, une honte !)
jeune (22 ans), et british à souhait !
(Les jeux de mots sont de pire en pire sur Véhèmes, une honte !)
mercredi 4 février 2015
La marche d'Œdipe - 3
Œdipe roi - Pier Paolo Pasolini - 1967
La naissance d'Œdipe
Lorsque Pier Paolo Pasolini tourne Œdipe roi, film vu comme l'adaptation de l'œuvre de Sophocle, il se permet nombre de modifications qui en font une œuvre dès lors totalement personnelle.
Le film débute par la naissance d'Œdipe, quelque part dans une campagne italienne, peut-être aux environs de Rome, dans les années 1920 ; la naissance d’Œdipe serait alors contemporaine de celle de Pier Paolo (né en 1922). Les premiers plans sont ceux de l’harmonie entre l’enfant et sa mère, dont il est le prolongement, une partie autonome de son propre corps. La caméra se promène dans les frondaisons des arbres, soutenue par les instruments à cordes de la musique qui évoque un apparent moment d’apaisement.
Mais un plan, visible dans l'extrait, montre clairement le drapeau italien utilisé juste après 1848, au moment où a lieu la proclamation de Charles-Albert de Savoie pour l’indépendance et l’unité italienne. L’écu de la Maison de Savoie est en effet très visible au centre du drapeau. Il y a ainsi une sorte de téléscopage temporel entre les débuts de l’unité italienne, et la volonté de Pier Paolo de vouloir naître lui-même et faire naître son Œdipe à ce moment là, alors que les images évoquent le début du XXe siècle.
Un autre artifice est utilisé par Pier Paolo : ce qui n’est pas dicible par les personnages et par le père Pasolini/Laïos, interprété par le très beau Luciano Bartoli, (c’est un militaire) est écrit sur le panneau présenté dans le plan, revenant sur les usages du cinéma muet. Il déclare d’emblée sa jalousie à son fils : « Tu sei qui per prendere il mio posto nel mondo, ricacciarmi nel nulla e rubarmi tutto quello que ho » (tu es là pour prendre ma place dans le monde, me repousser dans le néant et me voler tout ce que j’ai). « E la prima cosa che mi ruberai sarà lei, la donna che io amo. Anzi già mi rubi il suo amore ! » (Et la première chose que tu me voleras sera elle, la dame que j’aime. D’ailleurs, tu me voles déjà son amour !)
L’abandon
Lorsque l’enfant voit l’ombre de ses parents se projeter sur le rideau de la fenêtre, c’est à son tour de laisser s’exprimer le dépit envers celui qui lui vole sa mère, au point que la jalousie réciproque ressentie amène le père à vouloir la mort de l’enfant, son fils. C’est là que, pour Pier Paolo, se fait la transposition des lieux et de la musique. Lorsque l’enfant est conduit vers la mort, c’est une Grèce supposée, mais en rupture avec les clichés vus jusque là imaginant l’ensemble dans un décor de théâtre épidaurien ; ce sont des paysages désertiques de l’Afrique que les regards découvrent, et en conséquence, c’est là, dans ce désert, que les choses les plus essentielles se mettent à exister. Le décor, les costumes sont des éléments à la fois rustiques et baroques, hors de toute esthétique hellénique antique. Ils n’en sont pas moins efficaces, acquérant pour le coup une nouvelle réalité, celle imposée par la logique de cette nouvelle narration.
La musique n’est plus celle des cordes d’un orchestre occidental classique, mais le son aigrelet d’une flûte qui adopte des modes pentatoniques. Le jeu musical alterne, selon les séquences, entre cordes classiques et flûtes, soutenant ainsi les contradictions vécues entre moments d’harmonie et réalité de l’affrontement avec le destin. Le filmage est réalisé à la caméra d’épaule pour rajouter à l’inconfort de la nouvelle situation présentée, donnant des soubresauts dans la succession des images. Le berger qui le recueille le porte jusqu’à Polybe, qui décide de l’adopter. L’extrait du film présenté ici dans le blog s’arrête à ce moment où Polybe le reçoit pour son propre fils.
