Je voudrais juste
compléter mon billet sur le film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde. À
commencer par cet adverbe, utilisé de manière un peu impropre : juste. Ici c’est un anglicisme, ce qui
ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’employer, mais que son emploi est souvent
un tic de langage. C’est un adverbe restrictif. Il vise à réduire la portée du
sens de ce que l’on veut dire. Dans le titre, juste signifie que ce n’est
que la fin du monde. Étrange paradoxe. Je
n’ai pas lu de glose sur le titre qui me paraît pourtant tellement plus fort
que tout ce qui est filmé. La fin du monde comme un néant définitif. Qui parle,
alors ? J’imagine que le narrateur est Louis, dans le film, celui qui sait
et qui ne dit pas, parce qu’autour de lui tout concourt à le faire taire. Je
crois qu’involontairement, Xavier réussit pourtant dans ce film raté à susciter
toutes les évocations de non-dit. Je pense à Cris et chuchotements, d’Ingmar Bergman, qui est déjà loin dans
l’histoire du cinéma. 1973, me semble-t-il. Plus près, Hana-Bi, de Takeshi Kitano. Les as-tu vus, Xavier ? Les
exemples ne manquent pas, mais ce sont ces deux films qui me reviennent à
l’esprit. La mort est programmée, dans un terme qui n’est pas tout à fait
précisé. Qu’en fait-on ? Faut-il la noyer dans un flot de paroles vides de
sens, qui ne servent qu’à essayer d’exister pour des personnes dont la vie
quotidienne leur semble un grand vide de sens, dont on rend les autres
forcément responsables? Ce que rend l’expression « une vie de
merde ». C’est ce que j’ai dit dans les premiers mots qui me sont venus à
propos du film qui a voulu traduire l’incapacité de saisir ce que l’étranger à
soi vient apporter, qu’on ne peut écouter, parce que la « vie de
merde » occupe tous les trous du corps, et que ce qui sort par le trou qui
produit réellement de la merde vient symboliquement occuper les autres trous
qui voient de la merde, qui entendent de
la merde, qui sentent de la merde, qui pensent de la merde.
Le message de la mort qui s’annonce n’est pas en mesure
d’être exprimé. Ce que dit le titre est que, finalement, ce n’est pas si
important. La mort n’est pas importante, comme en fin de compte la vie n’est
pas si importante. L’homme de théâtre, ou l’écrivain — ce n’est pas très
clairement dit dans le film — qui vient annoncer sa mort montre finalement que
ce qu’il a essayé d’être est sans importance. Je repense à ceux morts du sida.
Ici, dans le film de Dolan, on n’est même pas sûr qu’il va mourir du sida. Mais
on le suppose, parce qu’on retombe dans les poncifs sur les comportements gay
(la mère, Martine : « Tu
habites toujours dans le quartier gay ? »). C’est une mort
désincarnée. Mais je repense à Hervé Guibert qui a mis en scène sa mort, par
l’écriture, par l’image. C’était bien plus beau que ce que tu nous a fait, Xavier.
Je crois simplement que tu ne sais pas ce que c’est que la mort, tu ne l’as
peut-être pas vue d’assez près, et c’est pour cela que tu ne sais pas en
parler. Le jour où tu sauras en parler, tu changeras le titre de ton film. Tu
l’appelleras Toute la fin du monde,
pas juste. Et là tu auras regardé
quelques films, pas tous, ce n’est pas possible. Un jeune garçon comme toi n’a
pas le temps de vraiment se constituer une érudition cinématographique. Le
cinéma est à consommer, et tu n’as pas encore compris qu’une œuvre artistique
existe dans la participation au dialogue que l’on réalise dans le choix des
images, les clins d’œil à d’autres cinéastes, les références à la littérature.
Sans cela, l’art n’a pas de sens, il n’est qu’une espèce de show de téléréalité
transmis pour donner à croire que les logorrhées que tu as filmées sont l’écho
du quotidien de merde que nos sociétés occidentales généralisées vivent
aujourd’hui.
Eh oui, Xavier, je redis ce que j’écrivais il y a quelques
jours : tu as fait un film de merde, parce que, sans doute, c’est ce que
demande le cinéma international aujourd’hui qui t’adule en croyant que tu es un
petit génie. Non. Arrête de filmer pour l’instant. Prends le temps de vivre, de
baiser les mecs dont tu as envie, prends les râteaux indispensables qu’on prend
tous. Prends le temps de lire, de revoir les cinémas indispensables qui ont
fait le septième art. Revois les Japonais, les Indiens, les Egyptiens, les
Algériens, les Africains qui ont fait du grand art. Tiens, il y a même quelques
Français. Et les Italiens, bien évidemment. Oublie un peu l’Amérique, j’ai cru
un instant revoir ce film qui m’avait donné mal au crâne, Le déclin de l’empire américain, de Denys Arcand. Tu en as fait un
remake, en moins bien. Parce que ce qui ressort, c’est aussi ce qui se passe
dans le monde aujourd’hui : le sens du langage n’est plus en mesure de
s’exprimer. Il n’y a de place que pour le monde post-warholien, et ce qui n’est
pas monnayable n’a pas de sens.
Je sais bien qu’il n’y a pas beaucoup de probabilités pour
que tu lises ces lignes. Néanmoins, si tu veux faire un film dont le sens
essaie de raccrocher les lambeaux du passé aux limbes du futur, parle nous dans
tes images de Federico Garcia Lorca : documente-toi, pénètre-toi de la
manière dont il a vécu, de la manière dont il est mort. Et là, vois-tu, ce
n’est pas d’un vague artiste désincarné que tu parleras, mais de poésie,
charnelle, faite de chair et de sang.
