L'auberge des orphelins

Un beau Grec à Paris

Ma collègue blogueuse Sophie Dornac signale le spectacle ce mercredi 1er juin d'Alkínoos Ionnanídis au Cabaret sauvage, au Parc de la Villette à Paris, à partir de 19 h. Voyez son blog ici : clic

J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'en parler dans Véhèmes,(ici : clic) et, pour une fois qu'il est à Paris, amis parisiens, ne ratez surtout pas cette occasion. C'est du beau, du grand spectacle : textes, musique, avec d'excellents musiciens qui l'accompagnent. vous ne regretterez pas votre soirée.
Allez, un petit aperçu de votre nuit de mercredi prochain : Όνειρο ήτανε, « C'était un rêve »
 
Je n'ai pas eu le temps de raconter ma longue soirée à Athènes de son spectacle début novembre dernier : ce fut une aventure dans la nuit athénienne. Je me promets de le faire !




Se coucher tard nuit. Et Rigoletto ?

Et non, Verdi n'est pas le pluriel d'un verre d'eau...


samedi 28 mai 2016

Joie de l'archéologie - 1

Céramique attique à figures rouges - « Eros est beau » ca Ve s.

Fauve ≠ - Loterie

Aux nuits de Fourvière en juin 2014 - L'année avant Charlie, avant le Bataclan...
Questionnements sur la nature humaine, en somme.


Lettre à Estèf

Cher Estèf,

Je t’ai sans doute égratigné dans le commentaire « aigre-doux » que je t’ai fait concernant ton billet du 8 mai. Faudrait-il le regretter ? Voici un an, hélas, que le retour aux « symboles de la République » est mis en avant pour exprimer, si l’on s’en tient aux explications des uns ou des autres, cette sorte de fascination sur ce que je ne peux voir que comme la bannière d’une nation qui dissimule son histoire depuis tant de temps — surtout depuis Jules Ferry, qui fut l’un des principaux promoteurs de la colonisation moderne —  pour asseoir sa jouissance de domination. La France ne fut pas la seule, certes. Mais balayons devant notre porte. Le drapeau français fut brandi à diverses et nombreuses reprises pour coloniser l’Afrique, alors même que Victor Schoelcher avait été l’artisan de l’abolition de l’esclavage rétabli par l’empereur que tu sais. C’est au nom d’une soi-disant république que l’on établit, en Afrique, en Asie, et même sur le territoire national, de terribles dominations et discriminations : de statuts économique, social, de langues : le centralisme né sous les rois francs puis français a réduit le territoire français à une sorte de bouillie guère plus réjouissante qu’il n’a laissé les anciennes colonies.

Pierre et Gilles - Deux garçons

Lorsque le joug nazi fut vaincu, non par la république française (tiens, dis-moi quel fut le drapeau utilisé sous Pétain ?), mais par une monarchie parlementaire, la Grande-Bretagne, par un État fédéral, les États-Unis d’Amérique, et un peu la France de l’ombre qui préparait le terrain… que se passa-t-il dans l’empire français ? La France fut longue à accorder leur indépendance aux peuples qui l’avaient servie, et ce fut la Guerre d’Indochine, la Guerre d’Algérie (qui n’avait pas le nom de guerre, mais qu’on appelait pudiquement « les événements »). Que se passa-t-il pour Madagascar ? Et la guerre du Rif, cela te parle-t-il (pendant les « Années folles ») ? Tu penses aux morts du 8 mai 1945 à Sétif ?


« Le 8 mai 1945, les premiers tirailleurs algériens qui débarquent du croiseur Gloire font une entrée triomphale à Alger. Le jour même débutent les manifestations organisées par le PPA à travers les principales villes algériennes. Brandissant des drapeaux alliés, y compris celui de la France mais aussi l’emblème algérien, scandant des mots d’ordre revendiquant l’indépendance de l’Algérie, portant des gerbes de fleurs devant être déposées devant les monuments aux morts, ils sont plusieurs dizaines de milliers d’Algériens à répondre à son appel. À Sétif cependant, l’événement prend une tournure dramatique. « Faites tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien », ordonne le préfet de Constantine. Le matin du 8 mai, la police tire sur les manifestants, précédés par des scouts venus déposer des gerbes de fleurs au monument aux morts de la ville. Le soir, à Guelma, sans attendre, le sous-préfet (socialiste) André Achiary fait tirer sur la foule. »

(in https://bataillesocialiste.wordpress.com/2008/05/08/lautre-8-mai-1945-les-massacres-de-setif-et-de-guelma/)


Massacres, massacres, massacres, et de populations civiles au nom de la République et de son drapeau symbolisant de si grandes valeurs ? Je ne vais pas faire un cours d’histoire. Mais puisque tu te réfugies derrière quelques arguments que je trouve bien faibles…

[Tiens, le terme d’« esprit faible », par moi énoncé, a été relevé. Je vais donc dire ici, en incise, à quoi il correspond : j’ai longtemps été d’une extrême timidité, dans l’incapacité d’exprimer ce que je ressentais ; cela ne m’empêchait pas de savoir ce que je pensais d’un sujet ou d’une situation. Lorsque j’appris à vaincre cette timidité, ma façon de m’exprimer fit souvent dire que j’étais une « forte tête », ou que je jouais à «  l’esprit fort ». Ainsi, si j’étais un « esprit fort », c’est qu’il y avait donc des esprits faibles !]