La narration poursuit son déroulement avec parfois des fidélités à l’histoire de Sophocle, et parfois de grandes libertés qui permettent d’entrer de plain pied dans la propre logique de Pier Paolo Pasolini. S’il ne peut éluder le chemin qui le mène jusqu’à la Pythie, le renvoyant dans les cordes à franchir la double interdiction du meurtre du père et de l’inceste avec la mère, la rencontre avec le Sphinx reste très elliptique. Choix esthétique, ou choix philosophique, permettant à Pier Paolo d’insérer le dialogue avec le Sphinx dans une réflexion introspective d’Œdipe avec lui-même, s’interrogeant sur sa propre nature ?
Le traitement de la rencontre avec Laïos demeure alors le moment paroxystique de l’œuvre : Œdipe marche alors que Laïos arrive sur un char, devenu charriot tirée par des mulets sur cette route désertique qui le reconduit depuis Delphes. Laïos est l’arrogance même, et son regard celui du mépris. Franco Citti, dans son incarnation d’Œdipe refuse d’abord timidement de le laisser passer, puis plus fermement. Et dans son opposition à cette arrogance du pouvoir représenté par Laïos, il hurle, comme pour refuser ce qui doit se passer, et s’enfuit, faisant marche arrière en courant. Il est rejoint par les gardes de Laïos avec lesquels il se bat à l’épée, et un à un, tue les gardes avant de revenir, en marche avant, tuer Laïos lui-même. La scène scelle ainsi le film et le destin d’Œdipe.
La rencontre avec le Sphinx est curieuse : le Sphinx est un personnage exclusivement masculin, le visage caché par un masque africain. Il n’est pas question de deviner une énigme, mais, au contraire, le Sphinx lui dit : « Il y a une énigme dans ta vie. Quelle est-elle ? – Je ne veux pas le savoir, répond Œdipe. – L’abîme dans lequel tu veux me rejeter est au plus profond de toi », rétorque le Sphinx, avant d’être précipité par Œdipe dans le vide. « La Sfinge è morta[1] ! » annonce le jeune messager que joue Ninetto Davoli, dénommé si justement Angelo (le messager). Ambiguïté d’intention dans le scénario de Pier Paolo : Œdipe a-t-il tué le Sphinx pour pouvoir devenir, ayant sauvé les Thébains, l’époux de Jocaste, ou seulement pour ne pas entendre ce que le Sphinx avait à dire de plus grave encore que l’oracle du parricide et de l’inceste ?
Dès lors tout s’enchaîne dans l’ordre des choses : si la disparition du Sphinx lui permet d’accéder, grâce à Créon, à la royauté de Thèbes et au mariage avec Jocaste, les jeux de temporalité permettent d’enchaîner très rapidement la suite de la narration, comme s’il y avait urgence dans le rythme du film à précipiter la succession des événements. Dans l’histoire de Pier Paolo, Jocaste et Œdipe n’ont pas le temps d’avoir une descendance, et c’est sans doute là une projection personnelle de Pier Paolo dans son propre film. Aussitôt la peste se déclare, et une succession de séquences illustre le malheur des cadavres atteints, les processions vers la crémation.
C’est là que Pier Paolo intervient en tant qu’acteur, interprétant le grand prêtre de Thèbes, qui dénoue par son intervention la suite du déroulement : Œdipe semble figé devant l’événement de la peste, dans l’impossibilité d’agir, comme si une prescience lui permettait de connaître ce que l’oracle a encore à dire. Il a envoyé Créon consulter la Pythie : pour délivrer Thèbes, il faut la purger de l’assassin de Laïos.
Tirésias intervient à son tour, à la demande d’Œdipe, et le choix de l’acteur semble, là encore, particulièrement troublant : il s’agit de Julian Beck[2], le fondateur du Living theater dont le choix comme acteur n’est pas innocent, introduisant, par sa physionomie anglo-saxonne, une rupture avec celle des acteurs méditerranéens présents dans le film.
Avec Jocaste qu’interprète Silvana Mangano, ce sont les deux seuls visages à la blancheur étonnante.
C’est la première apparition publique de Tirésias, contre lequel s’emporte Œdipe. En rupture avec la résolution de l’énigme dans le mythe, Œdipe ne sait montrer là que l’immédiateté de son comportement dans une colère irraisonnée contre Tirésias dont il sait qu’il connaît la même vérité que celle sur laquelle l’a questionné le Sphinx.
