Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 16 novembre 2017

Hommage à Françoise Héritier

Triste journée où l'on apprend le décès de Françoise Héritier, grand nom de l'ethnologie et de l'anthropologie. J'avais assisté plusieurs fois à ses conférences, et j'ai eu également le plaisir de m'entretenir avec elle il y a quelques années au cours d'une soirée amicale. Elle était l'intelligence incarnée des situations sociales complexes. Il fallait peut-être en effet être une femme, ou connaître des situations de domination sociales et culturelles, pour être placé dans l'obligation de saisir les logiques qui mènent l'établissement des normes culturelles. On trouvera dans tous les bons sites le parcours de cette pensée qu'elle a contribué à faire aboutir, au moment où, en France, se constituaient et se structuraient les disciplines de la pensée de la différence. Ce n'est sans doute pas un hasard si elle est parvenue à définir les termes de la parenté en Afrique, alors en Haute-Volta, en essayant de comprendre dans quels cas les interdits d'alliances existent et ressortissent alors au domaine de l'inceste, dont l'acception, en Occident paraît plus limitatif.




Son travail essentiel a été de mettre en lumière la nature féminine non seulement dans la compréhension de sa définition comme opposition binaire aux hommes, mais surtout dans la spécificité qu'ont les femmes à produire du même et du différent - une femme peut faire naître une fille comme elle-même ou un garçon, ce qu'elle n'est pas - ce que les hommes sont évidemment incapables de faire : les hommes doivent passer par les femmes pour produire des hommes. Ce pouvoir, qui apparaît magique dans les sociétés archaïques - les sociétés contemporaines sont toujours archaïques du point de vue de l'inconscient des sociétés - paraît ainsi exorbitant. Il explique la raison de la domination masculine qui reprend par son positionnement physique d'une part, institutionnel d'autre part, la capacité à décider et à agir symboliquement là où elle ne peut le faire biologiquement.

Cette pensée de la différence est venue opportunément compléter le travail déjà monumental de Claude Lévi-Strauss. Ce dernier avait mis en lumière le rôle des femmes comme biens d'échanges dans les sociétés, qui ne relevait pas seulement des sociétés archaïques : à ce titre, si les femmes, en France, ne sont plus des incapables majeures, ce n'est que depuis une période relativement récente. La République espagnole avait résolu ce problème bien avant la que France retrouve sa raison républicaine.

Étrangement, avec Françoise Héritier disparaît une partie visible de ce que l'ethnologie et l'anthropologie ont été en mesure de produire dans leurs rapports institutionnels aux sociétés dominées, autrefois colonisées. Dans le même temps, les institutions de la culture, des savoirs universitaires, paraissent aujourd'hui bien en panne pour apporter aux questions que le monde se pose aujourd'hui des outils de compréhension et d'action efficaces. Là est un autre débat.



4 commentaires:

joseph a dit…

....et Levi Strauss l'a scotchée " preuve qu'un grand esprit prônera toujours l''ouverture plutôt que l'opposition pure et dure !

Celeos a dit…

...Et les grands esprits nous manquent cruellement par les temps qui courent !

FrançoisB92 a dit…

Merci pour ce beau texte et de pouvoir réentendre cette belle pensée.
François B

Celeos a dit…

Avec plaisir François. J'aurais préféré évoquer Françoise Héritier dans de moins cruelles circonstances.