Penser à tous ces garçons morts. Oui sans doute. Est-ce les honorer vraiment que de chanter la Marseillaise ? Ça leur fait la jambe bien mieux faite, aux estropiés, aux gueules cassées. Crois-tu vraiment qu'ils t'écoutent, depuis le néant ?
Si je te lis bien, aller au monument aux morts consiste en premier lieu à te démarquer de ta culture familiale ; en deuxième à exercer une pratique sociale de communauté villageoise en laquelle tu aspires à te fondre. Comment définir cette communauté villageoise ? Participer au bar, au foyer, à la buvette, et au monument aux morts (je me permets de le mettre au pluriel). C’est bath, la vie de village. Tu n’as pas mentionné le loto, le repas des chasseurs, (tu n’as pas de palombières, chez toi ? C’est dommage, voilà une pratique de village bien clivante !)  le repas des vieux, le banquet républicain… J’en oublie ? Évidemment, dans la vie de village, on essaie d’oublier que la vie des hommes et des femmes est séparée. Les femmes prennent le café autour d’un tricot pendant que les hommes sont au bistrot, prennent l’apéro en tenant quels types de propos, d’ailleurs ? Mais enfin au moins c’est viril, et d’ailleurs, ils auront ainsi l’occasion de prononcer à de multiples reprises leur haine de l’homosexualité, disant quel joueur de foot est une tafiole parce qu’il n’a pas marqué. Et la sexualité des pédés, d’ailleurs ? Ben, on n’en parle pas, puisqu’on est sensé ne pas la connaître. On ne dira pas qu’on a un compte sur Grindr, sur Hornet, une page privée Facebook sur laquelle on peut échanger les allusions qui ne passent pas au bistrot ou dans la vie de village. Et encore quand on a du réseau Internet dans le village. On ne dira pas qu’on va à la ville pour rencontrer des mecs — chose impensable dans la vie de village.

Que signifie tout cela, l’hymne national, la vie de village ? Quelles illusions d’un paradis perdu entretient-on ? Car la vie de village, c’est un peu ça : tout le monde se connaît, tout le monde sait ce que fait chacun, où il est allé et quand il y est allé et pourquoi il y est allé. Et encore une fois, mieux vaut taire sa sexualité inexprimable. C’est trop rassurant, la vie de village.
Dans mes Cévennes, j’ai longtemps cru que j’étais le seul homosexuel : effectivement, on n’en parlait pas. J’ai eu la chance de trouver dans une grande ville des lieux plus ouverts où on ne chantait pas, fort heureusement, la Marseillaise. Quand ton maître de chant chantera Maréchal ! que feras-tu ? Tu découvriras que la terre, elle, ne ment pas ? Car de l’un à l’autre, la différence n’est pas si grande : il suffit de détester suffisamment les étrangers pour décréter que leur sang est impur. C’est à peu près ce qui s’est passé après les attentats. « On » était incapable de voir que c’était des gens nés sur le sol français (ou belge, tiens c’est une monarchie la Belgique !) qui étaient rendus à haïr leurs concitoyens, qui, produit du système occidental, affirmaient ainsi leur goût de la mort.
Alors les drapeaux fleurirent, principalement pour dire « on » est chez « nous ». C’est ce qui à permis de voir apparaître une loi sur la déchéance de nationalité, concept porté antérieurement par l’extrême droite, loi défendue par une pseudo gauche incapable de comprendre ce que cela signifiait (jusqu’à Erri de Luca qui a repris le propos). Faut-il que certains aient à ce point de la peau de saucisson devant les yeux ! Aujourd’hui, les drapeaux sont là, que je vois tous les jours dans ce Languedoc qui m’effraie, tant les « communautés » sont remontées les unes contre les autres. Et ces drapeaux ne sont pas des appels à vivre ensemble, mais au contraire une affirmation de son statut de vrai Français (de souche de préférence), façon de se marquer positivement contre ceux qui ne seraient pas tout à fait de bons Français. Une préparation à la saint Barthélémy. 

La dernière fois que j’avais vu autant de drapeaux ainsi déployés, c’était en 1998. Je campais dans le Vercors, loin de tout. Le soir, une clameur s’éleva, m’indiquant que même loin de tout, on n’est pas à l’abri de ce sursaut nationaliste qui, même en dehors d’un état de guerre, s’exprime pour désigner « nous » et « eux ». « On » a gagné.
Mon ami Jean-Marie Brohm, spécialiste du sport, a écrit sur le rôle du sport dans la formation du nationalisme. Lorsque j’étais moi-même, en période scolaire, tenu de me joindre à ces groupes de « sportifs » sentant des pieds, la sueur, et qu’en aucun cas je ne trouvais érotiques, j’entendais parfois la ferveur inconsciente qui s’exprimait dans leur enthousiasme à vouloir gagner : « Zigueziguezigue, aïe, aïe, aïe ! » qu’il faut restituer en « Sieg, sieg, sieg, heil, heil, heil ! ». Je ne te ferai pas l’affront de croire que tu ne sais pas ce que cela signifie. Le bouquin de Jean-Marie, qui a parfois écrit dans Siné hebdo, puis Siné mensuel, toi qui n’aimes pas Siné, s’appelle Les meutes sportives. Le stade du Heysel, ça te rappelle quelque chose ? Je n’avais pas besoin de cela pour détester le football et tout ce qui ressemble à un engouement collectif.

