Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

lundi 18 septembre 2017

120 battements par minute est un film raté

Vlan, allez, je me lâche. J'étais resté sur un sentiment mitigé à la sortie du cinéma où j'ai vu le film, sans trop vouloir chercher à élucider les raisons de mon malaise, tant j'étais entré avec un a priori favorable, et ne pensais trouver dans la narration du film qu'une présentation de l'histoire qui a fait d'Act up une association en pointe dans la lutte sociale contre le sida, qui a permis une meilleure visibilité et des pratiques homosexuelles, de leur place dans la société française, de la manière dont tout cela s'est passé, et de l'échec, finalement d'un discours politique issu du monde gay.
Le film, finalement, reste très loin de tout ça. Il faut le recevoir comme un hommage à l'action d'Act up, et rien que cela. Car derrière le film, je garde le sentiment d'un repli qu'on ne peut même pas appeler communautaire tant la «communauté» gay redevient, petit à petit, de plus en plus invisible. Je ne le regretterais pas si, par ailleurs, la société française intégrait réellement le fait homosexuel comme une composante parmi d'autres des pratiques et des relations entre personnes. Force est de constater qu'hormis quelques lieux précis, que l'on «tolère», comme il existait autrefois des «maisons de tolérance», on assiste à un étonnant paradoxe : les écrivains homosexuels ou crypto-homosexuels sont sans doute de plus en plus nombreux ; pour autant, ils sont de moins en moins gays, au sens où ce terme sous-entend une relative combativité ou revendication dont on sait qu'elle s'oppose, qu'on le veuille ou non, à la norme hétérosexuelle. C'est ainsi, je fais un constat. Je partage assez certains points de vue de Didier Lestrade constatant une perte de valeurs que le fait d'être gay mettait en mouvement : la solidarité avec d'autres groupes minorisés, dominés, mis à mal par une société sans compassion. Or le malaise que j'ai ressenti après avoir vu le film tient sans doute beaucoup à cela : tout se passe comme si le film prenait acte de la chose en ne donnant à voir qu'un aspect de ce que fut l'action d'Act up en quelques lieux que Robin Campillo a sans doute volontairement théâtralisés pour n'en donner qu'un point de vue partiel. Je crois que je n'aime vraiment pas son scénario. Thibaud Croisy en a fait une critique encore plus dure dans Le Monde (ici), déniant le contenu qualitatif et intellectuel de l’intention de Robin Campillo. Je ne le suis pas totalement sur ce terrain. S’il est vrai que certaines scènes sont stéréotypées, sexe y compris, c’est tout le cinéma qui est judiciable de ce type de critique, et après tout, que l’on revoie des scènes qui se répètent, c’est la vie elle-même qu’il faudrait bouleverser pour jeter aux orties les routines qui bordent nos façons d’être. Je crois que la nécessité critique est ailleurs : en ce qui me concerne, ce qui me paraît dommageable est l’occultation d’une parole politique par ce qui pouvait paraître comme une revendication consumériste. Je m’explique. Le film raconte, grosso modo, comment une association de gays et lesbiennes, certains contaminés, d’autres non, se battent pour faire accélérer la recherche, la connaissance de cette recherche contre la maladie, par les laboratoires, soupçonnés pour d’obscures raisons, de ne pas aller assez vite. Le film magnifie les méthodes d’action, l’aspect spectaculaire des interventions avec du faux sang, les manifs de rue. On semble, dans le film, redécouvrir les vertus des débats d’assemblée générale en amphithéâtres, ce que, cependant, une grande majorité de gens ont vécu. 


Tout cela paraît bien naïf. Le film occulte les relations avec les pouvoirs publics, les campagnes de prévention contre le sida ne sont qu’à peine abordées, de même que le scandaleux refus de Pierre Bérégovoy, premier ministre de François Miterrand craignant par pudibonderie de financer en 1992 une nouvelle campagne contre le sida. La contamination des hémophiles n’est qu’à peine évoquée, alors que ce fut un énorme scandale.
Bref, le film n’est pas un documentaire. Quant à la fiction, on peut se demander ce qui fait l'intérêt du film. Ce sont bien évidemment les excellents acteurs que sont Nahuel Perez Biscayart et Arnaud Valois qui sauvent le film du désastre par deux prestations, l’une toute en énergie et en énervement, l’autre toute de réserve et de présence plus discrète.