Peu à peu, questionnant Jocaste, Œdipe se convainc qu’il est bien le meurtrier de Laïos. Il reste à faire se confronter les témoins : le messager de Corinthe vient annoncer la mort de Polybe. Il reconnaît le berger qui avait porté l’enfant sur le mont Cithéron. La vérité se fait explicite.
Œdipe revient au palais à Thèbes : Jocaste s’est pendue dans la chambre nuptiale. Œdipe ne peut plus voir cette réalité et se perce les yeux. Image terrible, dans le film, que celle où Œdipe ouvre la porte du palais et se montre le visage ensanglanté aux gens de Thèbes dont Angelo – Ninetto Davoli – est le plus significatif.
Angelo lui tend la flûte au son aigrelet, celle dont jouait Tirésias. Œdipe marche, conduit par Angelo, alors que la séquence bascule vers un autre lieu et un autre temps d’une ville italienne – ce doit être Bologne. Assis sur les marches de la basilique de san Petronio, Œdipe joue de la flûte à bec et appelle Angelo qui, insouciant, s’amuse avec les pigeons. Le film est tourné en images réelles ; les gens sont attablés aux terrasses des cafés, vaquent à leurs occupations routinières tandis que se dénoue la fin du drame : Œdipe, conduit par Angelo, se substituant à une Antigone absente du film, joue de la flûte dans un faubourg. Dans une allée, de jeunes garçons jouent au ballon sous la fumée d’une usine ;
les ouvriers sortent en regagnant leur domicile à vélo, téléscopage entre la tragédie intemporelle et la condition prolétarienne de la fin des années 1960. Insouciant Angelo-Ninetto joue au ballon avec les autres garçons. Œdipe/Pier Paolo appelle Angelo. Leur chemin les ramène au point de départ du film : dans une cour entourée de bâtiments agricoles et devant la maison où se trouvait le drapeau de l’unité italienne. « Dove siamo ? où sommes-nous », demande Œdipe. Angelo le lui explique. La musique des cordes accompagne à nouveau les images des frondaisons des arbres. « – Ô lumière que je ne peux plus voir, éclaire-moi une dernière fois ! » demande-t-il. Le crissement des cigales accompagne une musique militaire en fond.
« La vie finit là où elle a commencé », constate-t-il. Sur le vert si vert d’un pré illuminé de soleil.
La naissance d'Œdipe
Lorsque Pier Paolo Pasolini tourne Œdipe roi, film vu comme l'adaptation de l'œuvre de Sophocle, il se permet nombre de modifications qui en font une œuvre dès lors totalement personnelle.
Le film débute par la naissance d'Œdipe, quelque part dans une campagne italienne, peut-être aux environs de Rome, dans les années 1920 ; la naissance d’Œdipe serait alors contemporaine de celle de Pier Paolo (né en 1922). Les premiers plans sont ceux de l’harmonie entre l’enfant et sa mère, dont il est le prolongement, une partie autonome de son propre corps. La caméra se promène dans les frondaisons des arbres, soutenue par les instruments à cordes de la musique qui évoque un apparent moment d’apaisement.
Mais un plan, visible dans l'extrait, montre clairement le drapeau italien utilisé juste après 1848, au moment où a lieu la proclamation de Charles-Albert de Savoie pour l’indépendance et l’unité italienne. L’écu de la Maison de Savoie est en effet très visible au centre du drapeau. Il y a ainsi une sorte de téléscopage temporel entre les débuts de l’unité italienne, et la volonté de Pier Paolo de vouloir naître lui-même et faire naître son Œdipe à ce moment là, alors que les images évoquent le début du XXe siècle.
Un autre artifice est utilisé par Pier Paolo : ce qui n’est pas dicible par les personnages et par le père Pasolini/Laïos, interprété par le très beau Luciano Bartoli, (c’est un militaire) est écrit sur le panneau présenté dans le plan, revenant sur les usages du cinéma muet. Il déclare d’emblée sa jalousie à son fils : « Tu sei qui per prendere il mio posto nel mondo, ricacciarmi nel nulla e rubarmi tutto quello que ho » (tu es là pour prendre ma place dans le monde, me repousser dans le néant et me voler tout ce que j’ai). « E la prima cosa che mi ruberai sarà lei, la donna che io amo. Anzi già mi rubi il suo amore ! » (Et la première chose que tu me voleras sera elle, la dame que j’aime. D’ailleurs, tu me voles déjà son amour !)
L’abandon
Lorsque l’enfant voit l’ombre de ses parents se projeter sur le rideau de la fenêtre, c’est à son tour de laisser s’exprimer le dépit envers celui qui lui vole sa mère, au point que la jalousie réciproque ressentie amène le père à vouloir la mort de l’enfant, son fils. C’est là que, pour Pier Paolo, se fait la transposition des lieux et de la musique. Lorsque l’enfant est conduit vers la mort, c’est une Grèce supposée, mais en rupture avec les clichés vus jusque là imaginant l’ensemble dans un décor de théâtre épidaurien ; ce sont des paysages désertiques de l’Afrique que les regards découvrent, et en conséquence, c’est là, dans ce désert, que les choses les plus essentielles se mettent à exister. Le décor, les costumes sont des éléments à la fois rustiques et baroques, hors de toute esthétique hellénique antique. Ils n’en sont pas moins efficaces, acquérant pour le coup une nouvelle réalité, celle imposée par la logique de cette nouvelle narration.
La musique n’est plus celle des cordes d’un orchestre occidental classique, mais le son aigrelet d’une flûte qui adopte des modes pentatoniques. Le jeu musical alterne, selon les séquences, entre cordes classiques et flûtes, soutenant ainsi les contradictions vécues entre moments d’harmonie et réalité de l’affrontement avec le destin. Le filmage est réalisé à la caméra d’épaule pour rajouter à l’inconfort de la nouvelle situation présentée, donnant des soubresauts dans la succession des images. Le berger qui le recueille le porte jusqu’à Polybe, qui décide de l’adopter. L’extrait du film présenté ici dans le blog s’arrête à ce moment où Polybe le reçoit pour son propre fils.
[La vidéo préalablement présentée a été supprimée sur Youtube]
La narration poursuit son déroulement avec parfois des fidélités à l’histoire de Sophocle, et parfois de grandes libertés qui permettent d’entrer de plain pied dans la propre logique de Pier Paolo Pasolini. S’il ne peut éluder le chemin qui le mène jusqu’à la Pythie, le renvoyant dans les cordes à franchir la double interdiction du meurtre du père et de l’inceste avec la mère, la rencontre avec le Sphinx reste très elliptique. Choix esthétique, ou choix philosophique, permettant à Pier Paolo d’insérer le dialogue avec le Sphinx dans une réflexion introspective d’Œdipe avec lui-même, s’interrogeant sur sa propre nature ?
Le traitement de la rencontre avec Laïos demeure alors le moment paroxystique de l’œuvre : Œdipe marche alors que Laïos arrive sur un char, devenu charriot tirée par des mulets sur cette route désertique qui le reconduit depuis Delphes. Laïos est l’arrogance même, et son regard celui du mépris. Franco Citti, dans son incarnation d’Œdipe refuse d’abord timidement de le laisser passer, puis plus fermement. Et dans son opposition à cette arrogance du pouvoir représenté par Laïos, il hurle, comme pour refuser ce qui doit se passer, et s’enfuit, faisant marche arrière en courant. Il est rejoint par les gardes de Laïos avec lesquels il se bat à l’épée, et un à un, tue les gardes avant de revenir, en marche avant, tuer Laïos lui-même. La scène scelle ainsi le film et le destin d’Œdipe.
Franco Citti - Œdipe |
La rencontre avec le Sphinx est curieuse : le Sphinx est un personnage exclusivement masculin, le visage caché par un masque africain. Il n’est pas question de deviner une énigme, mais, au contraire, le Sphinx lui dit : « Il y a une énigme dans ta vie. Quelle est-elle ? – Je ne veux pas le savoir, répond Œdipe. – L’abîme dans lequel tu veux me rejeter est au plus profond de toi », rétorque le Sphinx, avant d’être précipité par Œdipe dans le vide. « La Sfinge è morta[1] ! » annonce le jeune messager que joue Ninetto Davoli, dénommé si justement Angelo (le messager). Ambiguïté d’intention dans le scénario de Pier Paolo : Œdipe a-t-il tué le Sphinx pour pouvoir devenir, ayant sauvé les Thébains, l’époux de Jocaste, ou seulement pour ne pas entendre ce que le Sphinx avait à dire de plus grave encore que l’oracle du parricide et de l’inceste ?
Ninetto Davoli - Angelo |
Dès lors tout s’enchaîne dans l’ordre des choses : si la disparition du Sphinx lui permet d’accéder, grâce à Créon, à la royauté de Thèbes et au mariage avec Jocaste, les jeux de temporalité permettent d’enchaîner très rapidement la suite de la narration, comme s’il y avait urgence dans le rythme du film à précipiter la succession des événements. Dans l’histoire de Pier Paolo, Jocaste et Œdipe n’ont pas le temps d’avoir une descendance, et c’est sans doute là une projection personnelle de Pier Paolo dans son propre film. Aussitôt la peste se déclare, et une succession de séquences illustre le malheur des cadavres atteints, les processions vers la crémation.
Pier Paolo Pasolini - Le grand prêtre de Thèbes |
C’est là que Pier Paolo intervient en tant qu’acteur, interprétant le grand prêtre de Thèbes, qui dénoue par son intervention la suite du déroulement : Œdipe semble figé devant l’événement de la peste, dans l’impossibilité d’agir, comme si une prescience lui permettait de connaître ce que l’oracle a encore à dire. Il a envoyé Créon consulter la Pythie : pour délivrer Thèbes, il faut la purger de l’assassin de Laïos.
Silvana Mangano - Jocaste |
Tirésias intervient à son tour, à la demande d’Œdipe, et le choix de l’acteur semble, là encore, particulièrement troublant : il s’agit de Julian Beck[2], le fondateur du Living theater dont le choix comme acteur n’est pas innocent, introduisant, par sa physionomie anglo-saxonne, une rupture avec celle des acteurs méditerranéens présents dans le film.
Julian Beck - Tiresias |
C’est la première apparition publique de Tirésias, contre lequel s’emporte Œdipe. En rupture avec la résolution de l’énigme dans le mythe, Œdipe ne sait montrer là que l’immédiateté de son comportement dans une colère irraisonnée contre Tirésias dont il sait qu’il connaît la même vérité que celle sur laquelle l’a questionné le Sphinx.
Peu à peu, questionnant Jocaste, Œdipe se convainc qu’il est bien le meurtrier de Laïos. Il reste à faire se confronter les témoins : le messager de Corinthe vient annoncer la mort de Polybe. Il reconnaît le berger qui avait porté l’enfant sur le mont Cithéron. La vérité se fait explicite.
Carmelo Bene - Creon |
Franco Citti - Œdipe sort du palais |
Ninetto - Angelo conduit Œdipe |
Assis sur les marches de la basilique san Petronio |
les ouvriers sortent en regagnant leur domicile à vélo, téléscopage entre la tragédie intemporelle et la condition prolétarienne de la fin des années 1960. Insouciant Angelo-Ninetto joue au ballon avec les autres garçons. Œdipe/Pier Paolo appelle Angelo. Leur chemin les ramène au point de départ du film : dans une cour entourée de bâtiments agricoles et devant la maison où se trouvait le drapeau de l’unité italienne. « Dove siamo ? où sommes-nous », demande Œdipe. Angelo le lui explique. La musique des cordes accompagne à nouveau les images des frondaisons des arbres. « – Ô lumière que je ne peux plus voir, éclaire-moi une dernière fois ! » demande-t-il. Le crissement des cigales accompagne une musique militaire en fond.
« La vie finit là où elle a commencé », constate-t-il. Sur le vert si vert d’un pré illuminé de soleil.
Les larmes d'Œdipe |
(à suivre)
[1] Ambiguïté de nature : la sfinge, mais Pier Paolo en fait un être masculin.
[2] Trouble pour moi également : j’ai dans ma grande jeunesse, croisé et salué Julian Beck à qui je fus présenté. Les circonstances étaient particulièrement étranges. C’était en Auvergne, où Julian Beck, Judith Malina et le Living theater venaient représenter Antigone de Sophocle. Il était tard dans la soirée d’un été à peine chaud, où la troupe et les comédiens venaient à peine d’arriver. J’ai le souvenir, dans la lueur d’un réverbère autour duquel virevoltaient des chauves-souris, du profil d’aigle de Julian Beck, que je vis disparaître dans la nuit, accompagné d’un ami comédien. Le lendemain avait lieu la représentation en plein air. C’était les toutes dernières années du Living theater…
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