L’aspiration à la vie de village ? Se fondre ainsi dans l’anonymat d’une douceur qui ressemble au sein maternel. C’est vrai qu’on n’y voit pas beaucoup de Gitans, d’Arabes, dans ces bars, ces buvettes et ces lotos, qui sont des pratiques « bien de chez nous », comme disait autrefois un certain Jean Nohain, nostalgique de la période du Maréchal. À moins, qu’on en ait un, de Gitan, ou d’Arabe de service. Mon copain Bachir, ancien Marocain, installé en France avec une partie de sa famille, avait fui Hassan II. L’un de ses frères avait été arrêté par « notre ami le roi » ainsi que le titrait Gilles Perrault. Une autre partie de sa famille s’est installée aux Pays-Bas. Bachir s’est marié avec une fille d’ici, et lorsqu’ils ont eu leur premier enfant, ils se sont installés près de l’usine textile ou il travaillait. Dans le village, personne ne leur parlait. Ils n’allaient pas au loto, ne chantaient pas la Marseillaise. Au bout d’un an, ils sont partis et se sont installés dans la bourgade un peu plus loin, plus anonyme, où les relations sociales sont plus cosmopolites que dans une communauté de village. Il bêchait pourtant des jardins, aidait les personnes âgées, et n’était jamais en peine d’un coup de main à donner. Ça ne suffit pas à intégrer quelqu’un qui porte sur son visage la marque de l’étranger. Le goût de l’entre-soi reste le plus fort.

Que te dire d’autre ? Pardon de cette diatribe, clivante elle aussi. Continue de chanter la Marseillaise, si ça te fait plaisir et te permet de te sentir bien avec le maître de chant. Continue d’écrire sur le fantasme des aires d’autoroutes si ton rêve de garçons se trouve là, ou dans des hôtels improbables où l’on joue à se faire peur. L’important, finalement, c’est d’être en accord avec l’image que l’on a de soi : être suffisamment beau pour plaire encore, suffisamment smart pour être remarqué dans les réunions de travail, suffisamment adaptable pour être, en famille, un bon père, un bon mari, un bon gendre. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, toute chose étant égale par ailleurs.

Je te prie d'agréer,  cher Estèf,  l'expression de mes sincères salutations.

Celeos 

Alain Souchon et Laurent Voulzy - Poulailler song

La chanson du poulailler si doux de nos communautés villageoises.

« Le coq du poulailler, l'alouette gauloise... »


Cédric Villani - Les hypersensibles

Un regard sur l'hypersensibilité. L'excellent Cédric Villani aborde ce sujet particulièrement délicat pour des gens qui ne sont pas très ouverts sur ce sujet qui leur est étranger...
Il évoque John Nash que j'ai évoqué récemment à propos du film A beautiful mind (c'était ici : clic)


Giorgis Kristodoulou - Fava

Un garçon plein d'entrain qui passe de la Grèce à l'Espagne...


Australian ballet

Encore de beaux corps en mouvement avec lesquels on a aussi envie de danser. Baissez seulement un petit peu le son...

Jordi Savall - La viole celtique

Jordi Savall, qu'on ne présente plus, s'est d'abord illustré avec le répertoire musical catalan et espagnol notamment dans un disque assez exceptionnel qu'est El Llibre vermell de Montserrat, reprenant les cantiques de la fin du Moyen-âge dédiés à la Vierge, en compagnie de sa formation Hisperion XX. La formation s'est adaptée au temps qui passe en devenant Hisperion XXI. Avec son épouse, Montserrat Figueras et ses deux enfants, Ariana et Ferran (j'ai présenté ce dernier il y a quelques mois dans ce blog, voir ici : clic), le répertoire s'est élargi à une dimension largement universelle, témoignage de la convergence des pratiques musicales à travers toute l'Europe et l'Orient.
Ici, Jordi Savall rend compte de son travail à travers la musique celtique mise en perspective par la viole de gambe. Enjoyez, en ce dimanche pluvieux que jamais !


Pedro Almodóvar - Julieta

Encore du grand, du très bel Almodóvar !



