Hier, j'ai téléphoné à Marie. Avant que l'heure ne soit trop tardive, je me suis arrêté sur cette aire d'autoroute où je sais que des garçons se rencontrent près des pissotières. Le lieu est plutôt sordide et je n'y ai jamais croisé un garçon dont le visage, à défaut du reste, m'ait pu paraître sympathique. Je regarde parfois, curieux, les va-et-vient entre les véhicules qui ne laissent pas beaucoup de doute sur les intentions. Sur les murs des pissotières, on lit des numéros de téléphone, des maximes, des propositions de plans. Le tout fait davantage pitié qu'envie. On parlait autrefois de la misère sexuelle, sans trop bien définir ce que ça pouvait être : l'envie biologique d'avoir une relation suivie d'orgasme, de sentir depuis le tréfonds de son ventre le jaillissement de ce liquide qui témoigne que quelque chose s'est bien passé entre deux garçons ? Est-ce que cela suffit à donner du sens à ce manège, comme dans Querelle de Brest Genet organisait quelque chose qui ressemblait à une sorte de chorégraphie : des garçons arrivent, repartent, interprètent à leur manière l'échelle de Jacob, faisant de ce mouvement la justification même de la recherche des garçons, recherche infinie qui ne sera, de toute manière, jamais satisfaite ? Est-ce, un instant seulement, avoir le sentiment d'exister comme dans la conscience de sa propre mort, qui alors justifie tout ce qui peut se passer l'instant d'auparavant ? Est-ce cela que les garçons fous de Bruxelles et du Bataclan ont ressenti, est-ce de la même nature ? Je suis enclin à le croire, car je crois savoir que ce qui fait venir les garçons, là, près de cette pissotière qui ressemble, en fin de compte à une scène de théâtre, est cette façon de faire, où l'on est serré d'inquiétude, où l'adrénaline s'expulse des reins à une vitesse de supersonique pour faire face à ce moment terrible, où les premières paroles vont s'échanger, d'une banalité déconcertante avant que les premiers gestes ne se dévoilent. Il y aura peu de paroles, d'ailleurs. Il ne s'agit pas de parler mais d'exister d'abord dans des relations qui n'ont rien de la relation de tendresse. Il s'agit, au contraire, d'affirmer une mâlitude dont le plaisir ne réside pas dans la recherche d'une relation harmonieuse, mais, comme dans un combat sans enjeu apparent, gagner contre la vie une sorte de course, acquérir les points qui permettent, le moment venu, de croire qu'on a gagné quelque chose d'une contrepartie des déficits de l'enfance. Peut-être me trompé-je. Il importe en tout cas, de ne rien retenir longtemps des garçons de passage. Y a-t-il autre chose à comprendre de la course de Dom Giovanni, course éperdue jusqu'à sa fin tragique ?
Là, ce soir, je ne vois qu'un garçon, ni laid ni beau, mince, qui sort de sa voiture à côté de laquelle je suis garé. Son visage est mat, ses cheveux sont courts et il porte trois jours de barbe. Il est vêtu simplement d'un tee-shirt brun et d'un jean ordinaire. Sous son tee-shirt ressort le relief de son ventre qui détonne avec sa silhouette fine. Il fume devant sa voiture. Il regarde à gauche, à droite, comme s'il attendait quelqu'un qui de toute façon ne viendra pas. Je suis dans ma voiture et parle au téléphone avec Marie, ce que je n'ai pas fait depuis de trop nombreux mois, presque depuis qu'Y. est parti, depuis ce moment terrible où le monde a semblé s'écrouler, où le temps à explosé comme une bombe d'Hiroshima. Marie me raconte sa vie quotidienne, désormais seule, ponctuée par la visite des plus jeunes qui aujourd'hui se battent pour exister malgré le monde. Elle me parle de ses travaux d'écriture qui lui donnent la raison pour laquelle elle a mené avec Y. une course contre la mort. C'est Marie qui a gagné. Quand Y. est parti, il y a eu le constat de ce renoncement, l'idée que la force des mots avait lâché, comme une lanière de cuir qui cède sous l'usure. Il m'avait semblé en être le témoin discret, ne devant surtout rien dire. En Méditerranée, les femmes ont le dernier mot, sans quoi l'ordre du monde peut en être changé, ce dont les dieux ne veulent à aucun prix. Marie a une petite voix, mais très ferme, et pleine de toutes les choses dont on a appris à pleurer et à rire. Maintenant il n'est plus besoin de pleurer ni de rire non plus. Le temps est venu, après celui de la patience, de regarder les plus jeunes affronter le monde, de leur apporter seulement un peu de présence, la même qu'ils garderont après le départ, une présence faite de sourire simplement. Le reste est indicible.
J'embrasse Marie au téléphone. Je sais que je la reverrai encore. Ce soir, j'étais auprès d'elle, regardant à travers mon pare-brise poussiéreux ce garçon impatient dont je ne saurai rien sinon qu'il n'avait pas rencontré mon désir et peut-être même celui d'aucun garçon égaré sur cette aire d'autoroute.
Là, ce soir, je ne vois qu'un garçon, ni laid ni beau, mince, qui sort de sa voiture à côté de laquelle je suis garé. Son visage est mat, ses cheveux sont courts et il porte trois jours de barbe. Il est vêtu simplement d'un tee-shirt brun et d'un jean ordinaire. Sous son tee-shirt ressort le relief de son ventre qui détonne avec sa silhouette fine. Il fume devant sa voiture. Il regarde à gauche, à droite, comme s'il attendait quelqu'un qui de toute façon ne viendra pas. Je suis dans ma voiture et parle au téléphone avec Marie, ce que je n'ai pas fait depuis de trop nombreux mois, presque depuis qu'Y. est parti, depuis ce moment terrible où le monde a semblé s'écrouler, où le temps à explosé comme une bombe d'Hiroshima. Marie me raconte sa vie quotidienne, désormais seule, ponctuée par la visite des plus jeunes qui aujourd'hui se battent pour exister malgré le monde. Elle me parle de ses travaux d'écriture qui lui donnent la raison pour laquelle elle a mené avec Y. une course contre la mort. C'est Marie qui a gagné. Quand Y. est parti, il y a eu le constat de ce renoncement, l'idée que la force des mots avait lâché, comme une lanière de cuir qui cède sous l'usure. Il m'avait semblé en être le témoin discret, ne devant surtout rien dire. En Méditerranée, les femmes ont le dernier mot, sans quoi l'ordre du monde peut en être changé, ce dont les dieux ne veulent à aucun prix. Marie a une petite voix, mais très ferme, et pleine de toutes les choses dont on a appris à pleurer et à rire. Maintenant il n'est plus besoin de pleurer ni de rire non plus. Le temps est venu, après celui de la patience, de regarder les plus jeunes affronter le monde, de leur apporter seulement un peu de présence, la même qu'ils garderont après le départ, une présence faite de sourire simplement. Le reste est indicible.
J'embrasse Marie au téléphone. Je sais que je la reverrai encore. Ce soir, j'étais auprès d'elle, regardant à travers mon pare-brise poussiéreux ce garçon impatient dont je ne saurai rien sinon qu'il n'avait pas rencontré mon désir et peut-être même celui d'aucun garçon égaré sur cette aire d'autoroute.
8 commentaires:
conclusion : il n'y a rien de changer dans le monde homosexuel !
quel con je suis !
dans le monde tout court !
Il y a de la misère sexuelle mais pas seulement. Il peut y avoir de la parole et de la tendresse, détrompe toi. Et on peut retenir de ces garçons...
Retenir quoi ? La brouette languedocienne ? Le tourniquet japonais ? Les confidences dans les tasses ? Bon, d'accord je suis un peu de mauvaise foi, mais pas beaucoup plus. A toi d'expliquer "ce qu'on peut retenir" !
Oui tu es de mauvaise foi. Tu écris "il importe de ne rien retenir ...". Je te réponds...
Ne m'aurais tu pas lu entre les lignes ?
Un peu courte, ta réponse...
Je complèterai un jour ou l'autre.
je me souviens aussi d'une aire d'autoroute pas loin, révélée comme lieu de rencontre - dans les articles de presse à la suite de pénibles affaires judiciaires mêlant crimes homophobes et folies meurtrières - et de ce panneau d'avertissement "parking placé sous la surveillance de caméras"
Lieu d'abord d'expression du fantasme réalisé ou imaginé, dans lequel le danger, comme vous le dites, Joseph, fait partie du jeu...
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