Depuis ces Cévennes où mes pensées vont si souvent en Grèce, le jeu des conventions fait que je dois projeter sur les mois qui viennent ce que pourrait être une bonne année. L'état d'incertitude de ce que sont les choses me met à l'écart de toute euphorie que le changement d'année pourrait susciter. Rationaliste, je sais que ce changement n'est qu'une progression du calendrier et que passé un certain âge, on ne croit plus beaucoup aux résolutions que l'on peut prendre en début d'année comme on peut le faire une fois dessoûlé après une beuverie. Ce ne sont pas, par ailleurs, les vœux d'un président que je n'ai pas élu - je n'en aurais choisi aucun de ce système de fausse démocratie - qui pourraient me faire adhérer à cette vision d'un monde plus archaïque que jamais, paternaliste et patriarcal.
Néanmoins il me semble que les jeunes générations sont aujourd'hui au fait des enjeux qui mènent notre monde. À elles je souhaite le courage, la persévérance, l'envie de curiosité, et par dessus tout le sens critique sans lequel toute entreprise humaine est vouée à l'échec. C'est sans doute à ce prix que la nécessité de vivre ensemble peut être envisagée, non parce que les hommes seraient «bons» par nature, mais parce que la condition qu'il leur est faite d'avoir cette emprise sur le monde et sur l'environnement les condamne à une attitude de responsabilité sur leur semblables et sur leurs conditions de vie.
En ce qui me concerne, ma propre vie arrive à un tournant. J'en suis arrivé à une période où mon esprit est davantage préoccupé par la danse des souvenirs que par les hypothèses que le futur pourrait échafauder. Ce blog a été écrit pendant un peu plus de trois ans au présent. Je ne souhaite pas en faire un carnet de mémoires. Il fut également un lieu d'expression de mes énervements contre les manifestations de la doxa qui mène le temps, sans beaucoup d'illusions sur l'impact qu'un blog à connotation gaie peut avoir sur les choses. Mes énervements sont souvent dirigés, par ailleurs, vers ce monde gay, narcissique, autocentré, qui n'a jamais réussi, au prétexte d'une volonté non explicite de pénétrer tous les milieux, à prendre à bras le corps l'héritage du FHAR et faire de la différence homosexuelle l'un des outils du changement de la vie. «Changer la vie» avait écrit le grand Arthur, et non changer de vie, ce que les pseudo socialistes, lèche-bottes mitterrandiens devenus macronistes — la filiation crève les yeux —, avaient mis en pratique.
Concernant l'intégration, les «gays» l'ont plutôt réussie, et dans tous les milieux, sauf dans les classes les plus populaires, les plus conservatrices, peut-être, en matière de perception des normes dont les apparences de la virilité restent les plus fortes. Tous les milieux, celui du patronat, de la classe politique: on y trouve Guillaume Pépy, patron de la SNCF, peu à l'écoute des conditions sociales des cheminots, pas plus que de la mission de service public des transports en commun; de jeunes communistes comme Ian Brossat, l'ancien président de l'UNEF Bruno Julliard, qui auraient davantage ma sympathie si leur action politique était plus lisible et moins fondue dans une soupe dont on ne perçoit aucune espèce de percée imaginative, trop habitués, en bons apparatchiks, à servir le pouvoir dont ils sont une sorte de caution. Je ne parle pas de ceux qui ont rejoint l'extrême droite. Dans l'histoire de l'homosexualité, il y a toujours eu une sorte de fascination — c'est le terme en effet — pour une nostalgie du phallus appliquée à l'autorité absolue, jusque dans la révération de la mort. Celle des autres de préférence. Ainsi quelques « identitaires » imaginent-ils que le goût de la bite est meilleur lorsque cette dernière est blanche. Sans doute Pier Paolo avait-il raison, dans Saló, d’imaginer que la perversion décrite par Sade, dont la nature est de pousser à son extrême la caricature du pouvoir, ne pourrait que davantage s’installer dans les esprits dérangés par les usages du capitalisme marchand. Peut-être commence-t-on à en percevoir l’une des fins. Elle laissera cependant notre monde exsangue, dont l’amour des garçons pourra bien être finalement banni, ou relégué comme il le fut pendant des siècles dans les cabinets noirs et feutrés d’une bourgeoisie qui ne laissera, comme elle le fit si longtemps, rien apparaître. Encore une fois dans le déficit de l’image paternelle, dans la recherche éperdue d’un double évanescent, dans la fuite désespérée qu’un garçon mènera contre le monde où il a eu le malheur de naître, l’amour éblouissant des garçons entre eux ne pourra que créer que l’illusion d’un instant, dans la tornade du temps. Ainsi vont les choses.