La critique du frère aîné refusant la
culture symbolisée par l’anecdote du café que prend Louis à l’aéroport tombera
d’elle-même, parce que si les artistes n’ont à parler que très vaguement de
leur nombril, ils s’exposent à ce qu’on les renvoie à la lâcheté du rôle où on
veut les assigner : des icônes dorées qui peuvent s’imaginer qu’elles ont
découvert ce qu’il y a de sacré dans la nature humaine. Ou, pire, qu’il n’y a
rien de sacré, dont on se débarrasse d’un revers de main, ou de film, parce
que, en effet, l’excès de mots vides de sens ont pour objet de combler le vide.
Mais on sait qu’il ne s’agit là que d’une autre illusion. Parce que la mort,
qui est le sujet de tout, est bien réelle, et qu’il faut bien en parler, la
nommer, mettre sur elle les images qui finissent par donner du sens à ce monde,
comme un définitif Mausolée des amants.
* * *
5 commentaires:
Tu l'aimes ce Xavier pour écrire si beau et fort ! As-tu écouté jeudi soir son interview par Laure Adler sur inter après 20 h. Je n'ai pu écouter que 10 mn et je n'y suis pas revenu (et puis la voix de maman Laure houspillant petit Xavier m'a un peu gavé, pourquoi on n'a plus Zoé ou Kathleen ?), mais ton billet est comme un écho à ce que j'ai entendu.
J'ai aussi été étonné de sa voix complètement décalé par rapport à ses 28 ans. Je lui trouvais une voix trop âgée.
Objectivement, je pourrais dire avoir été déçu par "Cris et Chuchotements" de l'idolatré des cinéphiles que fut l'immense Bergman ,par son procédé de passage au rouge pour relier les séquences ce qui eut le don de m'agacer ; il faut dire qu'il y avait foisonnement d'oeuvres cette année là , comme "Belle" de Delvaux et sa description fagnarde de bon aloi , et un Fellini aussi "Amarcord "si je me souviens bien - humour involontaire ? - Mais rien que la qualité de votre texte m'icite à vouloir regarder ce nouveau film de Dolan car comment un "turkey's film" peut il engendrer un tel écrit s'i ne décèle pas quelque pépite enfouie!
Ayé, je l'ai vu.
Et oui, je suis entièrement d'accord avec vous.
Je vous admire d'avoir consacré tant d'espace à un film qui ne le mérite pas ; pour moi, ce sera expédié en dix lignes.
Et je renverrai vers vos billets, car tout est dit.
Comme je l'ai écrit dans un commentaire précédent, il y a belle lurette que je ne fréquente plus les salles obscures. Donc, je suis mal placé pour formuler un avis sur ce "film". Ça réveille en moi une conversation que j'ai eue il y a quelques jours.
À l'heure où on laisse à peine transparaître nos émotions à travers des "smileys", d'où vient cette incapacité à exprimer correctement ce que l'on ressent vraiment ? Je prends prétexte de ce film et ses nombreux commentaires pour constater à quel point nos contemporains souffrent d'alexithymie ! C'est un mal contemporain. Ce trouble est symptomatique d'une société qui sacrifie l'expression des émotions à des stéréotypes. car aujourd'hui, chacun se contente de pauvres smileys pour dire son état d'esprit... Que ce soit en littérature, au cinéma, à la radio - je ne vais passer toute la possibilité de communiquer en revue - ce phénomène rend une ampleur affligeante. Je vais faire court : l'alexithymie se traduit par une grande confusion. On a pu remarquer chez les personnes atteintes des anomalies dans deux zones, celle qui relie les émotions et celle qui en prend connaissance, les analyse et les formule. Si la personne éprouve bien des ressentis, elle ne sait pas les différencier. Quant elle est bouleversée, il lui est difficile de dire si elle est en colère, triste, ou si elle a peur. Pour verbaliser ses états d'âme, encore faut-il l'avoir appris. Mes concitoyens ne savent plus quoi penser de ce qu'ils ressentent. Et encore, est-ce qu'ils ressentent ? À force de niveler tout par le bas, cette société s'auto-détruit. Mais ça, nous sommes plusieurs à le savoir. Sans doute notre bonne vieille Éducation Nationale a-t-elle sa part de responsabilité dans le développement de l'alexithymie. Peut-être, pour certains lecteurs, mon commentaire tombe à plat ou bien je suis hors sujet. Mais, la lecture de critiques concernant ce film conforte mon sentiment que ce mal touche les gens des deux côtés de l'écran. Là, le réalisateur semble bien atteint.
Pardon de vous répondre avec retard, mes amis. Oui, estèf, je l'aime, Xavier, et c'est parce qu'il m'a vraiment irrité que j'ai été un peu prolixe. et parce que j'ai, justement, écouté Xavier chez Laure Adler, (que je n'aime pas cette femme depuis qu'elle a détruit de belles émissions de France-Culture, il y a déjà fort longtemps !)Et Xavier ne m'a pas convaincu, là non plus. S'il ne prend pas le temps de se poser, de réfléchir, de lire, il va dans le mur, et sa belle gueule n'y pourra rien. Faut jamais se prendre au sérieux.
Cris et chuchotements, vous n'aviez pas aimé, Joseph ?
Merci pour vos renvois, Silvano (je parle de mon blog, pas de votre écœurement!).
Vous m'apprenez un terme, Yves, que je crois pouvoir replacer sans peine. Sans doute avez-vous raison : le film est peut-être symptomatique de notre société actuelle, qui part en bouillon de courges
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