Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 3 avril 2018

Colle mi te mène par le bout du nez

Réponse à JPB

A réitérer que j'ai vu le film à partir d'un filtre « gauchiste », vous devenez désobligeant. Vous m'incitez à croire que vous avez là un problème car vous introduisez un élément politique là où je n'ai utilisé que des éléments de sociologie: peut-on faire autrement puisque la culture que propose Guadagnino est un ensemble caricatural de pratiques culturelles qui constituent un fond de décor, mais le film s'abstient totalement - à moins que des passages m'aient échappé, mais je n'ai pas dormi ! - d'introduire des éléments de débat culturels et intellectuels alors qu'ils sont induits, mais débouchent sur une impasse ! « Vous auriez souhaité, me dites-vous, une œuvre de combat façon Almodóvar ou Pasolini, là où il nous est proposé un superbe conte dans une Italie de rêve ».



D'abord je ne souhaite rien de particulier, que du bon cinéma.
Mais où avez-vous vu que le cinéma d'Almodóvar était un cinéma de combat, ou même celui de Pasolini ? Concevez que le cinéma n'est pas forcément un outil militant, ce en quoi il se fourvoie souvent lorsqu'il cherche à l'être. Le cinéma de Pasolini, de Fellini (dont j'ai évoqué les Vitelloni) est d'abord une recherche d'esthétique narrative, forcément porteuse d'un contenu et d'une critique sociale dans le cas de Pasolini, sociétale dans celui de Fellini, d'un imaginaire baroque dans la Movida que représente Almodóvar, d'une esthétique implacable dans celui de Sorrentino qui est en même temps celui d'une grande férocité; reprenez le cinéma de la nouvelle vague française, qui est un regard éminemment critique; celui plus classique de Clouzot, etc. A chaque fois, les qualités des réalisateurs servent un propos et un geste esthétique qui est un miroir du temps. Disant cela, je conçois que Call me... répond à un besoin éminemment puissant dans la sphère gay, dont les angoisses existentielles sont loin d'être aplanies. Comme vous le dites si bien, il s'agit d'un conte qui utilise des figures répondant à ce qu'on appelle en sociologie des « sociotypes ». Là où le cinéma normé hétérosexuel aurait fait intervenir une petite princesse et un beau chevalier, le scénario opère une transposition. Dans la combinatoire des éléments du scénario, vous pouvez à l'envi modifier les accessoires qui sont tous porteurs d'un signifié, qui sont des marqueurs sociaux. Or ce n'est pas un hasard, justement, si depuis des lustres  le monde gay s'imagine dans des paysages de la région des lacs de l'Italie du Nord, si un arrière plan d'humanités classiques vient conforter cette vision pour le moins discutable, construction très marquée par un monde anglo-saxon : les photographies de von Gloeden à Taormina, dans une Sicile qu’on peut également considérer comme une Italie « de rêve » ; si von Gloeden et ses suiveurs s’intéressent aux jeunes éphèbes italiens, rappelant une Antiquité édénique perdue, le roman de Thomas Mann fait de Venise un lieu non de rêve pour Aschenbach, mais c’est bien ainsi que le lecteur reçoit le roman puisque Mann y établit le lieu d’une rencontre érotique impossible entre un écrivain ennobli sur le tard et un adolescent « préviril », dans laquelle la mort est la réelle rencontre puisque l’autre rencontre, fantasmée, érotique à défaut d’être physique est autant inacceptable qu’impossible. Tous les ingrédients sont là : une Italie dans laquelle les fantasmes sont permis, sauf la réalisation de l’amour physique.



Call me by your name : un film qui a la pêche !

Le film « Call me… » sublime ces fantasmes, ce qui fait, à mon sens, son succès. L’écrivain est transposé en la figure du professeur Perlman. Mais ce n’est pas lui qui porte la charge érotique, celle de l’éraste, mais l’étudiant, son disciple, qui est son double physique, celui qui a vingt ans de moins. L’éromène, c’est Elio, son fils. Ce que permet la période de réalisation de ce film, c’est la réalisation de l’amour physique entre l’éraste et l’éromène. La scène, qui reste d’une relative pudeur, aurait été impossible il y a quelques années auparavant dans une sortie grand public. Et les éléments de la « grande culture », celle qui s’oppose de manière irréductible à la culture « de masse » sont ainsi forcément dans cet arrière plan comme justificatif de ce référentiel romanesque, mais que Guadagnino, par incapacité intellectuelle, ne sait pas utiliser : toute histoire, qu’on le veuille ou non, est une recomposition d’une histoire précédente, parce qu’on n’invente rien depuis toujours. Or ce que ce décor culturel posé par Guadagnino est ses accessoiristes ne dit pas, c’est à quelles histoires antérieures se rattache l’amour d’Elio et d’Oliver. Celle d’Achille et de Patrocle ? Mais il n’y a pas de guerre de Troie. Celle de Roméo et Juliette, que Shakespeare a eu la bonne idée de situer dans cette même Italie du Nord ? Mais il n’y a pas l’obstacle de familles ennemies. Simplement les engagements amoureux antérieurs d’Oliver, et le fait que, en 1983, un peu avant qu’interviennent les années sida, dans des modèles normés par une représentation conservatrice de la culture, une aventure de deux adolescents n’a pas plus de consistance que les histoires de jeunes garçons du XIXe s., qu’on emmenait au bordel et qui tombaient amoureux de la belle dame avec laquelle ils avaient joui pour la première fois.
Où avez-vous vu dans cette histoire un conte dans un pays de rêve ? 

