Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 19 décembre 2017

Les sommets de la honte

Hier, 18 décembre, était la journée mondiale des migrants. Le moment de faire des constats. Libération titrait : «Migrants, les sommets de la honte», article illustré d'une photographie où l'on voit une colonne de gens dans la neige, qui avancent péniblement. Comment ne pas rapprocher, dans ma mémoire, cette photographie de celles prises en 1939 des réfugiés espagnols, avançant vers le col du Perthus, entre l'Espagne et la France, après avoir marché dans les difficultés, puis les mitraillages de l'armée nationaliste franquiste ? 1939, 2017. Presque quatre-vingts ans ont passé, laissant croire que le progrès des esprits renverrait ces images à un passé indigne. Quatre cent cinquante mille enfants, femmes, hommes arrivaient par ces chemins pénibles, portant tout ce qu'ils avaient pu sauver dans de pauvres valises, des sacs de toile, transis par le froid. A l'arrivée, des soldats les attendaient : il fallait contenir cette population, dont on craignait, disait l'administration française, les maladies dont ils pouvaient être porteurs, mais également la contamination politique. On les disait rouges, on les imaginait le couteau entre les dents. Ils furent accueillis: on fit des commissions de criblage, alors qu'ils avaient d'abord besoin de chaleur, de pain et d'un toit. A Argelès, Rivesaltes, Saint-Cyprien, on les parqua, comme on le fait avec le bétail.  Les barbelés d'un côté, la mer pour horizon qui n'avait alors jamais paru si hostile. Dans le creux du sable, ils creusèrent leur abri de fortune, de froid et d'humidité. Ils mangèrent le pain qu'on leur jetait, comme les enfants jetaient au zoo des croûtons pour les animaux. Pas de sanitaires : il fallait caguer au bord de la plage. N'était que la désespérance d'une situation incompréhensible. De ceux qui ne moururent pas de froid, des maladies qui apparurent, les plus fragiles sombrèrent dans la folie.


Almanach du Pèlerin - 1939
Mais ce que j'écris là se passait en 1939, il y a soixante dix-huit ans.

Ici, ce sont des Africains, des Afghans, des Albanais qui franchissent les cols. Nous sommes en 2017. L'extrême droite n'a pas besoin d'organiser des commandos contre les réfugiés. La police s'en charge, lacérant les tentes, arrosant les uns ou les autres, confiscant les couvertures, chassant certains avec des gaz lacrymogènes. Jacques Toubon n'était pas connu autrefois pour être ému par des situations de détresse sociale. Aujourd'hui il interpelle le gouvernement, sans réponse, sur la gravité des événements.

Au col du Montgenèvre, où je crapahutais il y a quelques années à la recherche des trésors enfouis d'une mer ancienne, passent aujourd'hui des Maliens, des Camerounais, des Sénégalais arrivant d'Italie de la Val Susa, débarquant à Névache, avec 80 centimètres de neige, une température de - 8°. 

La police des frontières fait des tours d'hélicoptères, contrôle les véhicules. L'été dernier, arrivant de Tende, j'ai été arrêté par un gendarme au bord de la route qui a regardé si une personne à la peau sombre n'était pas cachée dans ma voiture. Il ne m'a même pas demandé mes papiers. Je n'ai rien dit, il ne m'a rien demandé. Il a compris, je crois par mon regard, tout le mépris que j'ai pu avoir à ce moment-là pour cet agent de l'ordre.

Libération raconte qu'un «maraudeur», Joël, qui met au service des réfugiés sa connaissance de la montagne, a découvert dimanche matin un jeune Africain, Moussa, venant de Guinée-Conakry, affalé dans la neige à 1700 mètres d'altitude. Il a perdu ses chaussures, ses pieds sont gelés, insensibles. Il est héliporté à l'hôpital de Briançon.




Pierre Clastres, autrefois, avait écrit une étude intitulée La société contre l'Etat. Il y racontait comment s'exerce la solidarité dans les sociétés dites primitives d'Amérique du Sud. Aujourd'hui on sait que nos petites sociétés, isolées parfois localement, sans moyens financiers, doivent se dresser contre l'autoritarisme facile qu'exercent, sous les ors de la république, un gamin prétentieux dont l'esprit s'est attardé dans l'archaïsme de l'Ancien régime, et un vieillard pitoyable qui a construit ses réseaux dans la complaisance au catholicisme traditionaliste. Le goût du pouvoir construit les oubliettes de l'histoire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

A pleurer. D'ailleurs, on le fait.
Mais ne nous laissons pas distraire ; les fêtes de fin d'année arrivent! Fausses lumières, fausses joies, hyper consommation à en crever...je les déteste même si je vais me réchauffer au creux des miens, espérant leur apporter ma propre chaleur mais c'est à toute l'humanité qu'il nous faut le faire avec nos mains et notre coeur.
Dans les grandes villes, nous enjambons de plus en plus de corps recroquevillés, sous des tas de linges et de cartons détrempés par la pluie, transis de froid, ne demandant même plus rien, semblant attendre la mort, pendant que d'autre entrent et sortent des magasins le bras chargés d'abondance...à les observer, je me demande qui est le plus mort...

Pardon, je vais aller hiberner.
Marie





Celeos a dit…

Mais il y a des gestes généreux, dressés contre l'indignité. Ceux-là sont les seuls visibles.