Je prévois de mettre fin alors à ce blog. Je n’ai pas totalement mis de touche de fin à quelques textes que je publierai dans les semaines qui viennent. J’ai défini, au départ de ce blog, Véhèmes comme une « décyclopédie », c'est-à-dire un cycle non totalement fermé, et en désordre, des sujets qui constituent, de mon point de vue, le questionnement utile sur le monde. J’ai souvent donné quelques moments d’intimité ; la poésie a pris dans les billets un peu de place — insuffisamment, j’en conviens — et j’ai toujours eu à l’esprit la présence de Clément, ce garçon que je n’ai connu que par sa mort, mais dont l’histoire et le visage me sont apparus lumineux. Je revendique cet élan romantique. J’aurais aimé avoir le lyrisme de Jean Genet, autre figure tutélaire qui hante souvent mes pensées, pour dire ce que j’ai perçu de Clément, de sa capacité à mordre la vie bec et ongles, de son goût pour un monde libéré de ses hypocrisies et de ses archaïsmes. Au moment de fermer ce blog mes pensées iront vers eux.
Je ne terminerai pas ce billet sans souhaiter aux lecteurs de Véhèmes le meilleur pour les mois qui viennent et sans leur dire que leur présence, aux travers des commentaires, ou des messages d’amitié qui me sont parvenus, a été et est encore le témoignage des émotions partagées depuis ces trois ans. À mes ami(e)s lectrices et lecteurs, à mes ami(e)s blogueuses et blogueurs je souhaite une année que la sérénité puisse combler et que l’affection de leurs proches, compagnons, et amies viennent conforter.
Et pour démarrer cette année en image, cette pépite me semble une belle allégorie : il s’agit du premier Tarzan, le personnage créé par Edgar Rice Burroughs, interprété par Gordon Griffith dont on sait assez peu de choses. Né en 1907 décédé en 1958, il apparaît ainsi nu, dans cette vision d’un paradis naturel, entouré de singes, comme la vision d’un homme nouveau. Ce premier film sort en 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, et la rupture de la vie de cet enfant d’avec l’ancien monde pour une réconciliation avec la nature est, à l’époque, très dans l’air du temps. Apprécions-le pour ce qu’il est alors, un clin d’œil, et, pourquoi pas, cette allégorie sur le monde qui vient !
"Il y a beaucoup de souffrance dans le monde et il y a, en quantité égale, beaucoup d'enfance. Ces deux matières n'en font qu'une seule.L'esprit d'enfance est insupportable au monde. L'enfance est ce que le monde abandonne pour continuer d'être monde. Ce qu'on abandonne ne meurt pas mais va, errant, sans plus connaître de repos. La douleur l'accompagne. A cette enfance insomniaque, Mozart et la pluie parlent très bien, comme il faut, à voix proche et basse, à voix de petite mère."
RépondreSupprimerCe texte est de Christian Bobin. J'ai pensé que vous devriez remplacer la pluie par le soleil, en amoureux de la Grèce que vous êtes.
Alors pour le temps qui vous est offert, je vous souhaite du soleil et Mozart et le chuchotement de leur voix.
Marie
Merci pour ce beau texte, Marie. Christian Bobin à raison: le monde a déclaré la guerre à l'enfance.
RépondreSupprimerJe suis vos conseils. Les fenêtres de ma maison sont grand ouvertes au soleil.
Une chose m'échappe. Pourquoi cette idée que les gays auraient pu d'une certaine manière inventer un autre monde ? Ils sont hommes avant toute chose, avant d'être minorité. Or l'Histoire qui ne se répète pas mais toujours bégaie, nous montre que les minorités une fois au pouvoir ou glissées dans ses rouages n'ont de cesse de révéler le pire de leur "humanité".
RépondreSupprimerQue l'année soit belle malgré tout...
Allégorie ma non troppo ! vous avez réveillé le musicien un rien empâté par une inactivité un tantinet forcée par une épaule récalcitrante ou le manque d'épaule sur laquelle s'appuyer! et si on souhaitait à chacun de trouver l'épaule secourable au moment où le besoin s'en fait le plus sentir , le monde ne tournerait il pas mieux ? merci pour vos écrits qui peuvent engendrer la controverse à bon escient, mais toujours respectueux , enfin c'est juste mon opinion de bientôt vieillard , mais y a t il une honte à ce mot qu'on ne veuille plus le prononcer?
RépondreSupprimerκαλη χρονια!! bonne année à toi!!
RépondreSupprimeret non n'arrete pas ce blog!! ralentis le si tu veux, écris moins mais n'arrêté pas!!! Je ne suis pas toujours d'accord avec toi, mais ce que tu écris est toujours bien senti, réfléchi! et tu apportes des pépites!!
donc que 2018 te soit profitable, et permette une belle récolte de beaux posts!!
Καλή χρονιά Arthur ! Tu sais que l'envie d'arrêter me tenaille depuis longtemps. J'ai aujourd'hui envie de réorganiser ma vie dans de nouvelles perspectives où la Grèce est toujours plus présente. Un blog devient alors compliqué à gérer. Je ne sais pas vraiment n'avoir que des publications de loin en loin. Et le lectorat me paraît si vaporeux !
RépondreSupprimerJe te fais des bises. Raconte-nous également plus souvent tes escapades. Ça me dispense de raconter les miennes !