Que va-t-il rester de ce film quasiment calamiteux ? Pas grand-chose. Qu’Act up ne compte pas là-dessus pour un témoignage de son action ; le «mouvement gay» n’en ressort pas moins opaque dont l’essentiel se réduit à quelques pratiques sexuelles entre garçons. Sans lendemain.

Allez, je vais faire un peu de comparatisme avec un autre film, grand et réussi, le seul d’ailleurs de Romain Goupil, qui par ailleurs a toujours fait preuve d’un crétinisme avancé — c’est assez consternant, d’ailleurs de constater que la plupart des anciens trotskystes sont devenus de vrais réacs.

En 1982, Goupil se rappelle l’un de ses potes, très engagé dans le mouvement de mai 1968, Michel Recanati. Il en fait Mourir à trente ans. Je ne vais pas le résumer, et on trouvera sur la toile les références qui s’imposent. Je vais simplement passer une vidéo courte. Mais là, justement, on n’est pas dans le même registre, qui renvoie dans le dérisoire le sujet de Robin Campillo. Le sujet que posait le cataclysme du sida, c’était « qu’est-ce que la société fait de la mort qui se projette sur la jeunesse qui a voulu jouir, et même sur celle qui, au passage n’est victime que d’une fatalité dont les hommes politiques ne veulent pas entendre parler ». C’est cela dont il fallait parler. D’une certaine manière, Robin Campillo a instrumentalisé Act up. Il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour le lui reprocher. Le monde gay est assez bien réparti aujourd’hui dans le monde politique où, de manière planquée, on s’imagine que chacun, de l’extrême droite à la gauche couille molle, a le pouvoir faire avancer la cause homosexuelle. C’est peut-être également ce que dit le succès du film. Dans un monde voué au consumérisme, le prix du plaisir entre garçons se paye par l’absence d’une réflexion, et, peut-être pire, de la conscience qu’aimer les garçons dans une société occidentale devrait être une opposition sans concession au vieux monde patriarcal. Vieux monde dont, aujourd’hui, même quelques pédés se font les défenseurs.



3 commentaires:

joseph a dit…

A propos du Sida ,je ne peux que penser au balancier de l'Histoire ou à ce conte chinois ou chaque bonne nouvelle engendrait son opposé et vice versa ; la libération dite sexuelle des années 67 à 77 ayant pour sous-titre, "sous les pavés la plage" voire "il est interdit d'interdire" et les festivals d'amour , de paix , et musique n'était elle pas le terreau sur lequel ce virus allait bientôt naitre ,d'où? d Afrique et du singe, notre ancêtre à moins que dans un laboratoire où on se targuait de maitriser le système immunitaire humain pour transplanter des organes avec des taux de réussite qui relevaient du miracle si on compare avec la première transplantation cardiaque , se soit produit le retour de manivelle de la perplexité du genre humain , à savoir que la nature profonde reprend son cheminement en évoluant pas toujours dans le sens voulu ou imaginé par des scientifiques ayant oublié que le doute est la sagesse du savant!

Celeos a dit…

On ne peut pas dire que la"libération sexuelle", toute relative, d'ailleurs, fut le terreau sur lequel proliféra le sida: la syphilis était présente aussi depuis longtemps, mais les antibiotiques avaient été inventés, bien impuissants par contre sur un rétrovirus. Le piège est là, malheureusement, dans cette terrible concomitance entre libéralisation des moeurs et la maladie, au point qu'on a pu croire, en effet, qu'un complot visait ceux qui revendiquaient trop librement leurs pratiques sexuelles. Coup de balancier, peut-être, mais un peu coincé dans le mauvais sens...

arthur a dit…

Bon, je ne suis pas d'accord avec toi sur ce film, mais tu le sais, et tu m'as déjà mentionnéta déception, que je peux comprendre néanmoins. MAis je pense que ce film restera, au delà de ses éventuelles faiblesses.
PAr contre "mourir à 30 ans", je n'ai jamais vu....merci de me rappeler cet oubli!