L'auberge des orphelins

jeudi 19 octobre 2017

La tempe saigna

«Ici, en 1945, il s'est donc trouvé 2 hommes face à face et l'un a tiré sur l'autre», m'écrivez-vous, Marie, après cette promenade où vous découvrez par une plaque posée sur le sol ce qui s'est passé en 1945. L'un avait le choix de ne pas tirer, et ne l'a pas fait. La question du meurtre reste posée, même dans le contexte d'une guerre qui s'achève. Jean Genet au travers de l'ensemble de son oeuvre interroge le crime et sa capacité à transformer celui qui le commet afin d'être projeté dans la pire condition qui soit pour la société, celle de l'homicide volontaire. Le contexte de la guerre est censé absoudre l'assassin dont il ne viendrait même pas à l'idée d'affubler ce terme à celui qui tue au nom de la société. L'assassin, le bourreau.



Dans la sublimation du meurtre commis par Maurice Pilorge, que Jean Genet a peut-être croisé en prison, et auquel il dédie le poème  du Condamné à mort, mais n'a connu réellement que par les articles que la presse écrit, dans la délectation sociale du fait divers, Jean Genet insiste sur la gratuité du crime commis par Maurice Pilorge de son amant Escudero avec lequel il cambriolait des villas sur la Côte d'Azur. La mort que vient sanctionner la société sur la personne de Maurice Pilorge, mort voulue, revendiquée, apparaît alors comme la conséquence logique du refus de toute compromission avec le monde, avec «votre monde», écrivait Jean Genet.


Dans Journal du voleur, à la page 223 de l'édition de 1949, la réflexion de Jean Genet aborde la notion de sainteté, la place que prend le héros dont il souligne la posture équivoque. Il imagine la lutte de deux soldats, amis ou amants, dont la relation ne peut que se dissoudre dans la mort et dans la nature qui la sublime en floraison :


«La tempe saigna. Deux soldats venant de se battre pour une raison qu'ils avaient depuis longtemps oubliée, le plus jeune tomba, la tempe éclatée sous le poing de fer de l'autre qui regarda le sang couler, devenir une touffe de primevères. Rapidement, cette floraison se répandit. Elle gagna le visage qui fut bientôt recouvert de milliers de ces fleurs serrées violettes et douces comme le vin que vomissent les soldats. Enfin, tout le corps du jeune homme écroulé dans la poussière, ne fut qu'un tertre dont les primevères grandirent assez pour être des marguerites où passait le vent. Seul un bras resta visible et s'agita, mais le vent bougeait toutes ces herbes. Le vainqueur bientôt ne vit plus qu'une main disant le maladroit signe de l'adieu et de l'amitié désespérée. A son tour, cette main disparut, prise dans le terreau fleuri. Le vent cessa lentement, avec regret. Le ciel s'obscurcit qui éclairait d'abord l'œil du jeune soldat brutal et meurtrier. Il ne pleura pas. Il s'assit sur ce tertre qu'était devenu son ami. Le vent bougea un peu, mais un peu moins. Le soldat fit le geste de chasser les cheveux de ses yeux et il se reposa. Il s'endormit.


Le sourire de la tragédie est encore commandé par une sorte d'humour à l'égard des Dieux. Le héros tragique délicatement nargue son destin. Il l'accomplit si gentiment que l'objet cette fois ce n'est pas l'homme, mais les Dieux.»

4 commentaires:

  1. Ce texte résonne comme une sorte de Te Deum floral.

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  2. La force créatrice des mots du Poète qui va au delà de nos sens, de ce que nous voyons, entendons, percevons avec notre peau.
    Merci Céléos.
    Marie

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  3. Te Deum florifère, c'est très beau estèf.
    On entend cette musique très douce qui se substitue aux mots, Marie, puisque alors les paroles sont enfin dites.

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !