Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 9 juin 2016

Trois poèmes grecs



Traduits par Dominique Grandmont

Constantin Cavafis

Leur origine

Leur plaisir coupable vient de connaître
son assouvissement. Ils se sont levés du lit
et s’habillent à la hâte, sans parler.
Ils sortent de la maison l’un après l’autre, furtivement ; et comme
ils marchent avec une certaine inquiétude dans la rue, on dirait
qu’ils redoutent que quelque chose sur eux ne trahisse
à quel genre d’amour ils viennent de céder.

Mais la vie de l’artiste n’a eu qu’à y gagner.
Demain, après-demain, ou des années plus tard, s’écriront
des poèmes brûlants dont l’origine était ici.

1921





Yannis Ritsos

Ne pleure pas sur la Grèce

Ne pleure pas sur la Grèce, — quand on croit qu’elle va fléchir,
le couteau contre l’os et la corde au cou,

La voici de nouveau qui s’élance, impétueuse et sauvage,
Pour harponner la bête avec le trident du soleil.

[Extrait de Dix-huit chansons sur les malheurs de la patrie, daté de 1968-1970, publié en 1973, traduit sur manuscrit]



Dans un sens ou dans l’autre

Ils parlaient, discutaient, — dans tout ce bruit, on ne distinguait rien. Quelqu’un
s'assit par terre, prit une pierre et se mit à casser des amandes. Le craquement
clair, précis, — comme l’autre monta sur l’échelle
pour suspendre au-dessus de la porte un grand tableau à l’envers. Alors
tous se turent à la fois, se regardèrent, regardèrent : — on pouvait voir les petits clous rouillés, les cadavres des mouches,
à l’envers, oui. — Du carton gris avec des taches d’humidité. Et peut-être
n’avait-il rien voulu cacher, mais que cela justement  soit visible.

1.XII.67
[extrait du Mur dans le miroir, daté de 1967-1971, écrit au camp de Parthéni (Léros), puis à Athènes, et pour finir en résidence surveillée à Karlovasi (Samos) ; publié en 1974, à la chute de la dictature. Première publication française, en 1973, chez Gallimard ; traduit sur manuscrit.]

6 commentaires:

joseph a dit…

Sublimes découvertes, surtout le premier pour le côté "vécu"?

Silvano a dit…

Cette lecture m'a ému, au point que je vais vous emprunter le premier, "Leur origine" : sans avoir jamais lu ces vers que je découvre ici, j'ai écrit - oh, moins bien ! - dans mon petit roman à paraître, des phrases en résonance. Démonstration que, plus de quarante ans après, le partage de "plaisirs coupables" provoquait les mêmes effets. On peut également vérifier la justesse des trois vers de la conclusion. Les poèmes de Cavafis sont toujours - pardon pour l'astuce ! - d'une brûlante actualité.

Celeos a dit…

Et je suis aussi l'un de ceux qui brûlent. ..

yves a dit…

je vous préfère ainsi, Celeos. votre côté contestataire ne vous va pas : vous êtes trop doux pour jouer ce rôle.

arthur a dit…

Que du beau, du grand! CAvafy, l'un de mes pètes préférés...ma table de chevet...

Celeos a dit…

Yves: et si vous même arrêtiez d'écrire des conneries ? Que savez-vous de la douceur et de sa fille la colère ? Croyez-vous que la poésie s'écrit avec des sucres d'orge? Sortez votre cul de la Bretagne et allez voir sur place ce qu'est devenu le "berceau de notre civilisation" !