Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 30 juin 2016

Région Occitanie



Occitanie ! Que de rêves sont associés à ce nom quand, à peine sortis de l’adolescence, nous inventions de nouveaux pays à conquérir d’abord par la pensée, par l’amour que nous héritions des troubadours qui devenait, dès lors, le seul slogan par lequel se pouvaient fonder de nouvelles façons de concevoir l’avenir ! Loin des pouvoirs jacobins et de leurs méthodes centralistes héritées de l’Ancien régime, de leurs embrigadements militaires expérimentés en terres coloniales, il nous fallait décoloniser l’histoire. Nous devenions frères, hors de toutes frontières, de tous les peuples victimes des génocides, quels qu’ils soient, et notre peau se faisait plus sombre encore de vouloir vous ressembler, frères sénégalais, algériens, palestiniens, frères indiens. Nous nous rappelions que nos ancêtres, bien lointains, avaient subi le feu, le bûcher des hérétiques, et nous nous rapprochions de vous, frères juifs, vaudois, musulmans, frères persécutés pour ce que vous étiez parce que votre religion vous marquait comme groupe social à rejeter, même si nous ne partagions pas les mêmes croyances.

Stellio Lorenzi, Les cathares (La caméra explore le temps) - 1965

 À vrai dire les seules croyances qui nous animaient étaient celles de penser qu’un jour, quelles que soient nos différences, nous trouverions sur une terre réinventée les moyens de recréer une Cecilia occitane, un peu comme celle de Giovanni Rossi, mais plus solide, faite des garçons et des filles tout aussi solides d’un pays de lait et de miel, de paysans du Larzac, de terre de Carmaux, des enfants de Jaurès, des amours impossibles de Marcellin Albert et d’Ernest Ferroul, des enfants du Provençal Jean Moulin qui n’eut sans doute jamais le temps d’apprendre à aimer les garçons.

Nous voulions une démocratie d’aristocrates, dans laquelle le plus humble, dans son savoir de gens de peu, aurait été capable d’instruire les plus hardis, les plus dotés en moyens intellectuels, en apprentissage de modestie. Nous voulions les horizons les plus larges, les mers infinies où les bétonneurs auraient été obligés de raser leurs saloperies de béton pour rendre à la nature un peu de ce qu’elle avait déjà su donner en si grande quantité aux hommes. Des plages où Crin-Blanc aurait galopé sans jamais s’arrêter, où les enfants auraient pu déclarer aux animaux tout leur amour sans crainte de jamais en paraître ridicules. Des plages où nous aurions pu courir nus, filles et garçons, sans jamais s’interroger sur les orientations sexuelles respectives et faire l’amour entre filles, entre garçons, entre filles et garçons parce que ç’aurait été l’attitude la plus évidente à tenir là, dans cet horizon précis.

Dans ce monde réinventé, on ne se préoccupait pas de la couleur des gens, de leurs origines. Là, dans ce carrefour de la Méditerranée, depuis qu’il existe des hommes, les gens marchent, naviguent, plantent de la vigne, des oliviers, pêchent et inventent des façons de vivre libre. Il fallait être d’une bêtise crasse pour y apporter des armes, y faire violence, alors que la première des relations humaines s’appelle commerce.
Commerce de ce que je n’ai pas, et que j’échange avec le bienfaiteur qui me l’apporte. De ce que j’ai, je lui donnerai, avec le plaisir qu’il reviendra m’apporter encore de si belles choses. Il reviendra, me racontant alors les aventures de sa traversée des mers ou de la montagne. Nous boirons ensemble, et peut-être aussi ferons nous l’amour, encore, pour raffermir le plaisir que nous avons de nous retrouver. Sur ses pots, ses vases où je conserverai le vin ou les céréales seront inscrites les amours d’Achille et de Patrocle. Nous pleurerons ensemble la mort de Patrocle et la fin d’Achille, nous nous réjouirons de la victoire de Joan de l’Ors sur les forces infernales. Nous scellerons la force de nos amitiés toujours réinventées.

Jacques-Louis David, Patrocle - 1780
 Nous voulions construire, au présent et au futur, de nouvelles relations d’hommes et de femmes, fondées sur le paratge, comme l’avaient fait nos ancêtres troubadours et troubairitz : savoir dire l’amour, savoir faire l’amour et savoir dire son désir de l’autre sans se retenir face aux conventions de l’ancien monde. 
« Cours camarade, le vieux monde est derrière toi », écrivait-on en 1968, sans trop savoir finalement si l’intention du vieux monde était de rattraper chacun, ivre de trop de désir de liberté.

Al primièr plan, çò ditz l’enfant, i a la jaça de Palòc.
Al rèire plan… al rèire plan…
Al rèire plan, i a pas qu’el que corrís.
Lo monde vielh es pas fotut de l’agantar !

[Au premier plan, dit l’enfant, il y a la bergerie de Paloc  (sur le Larzac)
À l’arrière plan… à l’arrière plan…
À l’arrière plan, il n’y a que lui qui court.
Le vieux monde n’est pas foutu de l’attraper !]

Écrivait l’Ives, autrefois, quand nous rêvions encore entre vieux monde et la vie nouvelle que nous voulions réinventer.

Nous avons enterré Ives, ce jour terrible, insupportable, de janvier où le monde a basculé, parce que, depuis longtemps, de la démocratie d’aristocrates que nous voulions, les êtres malfaisants qui se sont insinués ont aboli les rêves. De la démocratie d’aristocrates ils ont fait une démocratie de pouilleux dans laquelle, tous les jours, nous nous demandons ce qu’il s’est passé pour que nous en soyons arrivés là.

Occitanie, Occitània de genta lenga, sans plus gis de monde per te nomar, per cridar ton nom emb amor, tu es devenue l’Occitanie par défaut d’une région sans rêve, d’une région d’un pays qui ne connaît que l’attitude du repli sur soi, d’un pays qui se réjouit que celui de Richard, fils d’Aliénor d’Aquitaine, adopte la même attitude… Laissons venir les neiges d’antan, bien moins froides que les esprits de ce siècle, engorgés de consumérisme sourd et aveugle.

Dans la combe du Rajal del Guorp nichent encore quelques alouettes qui montent au ciel en chantant leur joie du soleil, puis, d’un coup, se laissent tomber, de la douceur qui leur vient au cœur, comme le chantait le grand Bernart de Ventadorn…

7 commentaires:

estèf a dit…

Il si beau ton texte à rappeler ce que furent l'esprit et l'espoir sur cette terre,
Il est si triste de nous dire qu'il trop tard, et que sans doute elle ne se relèvera plus.
Que ce beau nom deviendra probablement une marque sans sa langue et ses valeurs.

Anonyme a dit…

Vous nous amenez au bord des larmes, Céléos.
Il m'arrive parfois, lors de promenade, de monter haut dans le ciel avec l'alouette et, avec elle de me laisser tomber dans une délicieuse chute vertigineuse.
Il me semble qu'il nous faut apprendre à faire cela, sans peur.
Pour sécher nos larmes et sourire.
Marie

Celeos a dit…

Qui peut dire le vrai ou le possible de ce qui sera un jour ?...

joseph a dit…

Quel superbe texte et qui me renvoie par son dernier paragraphe à la chanson d'un groupe "Groupe Z"-référence à ce que vous savez- qui eut une petite reconnaissance très localisée à la région Liégeoise (une participation quand même à une émission télévisée belge) "La ballade de Messire de Ventadour" dont quelques paroles me reviennent en mémoire ..".et m'en vais en Artois avec mes équipages ...,"

Silvano a dit…

Merci pour ce beau texte.
Un Occitan déraciné.

estèf a dit…

Tu me rappelles certaine citation...
Tiens, déjà la météo de Frane inter parle du temps dans la Region Occitanie, on en est tout estabausit !

Celeos a dit…

Temps de Toulouse, temps de Beaucaire
Cers ou mistral font black et d'équerre
dit un proverbe occitan...