Oui, voilà du bon, de l’excellent Almodóvar ! Je ne vais pas résumer le film, mais il faut donner quelques éléments de son scénario pour comprendre à quel point, comme dans tout le cinéma d’Almodóvar, on arrive à entrer dans le film, à vivre avec Julieta les affres qu’elle traverse.
D’abord il faut dire qu’il s’agit encore d’une histoire d’amour, de cet amour si intense qu’il n’est pas imaginable qu’il puisse durer. Ensuite que l’on parle ici de la vie qui traverse les générations, trois générations. Qu’il s’agit également d’une histoire de femme et de femmes dont la perception du monde est celle de la tragédie. De l’histoire de la transmission impossible entre les générations qui ne comprennent pas ce que les autres vivent. De la place impossible du mâle, symbolisé dès les premières images par des petites statues en bronze patinées façon terre cuite, à la tête cubiste, et au pénis coupé, transformé en un objet utilitaire, une espèce de tube improbable.
En fait tout se passe comme si toute l’intensité du monde se passait en un instant, celui d'un acte d’amour entre un magnifique garçon immensément désirable, et une fille superbe, tout aussi désirable dans sa fragilité, dans son désir de vie et d’aimer le monde. À ses élèves elle raconte l’histoire d’Ulysse qui affronte la mer, et selon le cas, Thalassa ou Pontos, la haute mer ou la mer calme, la mer généreuse qui donne à manger ou la mer qu’il faut affronter dans un combat parfois contre la mort. Ulysse contre l’amour de Calipso choisit la haute mer, quitte à en payer le prix le plus fort. Qui peut devenir Ulysse et attendre autant de temps avant de retrouver sa place originelle où il ne sera plus que celui qui a été Ulysse ?
Et l’amour, quel est-il, celui d’un garçon et d’une fille, d’un homme plus âgé avec une plus jeune fille, celui de deux adolescentes qui se découvrent, découvrent leurs corps respectifs pour devenir des femmes avec la nostalgie d’un homme définitivement perdu en mer ?
Ce sont sans doute toutes ces interrogations qui traversent l’esprit de Julieta dans les différents moments de temporalités qu’elle vit ou revit.
Qui est Julieta, d’ailleurs, la jeune fille qui vit un intense moment d’amour dans un train, la jeune femme qui élève sa fille qui lui échappe peu à peu, ou la femme mûre qui trouve enfin un moment de tendresse dans une relation qui n’est plus l’amour perdu de la jeunesse, mais l’amitié solide de l’amant transformé, devenu le pilier du temps durable de la dernière partie de la vie ?
La signature d’Almodóvar apparaît encore dans le scénario à travers l’artifice de l’instant révélé qui vient apporter une touche finale, permettant la compréhension de la tension dramatique où se jouent les rebondissements dans ces différents instants de temporalité. On retrouve certains moments mélodramatiques de Tout sur ma mère/Todo sobre mi madre ou encore quelques autres moments du cinéma d’Almodóvar, dans lequel, de manière récurrente, apparaît le message d’espérance que constitue le retour à la vie permis par ceux qui ont accepté volontairement leur mort.
Je n’en dis pas davantage, et préfère rester sur cette recension que j’ai choisie un peu hermétique. Ça fera plaisir à un ami blogueur qui se reconnaîtra. Je rajoute simplement que la photographie reste d’une rare qualité, jouant avec les peintres qu’aime Pedro Almodóvar, notamment Julian Freud dont on voit un portrait dans l’appartement qu’habitent Julieta et Lorenzo. Le soin du décor a, en outre, été méticuleusement choisi. Bref, Julieta est un vrai plaisir de cinéma, un cinéma d’orfèvre.

Siné et Genet

 
Maurice Sinet et Jean Genet : une consonance commune de leurs patronymes les a peut-être rapprochés. Il y avait entre eux une différence de dix-huit ans d'âge, mais ils étaient nés tous deux à Paris dans le berceau de la colère. Genet, on sait à peu près pourquoi – mais les raisons en sont nombreuses – et Sinet parce que son père, ouvrier ferronnier, avait été condamné aux travaux forcés.



De la part des deux  jumeaux ainsi que le présente celui qui est devenu Siné, la détestation de l'ordre bourgeois devient une évidence. J'imagine que Siné a dû s'étrangler quand, au lendemain de l'attentat de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, les gens ont applaudi les flics. L'émotion est toujours mauvaise conseillère: dans la logique du contrôle de la société, de ce que Foucault appelait le biopouvoir, flics et terroristes concourent ensemble au même projet sous des formes différentes, mais convergentes. Il faut être perdu définitivement pour la pensée pour que le pauvre Renaud fasse une chanson sur le fait d'embrasser un flic. (Il a pompé Brassens. Enfin, quand je dis pompé, c'est virtuel, car les deux étaient des hétéros, et je dis étaient puisqu'ils sont morts tous les deux). Allez, je vais prêter ma plume un instant à Siné : je le vois bien lui répondant « commence par embrasser un flic si tu veux qu'il t'encule ensuite ! ». Bon, vous le savez, je suis grossier. Mais moins que les gens du pouvoir.

Je vais laisser la parole à Siné à qui ce billet est  principalement consacré. Siné a écrit ses mémoires chez Casterman en 2004 : Ma vie, mon œuvre, mon cul.


« Il n'y avait qu'avec Genet que je me sentais en parfaite osmose. De vrais jumeaux. J'avais fait sa connaissance chez Leonor Fini, qui lui tirait le portrait, et l'enchantement s'était immédiatement installé. Je le trouvais fascinant, éblouissant, méchant, adorable. J’étais sous le charme, séduit. J’avais relu, du coup, tous ses bouquins et lui avais offert modestement les miens. Lorsqu’il me dit avoir adoré mes dessins, s’il n’avait pas été pédé, je l’aurais embrassé !

Il accepta, peu de temps après, de venir dîner à la maison. Il s’étonnait que je sois marié et que j’aie déjà une fille de huit ans.
Il pigeait mal que je puisse être hétéro :
— C’est bizarre, vous n’en avez pas l’air.
De sa part, j’avais pris ça pour compliment. On avait beaucoup parlé de l’Algérie au cours de cette soirée et je me souviens encore d’une de ses remarques lumineuses :

— Vous avez vu comme ils se sont redressés depuis peu ? Ils marchaient la tête enfoncée dans les épaules, toujours un peu voûtés et le regard souvent fuyant. Ils sont devenus beaux et fiers, et vous regardent maintenant droit dans les yeux. C’est la noblesse de la révolution.

[…] Léonor se fâcha avec lui, peu de temps après, lorsqu’elle s’aperçut qu’il avait, après sa dernière séance de pose, subrepticement chouravé une toile.

    Ce salaud n’a aucune morale ! Il vole même ses amis ! Qu’il crève ce stronzo !

Quand je le revis, je ne pus m’empêcher de lui dire :



 —    Vous avez été vache avec elle, si sympa et si généreuse.

    C’est une conne égocentrique… elle m’énerve… et puis elle peint mal… j’ai même eu des difficultés à vendre sa croûte à une vieille tante au goût de chiottes…  Je la croyais mieux cotée !

Je l’admirais tellement que lui pardonnais son implacabilité. Après tout quand on fréquente l’auteur du Journal du voleur, il ne faut pas vous étonner qu’il vous fasse les fouilles. En fait, il ne cessait pas de voler. Ça l’amusait ! De plus il était, depuis quelques années, si bien protégé qu’il ne risquait plus guère d’être à nouveau condamné.

Il m’avait raconté, hilare, l’histoire inouïe qui lui était arrivée un soir de drague au bois de Boulogne où il cherchait une âme sœur à enculer. Dissimulé derrière un buisson, un mec l’avait hélé pour lui demander de l’aide. Deux voyous, par qui il venait de se faire mettre, lui avaient tiré son portefeuille et son froc. Dépouillé et en calfouète, le malheureux était dans la merde. Genet l’avait sorti de cette situation délicate, lui prêtant son imper et le raccompagnant chez lui en taxi. Comme il s’agissait du préfet de police en exercice à l’époque, l’auteur du Miracle de la rose bénéficiait d’une quasi-immunité diplomatique et en profitait sans vergogne.

Je n’avais jusque là, encore jamais entendu d’aventure aussi jubilatoire. »

Compassion

A utiliser matin, midi et soir. Le laboratoire conseille son utilisation en tous lieux et sans modération.



On s'en branle

Une chanson écrite par Patrick Font et Philippe Val (si, si ! ce mec a eu de l'humour autrefois).

Reprise ici de la chanson par le Trio Lucas Rocher. C'est incroyable comme ce garçon (Lucas Rocher) ressemble à Michael Jackson, encore en plus blanc !


Théo et Hugo : interview de Geoffrey Couët et François Nambot

Interview par Nicolas Maille des deux acteurs principaux du film : où l'on découvre deux beaux comédiens, sans doute dans un entretien un peu rapide et à la surface des choses, mais dans cette période où l'homophobie ne lâche pas vraiment (il faut aider Le Refuge, entre autres) montrer une véritable histoire d'amour entre garçons reste encore un pari à soutenir.
Le billet dans lequel j'évoquais la sortie du film est ici : clic









Estate - Bruno Martino

Oui, vivement, l'été, même si tout finira peut-être par l'hiver...
Le très bel Alexandre Styker et Bernardo Casertano sont magnifiques dans cette vidéo, sans doute déjà diffusée, ici ou ailleurs...


Devisons sur le théorbe

Robert de Visée : Passez un excellent dimanche avec ce Prélude en quatre versions !


Le chant de l'anaphore

Après avoir dégainé le 49.3 pour faire passer sans vaseline la loi « travail », il est toujours délicieux de se repasser en boucle cette vaste fumisterie à laquelle certains ont cru, comme on peut croire en une religion. En politique, comme en religion, point de salut. Le système, vicié dès lors qu'il n'est que représentatif, crée une classe de spécialistes dont l'objectif unique est l'obtention du pouvoir. Parce que l'obtention du pouvoir est une sublimation de la sexualité, une autre forme de perversion que Sade avait décrite dans son œuvre et que Pier Paolo a illustrée au cinéma. Cette perversion, comme dans toute forme de totalitarisme, mène au chaos et à la mort. J'avais été repris, voici quelques temps, par certains me disant en substance que j'exagérais lorsque, constatant le choix par un gouvernement de gauche de la déchéance de nationalité, mesure par nature d'extrême droite, je considérais que François Hollande s'était rapproché de l'extrême droite. C'était pourtant un fait objectif. Voici maintenant que les mesures prises avec cet article 49.3 de la Constitution française est une atteinte manifeste au Code du travail et aux avancées sociales telles qu'elles ont été réalisées sous l'action des luttes des classes populaires. S'agit-il d'un nouveau fascisme ? Sans hésiter, oui, très différent de ce qu'il a été sous Mussolini, Hitler, Franco, Salazar, Pétain, et j'en passe. Il s'agit maintenant de se laisser manipuler par un système qui, sous couvert d'une démocratie représentative – la Grèce en est un exemple patent – travaille à détruire tous les acquis sociaux, à déposséder les gens de leurs biens, jusque dans la non garantie de leurs avoirs bancaires. Qui décide de cela ? Personne nommément. C'est un système qui fonctionne en autoallumage, sans autre contrôle que celui de la violence légitime (les institutions régaliennes : justice, police, et, lorsque cela devient plus important, l'armée). N'est-ce pas ironique de constater que les abrutis responsables des attentats, mus par une logique de mort – comme les légions nazies, franquistes et autres, d'ailleurs, les mêmes causes produisant les mêmes effets – ont ainsi fait le jeu de ce pouvoir qui agit contre le peuple ?

