J'ai déjà dans ces pages manifesté mes réserves quant aux mouvements séparatistes qui s'expriment aujourd'hui. Celui de la Catalogne n'échappe pas à ce principe. Il est clair que pour la Grande Bretagne, le Brexit est une stupidité dont tous les Européens auront à supporter les conséquences. De même pour la Catalogne, qui n'a rien à gagner d'une séparation d'avec l'Espagne. Sauf que. Sauf qu'on est obligé de faire un retour en arrière pour essayer de comprendre la complexité d'une situation devenue insupportable à beaucoup de Catalans.
En premier lieu, je m'insurge contre la réaction de l'Etat espagnol qui fait remonter les vieux comportements franquistes de la répression et du goût jamais abandonné de la droite espagnole pour la dictature : en déployant un tel dispositif de policiers pour empêcher l'expression démocratique, c'est le fantôme de Franco que l'on laisse s'exprimer. Les vieux démons n'ont jamais vraiment quitté l'Espagne, et l'argument selon lequel le référendum de la Catalogne ne serait pas constitutionnel est à mourir de rire : avec le pronunciamiento de Franco en 1936 et le coup d'Etat contre la République espagnole, démocratique, c'est le régime actuel de l'Espagne qui est anticonstitutionnel, et, alors que l'Espagne était redevenue une république, une monarchie fantoche règne maintenant depuis plusieurs décennies. il s'en est suivi que les fondements de la démocratie espagnole, si tant est que l'Espagne aurait pu connaître une fédération de régions, se trouve notamment en Catalogne qui a été bien souvent à l'avant-garde des idées progressistes. Je ne vais pas faire un rappel historique, et on se référera à toutes les bonnes sources de l'histoire de l'Espagne et de la guerre civile atroce que les populations ont subie.
Je voudrais simplement faire ici quelques remarques qui concernent davantage le présent : lorsque l'Espagne et le Portugal entrent dans l'Europe en 1986, le vieux Franco est mort, mais ses cendres fument encore. Si la société espagnole évolue, c'est davantage par l'obligation de prendre en compte l'évolution globale des sociétés en Europe que par le goût pour la démocratie: le Pays basque, l'Euskadi, la Catalogne, Calalunya, connaissent suffisamment ce que c'est que la répression, les geôles et la torture de la police. Ce n'est pas un hasard si la langue et les institutions fonctionnent ensemble. On aurait pu espérer que l'Espagne évolue vers davantage de démocratie, prenant en compte l'ouverture de la péninsule ibérique sur le monde méditerranéen et européen. Hélas, les systèmes patriarcaux sont trop solides, et leurs vieux démons haineux et totalitaires continuent d'exercer leurs effets néfastes sur l'ensemble de la société. Encore une fois, l'Europe a joué un rôle très dommageable en jouant sur les effets du tourisme, en encourageant l'augmentation absurde du parc immobilier. L'entrée de l'Espagne dans la CEE a fortement déstabilisé l'économie agricole du Sud de la France qui espérait en contrepartie voir le tourisme compenser les disparitions des productions agricoles. Ce fut un échec et le désert rural n'a fait que davantage s'installer dans ce qui est aujourd'hui l'Occitanie et le sud du Massif Central. Du côté espagnol, on est autour des 20 % de chômage, même si en 2017 le taux a baissé, dû principalement aux emplois très précaires des services et du tourisme qui a amplifié son activité. La baisse des chiffres du chômage n'est pas pour autant un progrès : on sait justement que ce tourisme est néfaste, destructeur, génère une spéculation immobilière qui a des effets délétères sur la répartition démographique des villes touristiques. Barcelone en est un bel exemple.
Bref, encore une fois, l'Europe a failli dans le domaine économique. Il ne faut donc pas s'étonner de son silence quant au projet de référendum sur la détermination des Catalans à gérer leurs propres institutions. On ne s'étonne pas non plus que le gouvernement Macron soit évidemment du côté des institutions espagnoles devant le risque qu'une scission de la Catalogne ferait courir aux autres Etats-nations : car la Catalogne n'est pas seule à refuser les incapacités d'un gouvernement central à gérer leur pays. Dans la mesure où l'on sait que les intérêts privés sont maintenant les seuls véritables décideurs, l'impuissance des gouvernements centralistes ne met que trop en lumière les appauvrissements généralisés de la population européenne ; lorsque les gouvernements ne jouent plus leur rôle d'arbitre, régulant comme il le faut les disparités territoriales, assurant la justice nécessaire pour compenser ce que la mauvaise économie a détruit, les risques d'embrasements deviennent inévitables. Le mouvement Podemos en Espagne est muet sur ce type de problèmes, montrant l'immaturité actuelle de nombre d'organisations politiques. Regardons du côté de l'Italie : le 22 octobre prochain s'organise un référendum sur une plus grande autonomie de la Lombardie et de la Vénétie, permettant selon les desiderata de la Ligue du Nord, mouvement politique proche de l'extrême droite, une «meilleure gestion╗ des ressources produites dans ces régions. Curieusement, la presse française n'en parle que très peu, préférant se concentrer sur la Catalogne.
Et, justement, parce que la Catalogne, malgré les tentations nationalistes détestables qui ne manquent pas à son histoire, est aussi ce lieu d'une utopie démocratique qui s'est réalisée pendant la république espagnole, je souhaite que les voix puissent s'exprimer vers une autre manière de concevoir l'organisation de la société. Après, l'expression ayant été donnée, rien n'empêche dans une perspective de fédérations de régions, ce qui avait un temps été la vision de certains européistes, de réaffirmer les liens naturels, c'est-à-dire culturels avec l'Espagne qui vaut mieux que ce qu'en donne à voir le gouvernement Rajoy.
N'oublions cependant pas un principe démocratique fondamental : le droit des peuples à décider de leur propre sort. En l'occurrence, le peuple catalan existe, de même que les autres peuples d'Espagne, d'abord dans le refus du gouvernement central de lui reconnaître les libertés fondamentales, la langue étant l'une de ces libertés, systématiquement déniée sous le régime franquiste et ses avatars.
N'oublions cependant pas un principe démocratique fondamental : le droit des peuples à décider de leur propre sort. En l'occurrence, le peuple catalan existe, de même que les autres peuples d'Espagne, d'abord dans le refus du gouvernement central de lui reconnaître les libertés fondamentales, la langue étant l'une de ces libertés, systématiquement déniée sous le régime franquiste et ses avatars.
Voici L'Estaca dans une version récente de Lluis Llach. Et pour ne pas oublier que la Catalogne fut ce lieu où s'exprimèrent les formations les plus progressistes de la République espagnole, une photographie signée Agustí Centelles montre l'engagement de George Orwell dans les milices du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM) qui est finalement marginalisé par les staliniens en 1937. Dans Homage to Catalonia, paru en 1938, George Orwell raconte les journées qu'il a vécues en 1936 et 1937 à Barcelone, combattant auprès du POUM en montrant ce que les innovations sociales et tout l'horizon des possibles pourraient laisser envisager pour l'avenir d'une meilleure Espagne.
Agustí Centelles - Le POUM, Caserne Nin, 1937. (George Orwell est l'homme de très grande taille, 6ème à partir de la gauche) |
16 commentaires:
Bel article, je voulais écrire sur cette chère Catalunya, mais je ne sans doute saurai le faire mieux. J'entends fustiger partout ces nationalismes régionaux soi-disant illégitimes, mais ils sont bien générés par le centralisme qui n'est qu'excès et négation de la diversité des peuples et des cultures par essence même. N'oublions pas que ce sont les Bourbons, précurseurs des Jacobins, qui règnent encore sur les Espagnes.
Merci estèf. Tu as raison de rappeler l'archaïsme de ces régimes monarchiques qui n'ont aucun sens.
Je ne fustige même pas les vieilles monarchies dépassées, les républiques fondées sur les mêmes principes centralistes et nivélateurs sont tout aussi archaïques.
Ce centralisme n'est que la continuité des anciens régimes. Il reproduit les mêmes distinctions de classes.
Ce billet, bien écrit, comme toujours, recèle la contradiction qui incite à la réflexion, puisque vous évoquez, à juste titre, le cas de l'Italie du Nord. Et il y a bien d'autres régions qui ont les mêmes aspirations que la Catalogne. On pourrait craindre un effet domino qui mettrait le continent sens dessus-dessous. Je sais bien que vous n'êtes pas pro-européen (euphémisme) ; quant à moi, je préfère l'Europe (pas celle d'aujourd'hui, je le concède volontiers) à une coexistence de "nations" qui ne tarderaient pas à s'entre déchirer. En outre, comme par hasard, dans les deux cas que nous évoquons, ce sont les régions les plus "riches", qui revendiquent leur indépendance. En résumé, estèf et vous-même me semblez adopter ci-dessus une position "de principe" un peu courte à mon sens.
Je crains que vous n'ayez souvent du mal à me lire, Silvano: concernant le principe, relisez le premier paragraphe. S'agissant de mon soutien à la Catalogne, je ne fais que reprendre l'indignation que de nombreux intellectuels de tous horizons ont senti monter en eux face à l'attitude totalitaire du gouvernement espagnol ; consultez Mediapart. Enfin s'agissant de l'histoire de l'Espagne, relisez les chapitres qui montrent que les racines de ce pays centraliste, certes moins que la France mais à peine, sont profondément ancrées dans un rejet des différences. Aussi la réaction violente de Rajoy est insupportable. Par opposition, l'élan démocratique de la Catalogne me semble dès lors devoir s'exprimer. Tout n'est pas simple, Silvano, et la situation de l'Italie ne relève pas des mêmes ressorts.
