Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

dimanche 10 juillet 2016

Noël en juillet !

J’ai reçu avec beaucoup d’émotion le contenu d’un paquet dans ma boîte aux lettres. Un livre dont j’espérais depuis longtemps la sortie : Tombe, Victor !
Eh oui, comme beaucoup de lecteurs de Gay cultes, j’ai lu, en leur temps, les billets du lundi de Silvano, dont je découvrais, avec émotion, avec bonheur, semaine après semaine, la narration des souvenirs de Paul, de l’apprentissage de la sexualité dans une région dont je connaissais bien les lieux, ceux de la Côte d’Azur.
Et comble de surprise, je lisais dans le récit nombre de points communs qui me rattachaient à Paul, sans doute un milieu familial très proche dans une France à peu près de la même période.


J’ai le souvenir, enfant, de cette télévision dont parle Paul, dont les émissions « de variétés » faisaient surgir les chanteurs « yéyé » — j’ai entendu sur France Inter l’évocation des débuts de Françoise Hardy, dont on n’ose pas dire qu’elle est presque une vieille dame aujourd’hui, mais je préfère de loin son fils Thomas ! — le terme « yéyé » étant l’invention de notre cher Edgar Morin.
Une France déjà bien vieillotte et poussiéreuse qui n’allait pas tarder à voir surgir les bouleversements de mai 1968. La jeunesse aspirait à s’amuser, dire ses envies de draguer — mais il était impensable qu’on puisse parler de l’amour des garçons entre eux, dont la doxa continuait à véhiculer des images ridicules ou scandaleuses. En ce qui me concerne, moi dont la sexualité n’existait alors qu’à l’état larvaire, il était même impossible de penser que l’amour entre des garçons pût exister. Ça n’existait pas, tout simplement. Et si tout jeune j’éprouvais déjà quelques émotions de voir des chemises entrouvertes laissant apparaître de beaux torses, j’ignorais que ce goût pouvait appartenir à quelque chose d'autre qui n'était pas de la même nature que le goût pour la glace à la vanille, la limonade ou les sodas de la marque Pschitt !, et c’est bien plus tard que je compris ce qu’était vraiment la sexualité.

Mais je ne veux pas raconter ici mon enfance : il me suffit de dire ce que Tombe Victor ! a rappelé en moi d’émotions, même si, plus jeune, mon éveil à la sexualité ne s’est pas déroulé dans les mêmes conditions.
Je ne suis pas un farouche lecteur de textes gays, qui virent rapidement au seul assouvissement sexuel sans que l’on ne sache, justement, du désir né d’un premier regard, à la drague plus ouvertement exprimée, jusqu’aux premiers touchers, aux premières caresses et enfin la satisfaction d’une étreinte amoureuse, quels émois, en retour, viennent affecter l’esprit et en structurer les ombres et les méandres. Certes, quelques grandes œuvres de la littérature qu’il ne m’est pas nécessaire de citer ici apportent leur lot d’affres et de tourments, décrivant sans toutefois donner dans l’explicite (ah, Albertine !) les états de l’esprit et ce que l’amour des garçons fait de nous. J’ai toujours pensé que la marginalité imposée à l’homosexualité transformait forcément le regard sur le monde et sur les choses.
En ce sens, Pierre Bourdieu se trompe quand il dit que la sexualité de Michel Foucault est indépendante de sa réflexion de philosophe et d’anthropologue. C’est parce que Foucault était homosexuel qu’il a pu développer sa réflexion autour des normes de la société occidentale, en explorer les contours historiques, en cerner les limites jusqu’à remettre systématiquement en question les antériorités de sa propre réflexion.

Mais je ne vais pas partir en dérive philosophique de ce que l’état de l’homosexualité en France dans les années 1960-1970 nous renvoie aujourd’hui. Je voulais simplement rendre un hommage à ce livre, que je crois plus important qu’il ne semble, dans sa fraîcheur et dans son récit de l’innocence. Oserai-je dire qu’il m’a transformé, moi déjà ? Peut-être ai-je un sens exacerbé de l’empathie, mais je crois que j’ai vécu les moments que raconte Paul, dans ses amours, dans son admiration pour ce que représente Victor, jeune futur beau mâle, et déjà si sûr de sa capacité à séduire…

Je ne voulais pas faire un billet trop long et m’aperçois que je suis incorrigible !
J’ose avouer que l’émotion m’a saisi au plus haut point lorsque Paul découvre la représentation d’Angelo, pétrifié, dans un des plus beaux lieux que Florence recèle.
Certes, tous ceux qui touchent à l’écriture savent que l’on commence à mentir dès que le premier mot est posé sur une feuille de papier ou sur un écran d’ordinateur aujourd’hui. Qu’importe ! Ce qui est réel, c’est ce qui existe, ou que la magie de l’écriture permet de faire exister : je crois avoir déjà raconté que la rue de la Grange aux loups n’existait pas à Brest, avant que Barbara n’écrivît sa chanson. La force de son texte a fait en sorte qu’il existe, aujourd’hui, à Brest, une rue de la Grange aux loups !

On sait que l’auteur, Louis Arjaillès (Silvano) est un cinéphile accompli : les images défilent, et comment pourrait-on ne pas accompagner Paul dans son avancée dans ces sentiers de contrebande ?
Oui, il faut lire ce texte, le relire et le faire lire autour de soi, quelle que soit sa propre orientation sexuelle, qui n’est peut-être finalement qu’un autre aspect de ce qui se dégage du livre, plus profond par sa dimension charnelle, humaine.

Je veux rappeler aussi que Véhèmes n'existerait pas si l'écriture de Tombe Victor! n'était pas apparue dans Gay Cultes. Je disais plus haut que ce récit m'avait transformé : il m'a donné envie enfin d'exprimer dans un blog ce que ma propre homosexualité et la sensibilité qui lui est attachée me renvoyaient de ce que je ressentais, de la culture, du monde, des indignations insupportables qui me parviennent, de mon propre goût pour la beauté des êtres et des choses, et que j'ai eu finalement envie de partager. Certes, c'est souvent que j'en ressens également la vanité, mais dans ces lieux d'échanges que sont nos blogs, l'important est justement ce que nous sommes encore en capacité de dire et d'apprendre des autres.

Merci, Silvano, d’avoir livré cette part de vos souvenirs, et d’avoir eu la constance de mener ce projet à bien, montrant que nos petites écritures blogueuses ont parfois des vertus qui leur permettent de devenir des objets réels.

Nous continuerons, parce que les conventions parfois sont porteuses à la fois d'amitié, de respect, de considération, à nous donner du vous dans nos échanges blogueurs et parce que ces conventions sont aussi la marque, sur le Net, d'une distance qui sait dire que cette amitié, ce respect et cette considération ne se galvaudent pas à une époque ou chacun se tutoie comme si ce tutoiement était l'expression d'une proximité chaleureuse. Le jour où les flics ne tutoieront plus les gens qu'ils appréhendent, nous pourrons reconsidérer le tutoiement public.

Tombe, Victor, n'en finis jamais de tomber, pour que Paul puisse encore être en mesure de te lécher le genou et de t'apporter autant de réconfort que celui que tu as pu toi-même lui apporter en étant cet initiateur en amour !

1 commentaire:

Louis Arjaillès a dit…

Il y avait donc encore des larmes prêtes à jaillir de moi, que votre billet m'arrache : je ressens, malgré cela, un étrange détachement de ces pages venues du tréfonds de mon être. J'ai passé le relais à qui voudra bien me lire ; ce petit roman appartient maintenant à ses lecteurs. Et à vous particulièrement, Céléos, qui, le premier, en a favorisé l'éclosion. Vous voyez, je ne sais plus écrire.