« Ils vécurent très heureux et eurent beaucoup de cachets de trithérapie… »

A voir un film de Guadagnino, on ne peut dire qu'une chose : attention, la colle mouille !

PS 1 : Si vous ne connaissez pas mon blog, cher JPB, n’allez pas plus avant. Vous risqueriez d’être contrarié.

PS 2 : Sans déconner, JPB, ce n'est pas moi qui contesterais l'amour des livres et du savoir partagé, mais regardez mieux la manière vraiment, vraiment ostentatoire avec laquelle l'accessoiriste a disposé les bouquins, mieux que le Petit Poucet ne le faisait de petits cailloux, puisque vous aimez les contes.

Bien à vous,

Celeos

9 commentaires:

Silvano a dit…

La villa du film est à vendre (1.7 M tout de même). Je propose que nous nous cotisions tous et y invitions cet été Tadzio, Elio, Alec Scudder, Jack et Ennis. Je jouerai du Bach et on chantera des chansons de Sufjan Stevens en mangeant des pêches.

Celeos a dit…

Chiche, Silvano. Pour financer je veux bien vendre mon corps aux plus offrants. Elle sera vite payée !

Anonyme a dit…

Vous pouvez, Celeos, être rassuré sur l’audience de ce film puisqu’au moins il ne sera pas projeté en Chine.
Le roman-photo de Guadagnino que vous jugez trop conventionnel pour votre goût et donc sans intérêt sociologique est encore trop subversif pour le pouvoir chinois. Ce n’est donc pas gagné de ce côté de notre planète.
Pour ma part je pense sincèrement que cette « niaiserie roublarde » est une modeste contribution à la normalisation et l’apaisement des relations humaines. Le film commence déjà, hélas, à s’éclipser des écrans parisiens.
En ne se plaçant que du seul point de vue cinématographique, on ne peut pas vous donner tort. « La Mort à Venise » est bien sûr d’une tout autre envergure, mais assez déprimante puisque tragique.
Il faut admettre qu’on a aussi besoin dans l’existence de spectacles moins poignants. Le récit de l’expérience d’Elio n’en reste pas moins unique, pour lui, et nous épargne un film à péplum s’il s’agissait d’Achille et Patrocle.
Il faut que vos lecteurs sachent que le roman d’André Aciman prolonge l’existence de nos deux personnages sans trithérapie mais non sans nostalgie pour Elio.
Cordialement
JPB

P.S. Pour en revenir aux livres il me semble que vos reproches à l’accessoiriste ne sont visibles que dans les multiples photographies publiées sur internet (ça doit avoir un nom que j’ignore) où la villa italienne, mise en vente semble-t-il, est disséquées sous tous ses angles y compris les plafonds que vous estimez « rénovés au XIX° siècle par une main d’œuvre facilement exploitable ».

pepito a dit…

mais arrêtez avec vos arguments de cours de récréation !
Céléos, que tu aies une lecture gauchp-pédé ne fait hélas aucun doute... tu ramènes tout à ça... alors que, je me répète, ça n'a rien à voir...
Pasolini et Fellini ? la belle affaire... à quoi crois-tu que ça parle encore en 2018 ? et je suis désolé... tout Pasolini et Fellini qu'ils furent, ils ne font hélas pas partie de la culture cinéphilique du nouveau siècle... ils ne furent hélas que des stylistes... Comme Almodovar aujourd'hui, d'ailleurs...
c'est hautement regrettable mais c'est fini... le style est mort... qui va voir Rivette depuis 20 ans ? sincèrement, qui a vu les derniers Godard ?
Guadagnino revient à l'essentiel du cinéma d'auteur des années 40/50... petit style mais réseau en béton pour produire des films indestructibles...
que tu le veuilles ou non...
la morale est morte... le style est mort... même la durée est morte...
ce n'est pas un nivellement par le bas, juste une évolution logique...
il y aura toujours des franc-tireurs (comme le furent Bresson ou Rohmer) mais qui va voir leurs films (à part moi) ?
allez, j'en ai marre
je vais pisser
a+

Celeos a dit…

Tu as raison, Pépito, rien n'a à voir avec rien, et ça bande mou.
En tout cas, à ta santé dans les bras de Dionysos, il n'y a que là que l'on se régénère !

arthur a dit…

Moi j ai bien aimé ce film, comme une belle histoire sentimentale , d initiation un peu, où tout est ( trop) beau , meis j y ai pris plaisir . Après, je pense que cela aurait pu avoir un peu plus d aspérités et d éléments moins consensuels pour nos consciences européennes, qui du coup auraient eu le même effet en Chine( interdiction apparemment) , mais plus de débats sous nos cieux ! Merci Celeos pour ce beau débat !

Celeos a dit…

Just the Last one.
Bises, Arthur.

joseph a dit…

et André Téchiné, on l'oublie ?Sans rire, comme j'aime votre langue quand elle se pare d'autant de finesse , enfin celle de Celeos , je veux dire ! mais mon opinion est biaisée puisque je suis un admirateur (quoique fan se rapproche de faon , n'est- ce pas ma biche !)

Celeos a dit…

Non, on n'oublie surtout pas Téchiné ! Mais on ne peut citer tout le monde et il y a beaucoup de gens de grande qualité.
Je rougis, Joseph, et suis flatté de votre fanitude...