Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

samedi 23 décembre 2017

Recordaras nuestros dias felices

On ne peut que se féliciter des résultats des élections en Catalogne qui infligent un camouflet à l'affreux Rajoy et à son comportement néofranquiste qui n'a pas beaucoup ému les Européens (courage, fuyons !...).



Je l'ai déjà dit dans ce blog, la situation en Catalogne est complexe, et l'indépendance n'est pas forcément une bonne solution. Pour autant, si cette démarche permet de remettre en cause la manière dont fonctionnent les institutions espagnoles, alors pourquoi ne pas prendre cette voie : l'idéal, à terme, étant l'organisation au niveau européen d'une grande fédération qui pourrait mieux organiser les solidarités, mais avec une réappropriation localement des décisions, des aménagements des territoires. Un exemple ? La ligne TAV entre la France et l'Italie, qui n'a aucun sens économique autre que de financer les bétonneurs de la mafia italienne, et qui met en danger les populations et les écosystèmes de la Val Susa. Pour l'instant, la décision est encore en suspens, et comme le financement n'est pas clairement défini, le projet tarde à voir le jour, fort heureusement. Mais la population de l'Italie du Nord n'est pas favorable, loin de là à ce projet.

L'exemple de la Catalogne, qui apparaît comme une rupture avec le système centralisé espagnol, permet de reposer les conditions d'exercice de la démocratie, le nationalisme catalan, bien réel par ailleurs, mais déjà dépassé, se situant dans un autre champ de la problématique posée. Il est vrai que le poids de l'histoire joue à plein dans l'affaire : les Catalans ont encore en mémoire la déclaration d'indépendance de Lluís Companys de 1934, qui lui valut d'être fusillé par les franquistes en 1940. C'est que, effectivement, le système espagnol ne fonctionne pas bien, et pas mieux que le système des institutions françaises, qui étouffe sous un centralisme archaïque, héritage de l'Ancien régime. Lorsque l'Europe s'est constituée dans la dernière partie du XXe siècle, elle pensait au système des régions, étayé par l'économie nord-européenne, mais dont le modèle était fourni par ce que le géographe Roger Brunel avait appelé «la banane bleue», c'est à dire la forme que constitue le croissant alpin vu du ciel la nuit, qui montre, par la lumière des conurbations, où se situe le centre névralgique industriel de cette Europe. Parallèlement, la faillite institutionnelle de l'Europe, mis à mal par le lobbying de certains groupes industriels,  a mis en panne la réflexion sur l'évolution démocratique dans l'ensemble de l'Europe. Le résultat ? La Pologne est vérolée par le nationalisme catholique et antisémite, la Hongrie développe tous les thèmes de la xénophobie, et sans être exhaustif, l'Autriche vient d'élire une formation dans laquelle les néonazis ont les ministères régaliens. Sans que personne ne s'émeuve dans les pays membres de l'Europe.

La Catalogne, présente, au contraire, des gages d'une véritable réflexion sur une refondation de la démocratie : la gauche favorable à l'indépendance est majoritaire à 44 % (j'exclus le parti de Puigdemont, qui est de centre droit), dont font partie la CUP, l'ERC, et Podemos. Les socialistes, en Espagne comme en France sont toujours du mauvais côté. Ce ne sont pas des national-socialistes, mais des socialistes nationaux. Ils prêteront donc main forte à Ciudadanos, qui restent le visage présentable de l'Espagne de droite. Le Parti populaire culmine à 3 %, ce qui traduit l'appréciation sur le comportement détestable de Rajoy, qui fait emprisonner  pour raisons politiques ses opposants, alors que lui-même est compromis dans des affaires plus que douteuses !



©Infographie journal Le Monde

Malheureusement, tout cela ne résout pas le problème institutionnel de la Catalogne. Encore une fois, cette situation a la vertu de poser la question de la démocratie dans une Europe en crise de son économie générale et de ses institutions. Je fais confiance en la maturité des Catalans, de ses jeunes générations qui restent prévenues des méfaits de l'histoire espagnole: encore une fois, on n'est pas vraiment sorti des scories des Rois catholiques, de la chasse des juifs, de la colonisation et de l'extermination des Indiens d'Amérique latine, de la chasse aux Maures, ensemble sur lequel s'est construit le pouvoir mortifère et, par voie de conséquence, doloriste de l'Espagne. C'est là-dessus que le conservatisme et l'archaïsme de ses institutions se sont appuyés. Lorsque Franco fait son pronunciamiento en 1936 contre la République espagnole régulièrement élue, c'est contre tous les droits établis. A l'époque, au moment où le nazisme était en plein essor en Allemagne, où l'Italie professait un fascisme retentissant, où la France était en plein repli déjà identitaire, catholique et antisémite, les pays européens se soucièrent comme d'une guigne de cette violation de tous les droits en Espagne, droits des institutions comme de tous les droits humains.

