Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 6 avril 2017

Les portes de la nuit

Marcel Carné, Les portes de la nuit, 1946

Voilà bien longtemps que je n'avais pas revu ce film magnifique qu'est Les portes de la nuit de Marcel Carné, présenté lundi soir sur Arte, et à peine signalé sur Télérama. C'est, je crois, l'un de mes films préférés, et non seulement parce qu'il a fait de la chanson de Jacques Prévert et Joseph Kosma, Les feuilles mortes, cet emblème de la chanson française qui reste dans la tradition de la poésie amoureuse universelle, mais il s'inscrit surtout dans l'écriture cinématographique qui réunit l'ensemble des arts : si la thématique amoureuse reste le ressort du déroulement narratif, on saisit évidemment que ce n'est pas la seule voie qui s'ouvre à la compréhension de cette vie dont la nuit est le principal acteur. Je n'en ferai pas une analyse : d'autres l'ont faite, et même si le regard qu'on peut lui porter aujourd'hui apporte des nuances, permet de retrouver des correspondances, je crois que le film se suffit à lui-même, dans la richesse de ses dialogues, du jeu des acteurs admirables réunis ici, et dont Jean Vilar, le créateur du Théâtre national populaire, est une espèce de deus ex machina, qui fait précipiter les actions de chaque protagoniste dans la logique qui lui appartient en propre. Je reparlerai certainement un jour de Jean Vilar, dont l'action le fait révérer comme une sorte de référence absolue du théâtre en France. Peut-être faudra-t-il un jour apporter quelques nuances de cette vision d'un théâtre, qui, paradoxalement, a contribué à fabriquer un théâtre pour des élites, et dont beaucoup de comédiens compagnons de route de Vilar, ont, en fin de compte, pris leurs distances avec lui.

On remarquera évidemment les jeux extraordinaires des acteurs présents dans le film : des noms magnifiques. Yves Montand, Raymond Bussières, Pierre Brasseur, Nathalie Nattier, Serge Régiani, Saturnin Fabre... tous habités par leur rôle. On aimerait que les acteurs contemporains aient le même sens du jeu que leurs aînés ; peut-être ne faut-il y voir que la traduction de l'époque que l'on vit aujourd'hui. En tout cas, cette tragédie dans laquelle chacun est amené à suivre la voie que lui indique le destin est sublime : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marcel Carné illustre la manière dont la période achevée a conduit chacun à vivre ses passions ou ses rêves, et dont la veulerie reste l'attitude la plus récurrente. Étrangement, ce film trouve des échos dans la période que nous vivons aujourd'hui.


Enfin, je voudrais donner une mention particulière à la qualité de la photographie de ce film qui est apparentée, là encore à cette époque, et se rapproche du travail de Brassaï. Nul doute que Brassaï a influencé le regard des trois photographes de ce film, Philippe Agostini, André Bac et Émile Savitry qui ont su donner au travail de la lumière la pleine puissance de son expression.






Pour achever ce billet, je ne résiste pas au plaisir de diffuser la prestation d'Yves Montand dans une reprise de la chanson Les feuilles mortes issue du film Parigi è sempre Parigi, de 1951, réalisé par Luciano Emmer (musique, on s'en serait douté, de Joseph Kosma). Le très beau danseur s'appelle... Marcello Mastroiani Franco Interlenghi ! (note du 8 avril : merci à René R. de m'avoir corrigé !)


8 commentaires:

Silvano a dit…

Merci pour ce billet (et la pépite finale) : j'aime beaucoup ce film injustement sous-estimé.

Celeos a dit…

Oui, c'est du grand Carné.

Silvano a dit…

Mais j'ai un doute : il n'était pas anglais, Carné ?
Pardon.

Celeos a dit…

Ouf ! Vous pouvez être rouge de honte, Silvano !

Unknown a dit…

Ce n'est pas Mastroiani mais le très beau Franco Interlenghi.

Celeos a dit…

Merci, René. honte à moi, ma vue baisse ! Comment ai-je pu confondre le très beau Franco avec l'également très beau Marcello, son aîné...

joseph a dit…

Une phrase de vous devrait être citée avant toute remise de César ou Oscar vantant les mérites d'un premier ou second rôle :"On aimerait que les acteurs contemporains aient le même sens du jeu que leurs aînés .."

Celeos a dit…

C'est peut-être ce sentiment de l'urgence qui manque aux contemporains. Genet incitait à jouer comme si on devait mourir le lendemain...