Comme il est curieux de constater que le centenaire de la Révolution d'octobre en Russie passe plutôt inaperçu ! C'est un landau qui me l'a rappelé l'autre jour, dans une salle d'attente où un jeune couple était présent. Le papa, garçon moderne, faisait boire son bébé avec un biberon. Devant lui se tenait le landau du bébé, et je me faisais la réflexion que les enfants occidentaux sont magnifiquement pourvus d'un incroyable confort ; on ne saurait laisser sa progéniture sans la doter de ce qu'on fait de mieux en matière de technologie: suspension, amortisseurs… ne manquent que les jantes alu et les spoilers. J’exagère, bien sûr. Mais sur le châssis du landau, une marque est apposée, ou une indication, je ne sais : « High trek ». En anglais, a trek est un « voyage difficile » ; faire un trekking est une course dans des conditions aventurières qui indique le degré de sportivité de celui qui l’accomplit. J’en conclus que le landau en question est prêt à courir dans des conditions extrêmes, ce qui n’est a priori pas le destin normal d’un enfant que l’on mène dans son landau. À moins que ?
Subitement me revient à l’esprit ce landau qui dévale dans l’escalier. C’est Le Cuirassé Potemkine, de Serguèi Eisenstein dont la scène est un moment incontournable de l’histoire du cinéma. Cette scène a-t-elle influencé les constructeurs de landaus ? Toujours est-il qu’Eisenstein, cinéaste génial aussi bien dans Le Cuirassé Potemkine que dans Ivan le terrible a marqué les esprits. Peut-être la période expressionniste a-t-elle été le retour à la force de l’image, dans ses excès, dans son souci de monstration, dans la manière, en tout cas, de montrer à quel point les cruautés politiques et sociales sont vécues dans la douleur de ces déchaînements de violence. Rien n’a changé, finalement, sinon les technologies qui permettent de croire que les landaus occidentaux sont à même de protéger les enfants, qui ne sont en fait protégés de rien.
Entre les faits et l’imaginaire se trouve toujours la distance de
l’indignation ou de l’éblouissement. Les escaliers d’Odessa ne participent pas
de l’histoire réelle de l’écrasement des manifestations populaires en 1905 ;
mais les cosaques tirèrent bien sur la foule, comme en France l’armée
républicaine tira sur les familles ouvrières de Fourmies, un peu plus tôt en
1891. Question de lieu, même logique carnassière.
Les pouvoirs ne s’y trompent pas. Eisenstein ne finit pas le
troisième volet d’Ivan le Terrible : Staline est bien trop reconnaissable.
Serguèi Eisenstein subit la censure du pouvoir soviétique ; ironie de l’histoire,
lorsque Jean Ferrat chante la chanson Potemkine,
écrite par Georges Coulonges, en 1965, cette même chanson est censurée par le
pouvoir gaulliste qui exprime ainsi sa défiance vis-à-vis de la période
révolutionnaire russe dont les manifestations populaires d’Odessa sont la
préfiguration. Trois ans avant mai 1968, le pouvoir sentait-il venir le vent ?
La censure frappe fort alors, et bien avant que Jean Ferrat n’aille s’émerveiller
à Cuba et en revienne tout moustachu en hommage au líder máximo, puisque la chanson Nuit et brouillard avait été déjà censurée en 1963 par l’ORTF dont
le directeur était un valet fidèle du pouvoir. En ces temps de rapprochement
avec l’Allemagne, - dont François Mauriac disait haut et fort qu’il aimait
tellement l’Allemagne qu’il était très content qu’il y en ait deux !- le
pouvoir gaulliste n’aimait décidément pas qu’on lui rappelle cette période,
puisque le film d’Alain Resnais du même nom fut également censuré au prétexte
que l’on voyait dans le film une photographie d’un gendarme français
surveillant le camp de Pithiviers pour le compte du pouvoir nazi. Tout n’était
pas bon à dire pendant cette période où la France nationaliste avait encore à
régler ses affaires coloniales et à mater les masses populaires, quel que soit le lieu où elles s’expriment.
Hier, je me promenais, loin de toute foule, sur des chemins dont la beauté secrète ne se laisse voir qu'aux yeux et aux coeurs grands ouverts.
RépondreSupprimerL'été y était aussi très indien et les caresses du vent semblaient mieux nous offrir la douceur du soleil.
J'étais dans une sorte d'innoncence lorsque je vis une vieille plaque, cachée dans l'herbe dansante, sur laquelle s'effaçait tout doucement l'inscription : ici, est mort(suivi d'un nom et prénom),22 ans, tué par une sentinelle allemande.
Ici, en 1945, il s'est donc trouvé 2 hommes face à face et l'un a tiré sur l'autre.
Et dans cette beauté du monde, j'ai poursuivi ma promenade, certaine qu'il avait le choix de ne pas le faire, le laissant aller au vent et au soleil...
Marie
et comme en écho au souvenir évoqué par Marie, il me revient un événement grave qui marqua les années 44 dans le Condroz belge profond : une sentinelle allemande - très jeune - laissée agonisante à l'orée d'un bois , qui déchaîna un fait d'une lâcheté , puisqu' une vingtaine d'otages furent fusillés dans un village voisin , car les responsables de la mort du soldat n'avait pas été, ou ne s'était pas "dénoncée" ; un haut fait d'arme de la Résistance sans doute et les dégâts collatéraux? ( à propos il me semble que ce fait ressemble fort à un récit de Sokal dans son livre "le vieil homme qui n'écrivait plus")Mais cela nous éloigne de Jean Ferrat, non ou si peu!
RépondreSupprimerCette rencontre avec un fait de l'histoire fait surgir un passage de Journal du voleur. Je le livre dans un prochain billet, Marie. Libre arbitre contre déterminisme : la place de la conscience reste ténue.
RépondreSupprimerVotre histoire, Joseph, me rappelle un épisode évoqué je crois par René Char, dans les Feuillets d'Hypnos ; tragédie de ces moments où la projection de ce qui va se passer s'oppose à la décision possible du présent...
Bonjour, Je ne sais pas si vous aurez l'opportunité de lire mon message, mais je tenais à vous faire savoir que j'apprécie vos commentaires, que je lis aussi sur d'autres blogs amis. Je vous souhaite une bonne année
RépondreSupprimerDemian