Aussi c'est avec un peu d'ironie que je lis parfois le rappel au droit international pour déclarer de manière inconséquente que la déclaration de Puigdemont serait en infraction avec la constitution espagnole ! Sachant que cette constitution s'appuie sur une monarchie parlementaire mise en place par Franco, tout cela relativise le droit international et la reconnaissance de son fait générateur.

Je n'ai pas voulu être méchant avec le camarade TTO, qui a écrit quelques belles conneries dans son billet du 13 octobre dernier (cliquer là : uneviedetto), dans lequel, sous prétexte de parler de droit international (comme si ce dernier tombait du ciel !), il néglige totalement l'histoire de l'Espagne et celle de la Catalogne, qui n'ont jamais été une histoire d'amour. Pas plus, me direz-vous, que celles des autres régions en France qui sont réunies depuis toujours dans la douleur à l'Île de France... Certains signes me font dire que cela risque d'être abordé l'un de ces moments...


6 commentaires:

estèf a dit…

Drôle de calcul que celui de Rajoy mais le tien met Podemos dans la gauche indépendantiste, c’est un peu excessif non ?
À quels signes penses-tu pour les régions de France ? À part la Corse, je doute d’en voir venir !

Celeos a dit…

Effectivement, je rajoute Podemos qui s'est rallié de manière un peu opportuniste à la gauche indépendantiste: leur ralliement est davantage une façon de s'opposer à Rajoy.
En France on sent des frémissements - fort timides, j'en conviens, hormis la Corse - du côté de la Bretagne et de l'Alsace. La politique macronienne favorise l'Île de France, appuie le projet du Grand Paris, et exaspère les territoires ruraux qui sont exsangues. Ce différentiel de traitement, outre qu'il fait le lit du FN, risque de ne pas rester sans réaction.

joseph a dit…

Juste un rappel , la victoire en sièges ne représente pas une victoire en voix et , hélas on voit ce que cela peut donner dans l'auto-proclamée plus grande démocratie du monde ! et je ne peux considérer le fuyard catalan comme un héros lui préférant l'image d'un Nelson Mandela emprisonné pour ses idées ,voire même d'un Cassius clay déchu de ses titres pour s'être opposé à l'envoi à la boucherie asiatique de milliers de jeunes comme lui!

Celeos a dit…

C'est exact, Joseph. Mais je ne porte pas aux nues Puigdemont. Je lui préfère Oriol Junqueras, qui, lui, est bien dans les geôles de Rajoy.

estèf a dit…

Comme Celeos, je pense que l'indépendance n'est pas la solution, a fortiori dans un contexte européen qui devrait libérer les territoires des fonctionnements jacobins. L'écart en siège et en voix révèle bien ce phénomène propre aux états jacobins que l'on n'ose pas nommer, à savoir la colonisation interne sous couvert d'une citoyenneté nationale qui produit un droit homogène pour tous quel que soit le territoire interne. C'est a priori une belle idée conforme aux idéaux de liberté, égalité, fraternité. En réalité c'est une idée libérale qui donne le pouvoir sur les territoires à des gens qui n'ont rien à cirer de l'identité de ces espaces, de leur culture et de de leur avenir puisque eux-mêmes ou leurs enfants migreront à tout moment en fonction de leurs envies et du contexte économique. Je suis citoyen du monde, européen, français, occitan mais je suis dégoûté de voir la terre à laquelle je suis viscéralement attaché aux prises avec cette construction libérale qui nous conduit dans le mur.

On pourra se moquer des "gens qui sont nés quelque part" mais on n'oubliera pas cependant que Brassens fut enterré à deux pas de cette plage de Sète qu'il avait si bien chanté.

Celeos a dit…

On est tout raccord, estèf !