Comment résister à cela ? En refusant de faire le jeu des institutions pseudo-démocratiques. Pire que Hollande, ce serait la droite et  l'extrême droite ? C'est déjà le cas : l'extrême droite a fait la preuve qu'elle ne savait gouverner que dans le chaos économique, social et culturel. Nous y sommes déjà en plein. Les jeunes gens qui sont arrivés sur le marché du travail, commençant à cotiser à 27 ou 28 ans doivent déjà renoncer à toute retraite : la durée de cotisation étant de 42 ans au moins, cela fait un départ à la retraite à 70 ans. Autant dire que l'ensemble de la population devra subsister avec des minimas sociaux, sans capacité à se soigner, sans perspective de bénéficier d'une fin de vie décente et heureuse. Est-ce en cela que la gauche présidentielle considère que « ça va mieux » ? L'absence de revenu décent interdira ainsi la possibilité de posséder quelque bien que ce soit, qui servira alors de garantie pour compenser les frais occasionnés par la vieillesse.
Tout ce qui s'est passé en matière d'orientation politique choisie par le parti prétendûment socialiste au pouvoir, on le savait à l'avance. J'ai passé il y a quelques mois sur ce blog la vidéo d'un banquier qui racontait très cyniquement les négociations et la mise au pas de ce que déciderait le Président de la République, que cela soit François Hollande ou tout autre, après l'élection présidentielle de 2012.
Quatre ans ont passé, et tout ce qui était prévu s'est réalisé, continue à se réaliser, de plus maintenant sous l'état « d'urgence » qui permet toutes les turpitudes.

Dans un an auront lieu de nouvelles élections. Je ne suis pas un tribun, mais je sais que mes idées sont partagées par davantage de gens qu'on ne croit et notamment par la jeunesse qui s'est montrée magnifique, bordélique, organisée, sur toutes les places de la république du pays. Il faut maintenant convaincre que l'heure n'est plus à la croyance en une pseudo démocratie représentative, mais qu'il faut pratiquer une démocratie directe. Elle ne sera pas plus bordélique que les lois contradictoires que les professionnels de la politique nous assènent à longueur d'absence parlementaire. Oui, je fais ainsi de l'antiparlementarisme. Que personne n'ose prétendre qu'il me représente : c'est bien ce qu'ont dit les gens de la Place de la République à Paris. D'ores et déjà, il faut refuser d'aller voter pour quiconque ose se présenter à la présidence de la république l'an prochain, et prôner un abstentionnisme total.
J'y reviendrai. En attendant, c'est toujours un plaisir d'écouter le chant de l'anaphore !

 « Le Président doit être à la hauteur de tous ces sujets-là, mais il doit aussi être proche du peuple, être capable de le comprendre... »


Comme Siné, préparez votre mort !

Moi, j'ai juste décidé de ne jamais mourir : il y a encore trop de beaux garçons !
Et si vous allez au Père Lachaise, comme Siné, repérer le futur emplacement, vous pouvez vous arrêter chez Pikilia, un traiteur grec, 1, avenue Gambetta. Qualité garantie !
Nousautres provinciaux, avons d'autres expédients...



mardi 10 mai 2016

Mystères de la fenêtre

... À laquelle se penchent tant de garçons !

Foucault contre lui-même

Un film passionnant de François Caillat qui est un hommage à Michel Foucault en prenant le point de vue paradoxal de l'écriture rebondissant dans sa réflexion pour dépasser les sujets précédents. Une manière d'explorer la pensée de la société dans son évocation des sujets qui en écrivent les contours et les contrastes et notamment dans ses marges. La place du corps dans la société, et de son rapport au pouvoir.
A remarquer : Geoffroy de Lagasnerie, jeune sociologue dont il faudra suivre la carrière, qui tient une place très intéressante aujourd'hui.
Le film est un format documentaire de 54 minutes. A déguster tranquille !





Roma : il fiume Marforio



Statue colossale du fleuve Marforio. Musée du Capitole, Roma

Bach - Geniet

Mon dieu, dit Bach, il est dimanche, écoutons-moi par Rémi Geniet.

Johann Sebastian Bach, Partita n° 4 in D major BWV 828 parties 1 et 2




Tout salaud paiera !

Non, « Tous à l'opéra ! » veux-je dire. Les salauds, on verra plus tard !

Belle opération européenne pour cette 10ème invitation à aller voir de plus près ces lieux splendides que sont les opéras, que l'on croit trop souvent réservés à une élite. Il faut rappeler qu'autrefois, l'opéra était un lieu de fréquentation éminemment populaire. Il existe quelques bonnes pages de sociologie qui permettent de comprendre comment cette culture a été accaparée par les classes les plus aisées dans le même temps que l'on fabriquait à l'usage des « masses » des produits consommables considérés d'accès plus facile du point de vue de la musique. Ne parlons même pas des textes !

Bref, la grande Maria, dans ses années les plus belles : la puissance, la force de cet esprit méditerranéen, qu'une Grecque ne pouvait mieux incarner.
A propos de la Grèce, je fais une parenthèse pour rappeler que le pays est en grève générale pour la troisième fois : les financements européens vont aux banques et non aux besoins des services généraux et de la population, preuve que la baisse du pantalon par Tsipras n'a servi à rien, et ne fait que démontrer, une fois de plus que les élites ont vraiment un souci avec le pouvoir.

Allons à l'Opéra ! Le seul problème, c'est qu'il n'y en a pas partout, mais cela vaut la peine de se déplacer.


Mourir ? Plutôt crever ! Vive Siné !

On y passera tous. C'est la seule certitude. Cette fois c'est Maurice Siné dit Bob Siné, qui a pris son tour. Ce n'est pas triste, et on boira un coup à ta santé Bob, et contre tous les cons qui t'ont emmerdé. Moi je ne t'ai pas connu, mais je me rappelle, gamin, que tu illustrais les catalogues du Livre de Poche, dans lesquels je me plongeais, cochant les bouquins que j'avais prévu d'acheter pour mes prochaines lectures. Tu y mettais déjà tes chats, et un peu plus tard, tu disais la raison pour laquelle tu aimais les chats: parce qu'on n'arrivera jamais à en faire des chats policiers. Il y a encore des tas de raisons d'aimer les chats, mais je n'ai pas besoin d'en parler ici aujourd'hui.


Tu étais un ami de Jean : vous  vous étiez rencontrés en 1957. J'y reviendrai. Je n'ai pas le temps de faire un très long billet : ce jour je bosse. J'y reviendrai donc plus longuement, je me répète. Voici déjà ce dessin que tu avais fait en hommage à Jean Genet qui était alors à Athènes. Tu te foutais de sa gueule. Avec cœur et amitié.

Soigne-toi bien, Bob. Tu vois, on retient ceux qui ont un immense cœur. Je ne citerai pas aujourd'hui le nom de ce misérable qui t'avait accusé d'infamie. Ne bouge pas. Je reviens bientôt.
Crédit Baumann, via Siné Mensuel

Βασίλης Τσιτσάνης - Vassílis Tsitsánis

Vassílis Tsitsánis, l'un des plus grands musiciens du rébétiko, dont on ne peut entendre une des prestations sans être pris d'un sentiment de nostalgie, celui dont les Grecs sont porteurs, sachant que le sentiment d'exil est, dans la culture grecque, toujours présent. A eux, qui savent accueillir.

La vidéo est un petit récital d''environ quarante minutes. A apprécier au lit, et là ou on veut.
Passez une bonne journée fériée. 


Une aire d'autoroute

Hier, j'ai téléphoné à Marie. Avant que l'heure ne soit trop tardive, je me suis arrêté sur cette aire d'autoroute où je sais que des garçons se rencontrent près des pissotières. Le lieu est plutôt sordide et je n'y ai jamais croisé un garçon dont le visage, à défaut du reste, m'ait pu paraître sympathique. Je regarde parfois, curieux, les va-et-vient entre les véhicules qui ne laissent pas beaucoup de doute sur les intentions. Sur les murs des pissotières, on lit des numéros de téléphone, des maximes, des propositions de plans. Le tout fait davantage pitié qu'envie. On parlait autrefois de la misère sexuelle, sans trop bien définir ce que ça pouvait être : l'envie biologique d'avoir une relation suivie d'orgasme, de sentir depuis le tréfonds de son ventre le jaillissement de ce liquide qui témoigne que quelque chose s'est bien passé entre deux garçons ? Est-ce que cela suffit à donner du sens à ce manège, comme dans Querelle de Brest Genet organisait quelque chose qui ressemblait à une sorte de chorégraphie : des garçons arrivent, repartent, interprètent à leur manière l'échelle de Jacob, faisant de ce mouvement la justification même de la recherche des garçons, recherche infinie qui ne sera, de toute manière, jamais satisfaite ? Est-ce, un instant seulement, avoir le sentiment d'exister comme dans la conscience de sa propre mort, qui alors justifie tout ce qui peut se passer l'instant d'auparavant ? Est-ce cela que les garçons fous de Bruxelles et du Bataclan ont ressenti, est-ce de la même nature ? Je suis enclin à le croire, car je crois savoir que ce qui fait venir les garçons, là, près de cette pissotière qui ressemble, en fin de compte à une scène de théâtre, est cette façon de faire, où l'on est serré d'inquiétude, où l'adrénaline s'expulse des reins à une vitesse de supersonique pour faire face à ce moment terrible, où les premières paroles vont s'échanger, d'une banalité déconcertante avant que les premiers gestes ne se dévoilent. Il y aura peu de paroles, d'ailleurs. Il ne s'agit pas de parler mais d'exister d'abord dans des relations qui n'ont rien de la relation de tendresse. Il s'agit, au contraire, d'affirmer une mâlitude dont le plaisir ne réside pas dans la recherche d'une relation harmonieuse,  mais,  comme dans un combat sans enjeu apparent, gagner contre la vie une sorte de course,  acquérir les points qui permettent, le moment venu, de croire qu'on a gagné quelque chose d'une contrepartie des déficits de l'enfance.  Peut-être me trompé-je. Il importe en tout cas,  de ne rien retenir longtemps des garçons de passage.  Y a-t-il autre chose à comprendre de la course de Dom Giovanni,  course éperdue jusqu'à sa fin tragique ?


Là, ce soir,  je ne vois qu'un garçon, ni laid ni beau, mince,  qui sort de sa voiture à côté de laquelle je suis garé. Son visage est mat,  ses cheveux sont courts et il porte trois jours de barbe.  Il est vêtu simplement d'un tee-shirt brun et d'un jean ordinaire. Sous son tee-shirt ressort le relief de son ventre qui détonne avec sa silhouette fine. Il fume devant sa voiture. Il regarde à gauche,  à droite,  comme s'il attendait quelqu'un qui de toute façon ne viendra pas. Je suis dans ma voiture et parle au téléphone avec Marie,  ce que je n'ai pas fait depuis de trop nombreux mois,  presque depuis qu'Y. est parti,  depuis ce moment terrible où le monde a semblé s'écrouler, où le temps à explosé comme une bombe d'Hiroshima.  Marie me raconte sa vie quotidienne, désormais seule, ponctuée par la visite des plus jeunes qui aujourd'hui se battent pour exister malgré le monde. Elle me parle de ses travaux d'écriture qui lui donnent la raison pour laquelle elle a mené avec Y. une course contre la mort. C'est Marie qui a gagné. Quand Y. est parti, il y a eu le constat de ce renoncement, l'idée que la force des mots avait lâché, comme une lanière de cuir qui cède sous l'usure. Il m'avait semblé en être le témoin discret, ne devant surtout rien dire.  En Méditerranée,  les femmes ont le dernier mot, sans quoi l'ordre du monde peut en être changé,  ce dont les dieux ne veulent à aucun prix. Marie a une petite voix, mais très ferme, et pleine de toutes les choses dont on a appris à pleurer et à rire.  Maintenant il n'est plus besoin de pleurer ni de rire non plus.  Le temps est venu,  après celui de la patience, de regarder les plus jeunes affronter le monde, de leur apporter seulement un peu de présence, la même qu'ils garderont après le départ,  une présence faite de sourire simplement. Le reste est indicible.
J'embrasse Marie au téléphone. Je sais que je la reverrai encore. Ce soir, j'étais auprès d'elle, regardant à travers mon pare-brise poussiéreux ce garçon impatient dont je ne saurai rien sinon qu'il n'avait pas rencontré mon désir et peut-être même celui d'aucun garçon égaré sur cette aire d'autoroute.


mardi 3 mai 2016

Erect on a thoroughbred


...And you always imagined him on a thoroughbred in someone's private forest... *


* Vers emprunté à un poème de Leonard Cohen.

Les Gauloises bleues

J'ai parfois la nostalgie des cigarettes, non de la fumée, mais des cérémoniels qui l'accompagnent : ouvrir le paquet, saisir la cigarette, l'humer avant de l'allumer, apprécier si le tabac paraît suffisamment sec, passer mes doigts sur le paquet et y laisser des traces de sébum qui le lustrent. Pas très longtemps, une journée tout au plus, le temps que dure un paquet de cigarettes. Puis, avec le café servi dans la tasse, au bistrot, pendant que d'autres scènes se passent, apprécier d'être un simple spectateur des autres rituels.
Prenant mon briquet, je fais claquer le l'opercule qui bascule d'un coup sec. La flamme en jaillit et, inclinant légèrement la tête, la cigarette maintenue serrée entre les lèvres, j'approche la flamme du briquet et aspire pour allumer la cigarette. Cette première goulée me pénètre dans les poumons et je la ressens comme une légère ivresse qui fait à peine tourner la tête. Le jeu consiste ensuite à triturer la cigarette entre les doigts qui sont jaunis, à l'approcher des lèvres, à rejeter la fumée comme si finalement, elle se substituait aux caresses de celui avec qui j'ai partagé quelquefois le goût de ce tabac.



Jean Genet - Hors série

Je voudrais aujourd'hui simplement signaler l'excellent hors-série du journal Le Monde consacré à Jean Genet comprenant de nombreux témoignages et des analyses, certes rapides, mais qui me paraissent justes, de son œuvre. Le titre n'est pas très original, mais après tout, pourquoi pas ?
« Jean Genet. Un écrivain sous haute surveillance » (Haute surveillance est le titre de l'une de ses pièces écrite en 1944).


On y trouve divers témoignages, certains déjà publiés, mais c'est bien de les avoir réunis ici.
Un portrait, tout d'abord, de bonne facture par René de Ceccaty, des textes choisis, parmi les plus beaux est-on tenté de dire par expression conventionnelle, quand il n'existe pas une phrase de Genet qui ne soit consacrée à la beauté  ; un entretien avec Albert Dichy, qui reste sans doute l'un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre et de la biographie de Genet. Et beaucoup de choses qui alimentent ce qu'on sait et qu'on ne sait pas de lui. On y fait même parler des imbéciles, ça ne manque pas.


Achetez-le, ça vous fera une lecture de chevet pendant quelques jours. Et de quoi rester bouleversé par son rapport au monde qui nous interroge sur le nôtre.

Je ne me dispenserai pas de ce que j'ai prévu, lorsque j'aurai davantage de disponibilités : reparler du Funambule, de la relation de Jean Genet avec Alberto Giacometti, ainsi que la très énervante polémique sur le prétendu philonazisme de Genet, que Marie, dans l'un de ses commentaires avait évoqué ici.

 Jean Genet - L'échappée belle
Enfin, il me faut signaler l'exposition que consacre le MuCEM, Musée des Civilisations Européennes et Méditerranéennes, aux rapports entre Jean Genet et la Méditerranée, qui fut son havre de pérégrination, entre l'Espagne, l'Italie, l'Algérie, la Grèce, la Palestine, et jusqu'au Maroc, où l'ancien cimetière espagnol de Larache a accueilli son corps.
L'exposition, démarrée le 15 avril, jour anniversaire de sa mort, s'achève le 18 juillet prochain. 

« Mêlant manuscrits, lettres, entretiens filmés et oeuvres d'art (dont un portrait signé Giacometti), le parcours de l'exposition suit le parcours de l'oeuvre et montre comment la Méditerranée fut, pour l'écrivain, une " échappée belle ". »

Là non plus, le titre n'apparaît pas comme très heureux et sans doute parce que Jean Genet ne s'est jamais vraiment échappé des combats qu'il a menés, même dans les lieux ou notre monde pouvait lui apparaître plus lointain...