L'auberge des orphelins

samedi 21 mai 2016

Pedro Almodóvar - Julieta

Encore du grand, du très bel Almodóvar !



Oui, voilà du bon, de l’excellent Almodóvar ! Je ne vais pas résumer le film, mais il faut donner quelques éléments de son scénario pour comprendre à quel point, comme dans tout le cinéma d’Almodóvar, on arrive à entrer dans le film, à vivre avec Julieta les affres qu’elle traverse.
D’abord il faut dire qu’il s’agit encore d’une histoire d’amour, de cet amour si intense qu’il n’est pas imaginable qu’il puisse durer. Ensuite que l’on parle ici de la vie qui traverse les générations, trois générations. Qu’il s’agit également d’une histoire de femme et de femmes dont la perception du monde est celle de la tragédie. De l’histoire de la transmission impossible entre les générations qui ne comprennent pas ce que les autres vivent. De la place impossible du mâle, symbolisé dès les premières images par des petites statues en bronze patinées façon terre cuite, à la tête cubiste, et au pénis coupé, transformé en un objet utilitaire, une espèce de tube improbable.
En fait tout se passe comme si toute l’intensité du monde se passait en un instant, celui d'un acte d’amour entre un magnifique garçon immensément désirable, et une fille superbe, tout aussi désirable dans sa fragilité, dans son désir de vie et d’aimer le monde. À ses élèves elle raconte l’histoire d’Ulysse qui affronte la mer, et selon le cas, Thalassa ou Pontos, la haute mer ou la mer calme, la mer généreuse qui donne à manger ou la mer qu’il faut affronter dans un combat parfois contre la mort. Ulysse contre l’amour de Calipso choisit la haute mer, quitte à en payer le prix le plus fort. Qui peut devenir Ulysse et attendre autant de temps avant de retrouver sa place originelle où il ne sera plus que celui qui a été Ulysse ?
Et l’amour, quel est-il, celui d’un garçon et d’une fille, d’un homme plus âgé avec une plus jeune fille, celui de deux adolescentes qui se découvrent, découvrent leurs corps respectifs pour devenir des femmes avec la nostalgie d’un homme définitivement perdu en mer ?
Ce sont sans doute toutes ces interrogations qui traversent l’esprit de Julieta dans les différents moments de temporalités qu’elle vit ou revit.
Qui est Julieta, d’ailleurs, la jeune fille qui vit un intense moment d’amour dans un train, la jeune femme qui élève sa fille qui lui échappe peu à peu, ou la femme mûre qui trouve enfin un moment de tendresse dans une relation qui n’est plus l’amour perdu de la jeunesse, mais l’amitié solide de l’amant transformé, devenu le pilier du temps durable de la dernière partie de la vie ?
La signature d’Almodóvar apparaît encore dans le scénario à travers l’artifice de l’instant révélé qui vient apporter une touche finale, permettant la compréhension de la tension dramatique où se jouent les rebondissements dans ces différents instants de temporalité. On retrouve certains moments mélodramatiques de Tout sur ma mère/Todo sobre mi madre ou encore quelques autres moments du cinéma d’Almodóvar, dans lequel, de manière récurrente, apparaît le message d’espérance que constitue le retour à la vie permis par ceux qui ont accepté volontairement leur mort.
Je n’en dis pas davantage, et préfère rester sur cette recension que j’ai choisie un peu hermétique. Ça fera plaisir à un ami blogueur qui se reconnaîtra. Je rajoute simplement que la photographie reste d’une rare qualité, jouant avec les peintres qu’aime Pedro Almodóvar, notamment Julian Freud dont on voit un portrait dans l’appartement qu’habitent Julieta et Lorenzo. Le soin du décor a, en outre, été méticuleusement choisi. Bref, Julieta est un vrai plaisir de cinéma, un cinéma d’orfèvre.

12 commentaires:

  1. Merci de n'avoir pas plus dévoilé, je cours le voir !

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  2. Immanquable.
    À mon programme, évidemment.

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  3. Depuis Matador , je pense n'avoir manqué aucun Aldomovar, mais plus en salle obscure car endormissement incontrôlable...

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  4. Celeos est allé au cinéma : un évènement.

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  5. Vous vous étiez endormi également Silvano ;-) ?
    Même en salle obscure, Julieta ne vous endomira pas, Joseph !

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  6. Malheureusement il faut attendre encore huit jours pour l'avoir en Italie mais il est certain que je m'y précipiterai. Votre chronique donne encore plus envie de le voir.

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  7. Comme tu étais peut-etre au vernissage dont je parlais dans mon dernier billet, nous étions peut-etre dans la même salle, ce vendredi soir, dans la ville que tu sais...
    Et si j'ai bien aimé Julieta, j'ai été un peu déçu. Je n'ai pas retrouvé ces pirouettes du destin où nous emmène toujours Pedro. C'est du Almodovar, sans conteste: j'adore la première image, sur ce tissus rouge; j'adore ce cerf perdu vu du train, j'adore tout cet ensemble, sa capacité à magnifier et si bien rendre hommage aux femmes qu'il filme! mais que te dire, je suis resté sur ma faim, en dépit de toutes les réflexions que ce film peut inspirer, et qui me poursuit encore. ce dernier point me fait dire que rien que pour ça, cela vaut le coup...Mais je n'y ai pas pris autant de plaisir que dans d'autres de ces films...

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  8. peut-etre aussi une narration très classique....et une très belle musique, mais trop présente....

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  9. Il en faut pour tous les goûts ; je trouve la fin pleine de possibles et de prise de conscience du recul qu'on peut prendre sur les choses. Et j'ai trouvé la narration très almodovarienne ! Non je ne l'ai pas vu dans la ville que tu sais !

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  10. J'en sors : du Pedro pur-jus, donc un vrai bonheur. Même si j'apprécie souvent ce genre de fin, je trouve qu'il tire un peu vite à la ligne. Mais c'est peut-être parce que je voulais rester un peu plus dans son univers. Ne boudons pas : c'est du beau, du grand cinéma.

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  11. Oui, on est dedans, et c'est un arrachement que d'en sortir.

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !