Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

lundi 22 février 2016

Erri de Luca, frappé à son tour !

Décidément, la rhinocérite est virulente, cette année. Le cher Erri de Luca, que j'aime, dont j'apprécie la littérature et l'engagement contre la ligne à grande vitesse – no TAV ! – vient d'être frappé à son tour ! Un article paru aujourd'hui dans Marianne lui donne la parole. S'est-il fait piéger par le journaliste, Ariel F. Dumont ? Rien ne me permet de le supposer. Je reproduis ici l'extrait dans lequel il parle de la déchéance de nationalité :

« Que pensez-vous de la proposition de Manuel Valls sur la déchéance de nationalité ?

E.D.L. : C'est une mesure quasiment élémentaire et, surtout, indispensable. Ces gens-là doivent savoir que, en partant, ils ne peuvent pas revenir en arrière. Ils ne s'offrent pas un voyage aux Caraïbes, ils partent en tournée militaire, c'est différent. A partir du moment où ils décident de trahir leur pays, de combattre contre leur patrie, de rallier une organisation terroriste, c'est fini. Chacun est libre de choisir, mais pour choisir, il faut être responsable. On ne peut pas les décourager, mais on peut les avertir et, surtout, éviter qu'ils utilisent les compétences militaires acquises durant leur "voyage" pour organiser des massacres. »
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PACIFIC PRESS/SIPA
 Que s'est-il passé, s'est-il vrillé un neurone, subit-il le syndrome post-traumatique d'avoir été sauvé de la prison par la justice italienne, le mettant dès lors dans une posture d'obligeance institutionnelle, le forçant à rentrer « dans le rang » des intellectuels aux positions douteuses, façon Roger Garaudy – mais  pour l'instant avant qu'il ne soit allé trop loin ? 
Ce qu'il dit est profondément stupide : «Ces gens-là doivent savoir que, en partant [...] c'est fini.» S'est-il réellement interrogé sur ce qui se passe dans la tête de gens qui ne sont pas à savoir ce qu'ils ont à gagner ou à perdre ? Que sait alors Erri de Luca du fascisme italien à l'époque où il était l'un des dirigeants de Lotta continua ?

« Trahir leur pays». Mais les abrutis du terrorisme n'ont pas de pays ; leur pays, c'est la mort, rien d'autre, vers laquelle ils partent pour s'anéantir en anéantissant les autres par la même occasion, et ceux-là mêmes qui ne sont en rien responsables de leur propre situation.
« Leur patrie». Que Erri de Luca utilise ce terme fossile me laisse abasourdi ? Quelle patrie ? Voici bien longtemps que ce terme, bien innocent au milieu du XVIIIe siècle, fut repris par les révolutionnaires de la fin de ce même siècle pour en faire un concept exprimant la paranoïa d'un peuple-nation sûr de sa prévalence sur les autres nations, et tout prêt à fermer les frontières contre les étrangers. La patrie est en danger ? Mais nous ne sommes plus en 1792, et là ce ne sont pas des étrangers qui menacent... qui menacent quoi d'ailleurs ? Certains abrutis à la kalach sont français, et même Valls a reconnu que la mesure de déchéance de nationalité était un symbole, et sans efficacité contre la détermination de ces desperados. La véritable menace qui torpille la société française, et, plus largement les sociétés occidentales, ce sont les accumulations d'injustices, de traitements différentiels des quartiers, des niveaux sociaux, un chômage qui est devenu plus qu'insupportable qu'on n'arrive même pas à résoudre avec un traitement social. 
Ce que ne comprend pas Erri de Luca, c'est qu'il y a bien longtemps en France comme ailleurs, qu'il est difficile de se sentir «français» quand on ressasse une République devenue invisible, des égalités dans le nivellement par le bas de l'école (j'ai tous les jours les retours de cette casse des savoirs scolaires et universitaires), une fraternité traitée à coups de bulldozers à Calais, une liberté réduite à sa plus simple expression de pouvoir encore un peu consommer pour ceux qui ont un revenu régulier.
Le reste, l'«État d'urgence» qui n'est qu'une forme de l’État policier, les assignations à résidence administratives qui ressemblent beaucoup au passé le moins glorieux de l’État français, et jusqu'à la Justice en France qui n'en peut plus : prisons surpeuplées, situation carcérale des femmes pire que celle des hommes, le remplacement des décisions de justice par des décisions administratives rendues par les préfets... Comment Erri de Luca appelle-t-il cela ?
Et toujours concernant la « patrie » : n'a-t-il pas compris qu'il faut laisser ces termes à la terminologie d'extrême droite : ces termes fossiles rendent-ils compte de la réalité des relations culturelles, sociales, économiques ? Être patriote économiquement reviendrait à n'acheter et ne consommer plus que «  français », idem pour la culture et les relations sociales. Que ferait-on sans la culture italienne, grecque, espagnole, britannique, américaine, nord-africaine, etc. Que serait- notre pensée si nous ne nous retrouvions qu'entre Français ? Comment ces expressions haïssables ont-elles pu émerger : «on» est chez «nous»? Qui est ce «on»? Qui est ce «nous»? En Corse, déjà en 2004, on pouvait voir sur les murs «Arabi fora». Comment a-t-on pu laisser s'installer une telle situation à la totale indifférence des pouvoirs publics, méprisant totalement l'«esprit républicain». Qu'on ne nous fasse plus le coup de la république : elle est devenue totalitaire, impuissante, vérolée.
Le pauvre Erri de Luca, dans sa vision étriquée, et sans doute, crypto-religieuse, se fourvoie lamentablement, montrant peut-être que sa vision du monde social en est restée à l'époque où, lui, fils de bourgeois napolitain, allait chercher sa rédemption dans le monde ouvrier. Il en a gagné les galons de l'écriture, admirable, magnifique. Politiquement, il est perdu.

Politiquement je reste du côté de la poésie qui est un engagement, et non un loisir de salon. Hier, Marie m'interpellait sur la situation des réfugiés dans la boue. Il faut s'interpeller sur ce qui va se passer à Calais mardi soir ou mercredi matin prochain : les bulldozers vont raser ce que les réfugiés et les associations humanitaires ont patiemment construit : cabanes de fortune dans l'attente de conditions de départ vers d'autres cieux plus hospitaliers que ne l'est la «république». 250 intellectuels et artistes s'insurgent : ne réduisons pas la France à des barbelés et des bulldozers. Lisez le journal Le Monde. C'est là : clic

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Charles Baudelaire: Petits poèmes en prose, I (1869)

2 commentaires:

yves a dit…

ce qui me heurte le plus dans tout ce qui se passe : il s'agit bien d'une guerre entre états, financiers et tous ces pouvoirs tapis dans l'ombre, mais - peut-être que je me trompe - cette guerre est pire encore que toutes celles vécues, car elle utilise non des guerriers mais des civils à tours de bras.

Celeos a dit…

Oui, on a l'impression de vivre des moments très étranges inconfortables intellectuellement et nous pétons dans l'excès de consommation dont se repait le système. Mais je crois que vous avez raison, on est toujours de la chair à canon !