Qu'on ne se méprenne pas sur ma position, il ne s'agit pas pour moi de remplacer les états-nations par de micro-nations tout aussi rigides et souvent xénophobes, non il s'agit d'inventer un nouveau contrat politique qui dépasse les clivages anciens et applique résolution ce principe de subsidiarité et de reconnaissance des singularités que nos états-nations réclament sans cesse à l'Europe mais appliquent avec tant de réticence ou si mal à l'échelle infra.
J'avais bien lu, et c'est pour cela que je pointais la contradiction. Pour précision, si je n'approuve pas l'indépendance, je désapprouve l'interdiction de cette consultation. Non content d'être "violent", Rajoy est aussi un imbécile : le référendum, légalisé, aurait, je le pense, abouti à un succès du "non".
Concernant l'Europe, Silvano, vous avez la mémoire courte: quelle a été l'action de l'Europe dans le conflit yougoslave?Vous êtes encore dans la croyance, semble-t-il, que le rôle de l'Europe est d'éviter les guerres. C'est un aveuglement volontaire: les lobbies qui mènent l'Europe ont déjà livré les batailles économiques contre la Grèce et le président que vous avez élu mène en France les mêmes batailles pour le compte des mêmes lobbies. Qui protège quoi, selon vous ?
Bonjour,
... En espérant qu'il n'y ait pas de morts aujourd'hui ...
Débat délicat, placé entre le sentiment, la raison et les intérêts matériels, qu'une simple invocation à la démocratie ne peut suffire à résoudre.
Sentiment : l'épopée nationale (pas nécessairement sanglante) versus le roman régional.
Raison : commencer par distinguer peuple, région, nation, état, démocratie (le festival des définitions commence !)
Ne pas oublier le mystère suisse.
PS. Immense merci pour ce blog, découvert il y a peu.
@estèf: oui, je partage bien évidemment ce point de vue.
Merci, Anonyme, de ce commentaire. Oui, espérons que la raison l'emporte. Les Catalans ont appelé au refus de la violence. Le sujet reste très complexe...
"et le président que vous avez élu" : je n'aurais jamais dû révéler mon vote, car ça discrédite à vos yeux le moindre de mes propos. D'autant que, bien que je considère toujours cette élection comme un moindre mal, je ne fais pas partie du troupeau des macronistes bêlants. Quant à mon prétendu "aveuglement", je pense, oui, que l'Europe peut éviter la guerre ; dans la conception que j'en ai... hélas. Je partage le point de vue précisé par estèf, ainsi que celui de votre correspondant anonyme. Je suis effrayé, du fait, que l'on puisse penser que de "social-traître" je sois devenu "centriste". Mais, pour l'heure, je ne suis pas "réac" et je crois qu'il n'y a pas de risque, c'est déjà ça. Buona domenica.
Vous me permettrez, Silvano, de ne pas souhaiter vous répondre. Brisons là, comme on dit chez Molière.
si je vous dis qu'à vous lire en article et en commentaires mon esprit s'égare et encore plus à l'aune des soixante années d'histoires que j'ai traversées (avant mes 8 automnes, avais- je une expérience suffisante?) et qu'il me vient à l'esprit une comparaison -qui n'est pas raison- entre les visions européennes des régions comme l'envisageait Charles le Téméraire et sa grande Bourgogne à la Suisse en incluant au passage la principauté de Liège , mais aussi Charles de gaulle démissionnant après un référendum légal perdu sur une régionalisation de sa France ; ainsi il y aurait une Europe des régions possible et légitimées mais par qui puisque chaque nation tient déjà tant à son unité nationale (qui a voulu du projet de constitution européenne sans l'amender à tel point qu'elle en perdit jusqu'à sa substantifique moelle ?) A propos il me semble que quand les basques espagnols revendiquaient - avant les actions de l'ETA , s'entend- , le reste de l'Europe ne les portaient pas vraiment dans leurs cœurs ; aurions nous eu peur de la contagion qui aurait pu se propager à la région basquaise d'au delà des Pyrénées?
Sans doute cette régionalisation fait-elle peur, et peut-être à juste titre si on n'en connaît pas les fondements. Le pire serait une base micro-nationale. Au mieux pourrait-on penser les termes d'une confédération, effectivement comme la Suisse a pu en définir les bases. En tout état de cause, c'est bien l'abandon par l'Etat de ses obligations de solidarité qui risque de précipiter le phénomène. Malheureusement beaucoup de régions ne semblent pas s'y être préparées.
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