«Ici, en
1945, il s'est donc trouvé 2 hommes face à face et l'un a tiré sur l'autre»,
m'écrivez-vous, Marie, après cette promenade où vous découvrez par une plaque
posée sur le sol ce qui s'est passé en 1945. L 'un avait le choix de ne pas tirer, et
ne l'a pas fait. La question du meurtre reste posée, même dans le contexte
d'une guerre qui s'achève. Jean Genet au travers de l'ensemble de son oeuvre
interroge le crime et sa capacité à transformer celui qui le commet afin d'être
projeté dans la pire condition qui soit pour la société, celle de l'homicide
volontaire. Le contexte de la guerre est censé absoudre l'assassin dont il ne
viendrait même pas à l'idée d'affubler ce terme à celui qui tue au nom de la
société. L'assassin, le bourreau.
Dans la sublimation du meurtre commis par Maurice Pilorge,
que Jean Genet a peut-être croisé en prison, et auquel il dédie le poème
du Condamné à mort, mais n'a connu réellement que par les articles
que la presse écrit, dans la délectation sociale du fait divers, Jean Genet
insiste sur la gratuité du crime commis par Maurice Pilorge de son amant
Escudero avec lequel il cambriolait des villas sur la Côte d'Azur. La mort que
vient sanctionner la société sur la personne de Maurice Pilorge, mort voulue,
revendiquée, apparaît alors comme la conséquence logique du refus de toute
compromission avec le monde, avec «votre monde», écrivait Jean Genet.
Dans Journal
du voleur, à la page 223 de l'édition de 1949, la réflexion de Jean Genet
aborde la notion de sainteté, la place que prend le héros dont il souligne la
posture équivoque. Il imagine la lutte de deux soldats, amis ou amants, dont la
relation ne peut que se dissoudre dans la mort et dans la nature qui la sublime
en floraison :
«La tempe saigna. Deux soldats venant de se battre pour une
raison qu'ils avaient depuis longtemps oubliée, le plus jeune tomba, la tempe
éclatée sous le poing de fer de l'autre qui regarda le sang couler, devenir une
touffe de primevères. Rapidement, cette floraison se répandit. Elle gagna le
visage qui fut bientôt recouvert de milliers de ces fleurs serrées violettes et
douces comme le vin que vomissent les soldats. Enfin, tout le corps du jeune
homme écroulé dans la poussière, ne fut qu'un tertre dont les primevères
grandirent assez pour être des marguerites où passait le vent. Seul un bras
resta visible et s'agita, mais le vent bougeait toutes ces herbes. Le vainqueur
bientôt ne vit plus qu'une main disant le maladroit signe de l'adieu et de
l'amitié désespérée. A son tour, cette main disparut, prise dans le terreau
fleuri. Le vent cessa lentement, avec regret. Le ciel s'obscurcit qui éclairait
d'abord l'œil du jeune soldat brutal et meurtrier. Il ne pleura pas. Il s'assit
sur ce tertre qu'était devenu son ami. Le vent bougea un peu, mais un peu
moins. Le soldat fit le geste de chasser les cheveux de ses yeux et il se
reposa. Il s'endormit.
Le sourire de la tragédie est encore commandé par une
sorte d'humour à l'égard des Dieux. Le héros tragique délicatement nargue son
destin. Il l'accomplit si gentiment que l'objet cette fois ce n'est pas l'homme,
mais les Dieux.»
Ce texte résonne comme une sorte de Te Deum floral.
RépondreSupprimerOu mieux, florifère...
RépondreSupprimerLa force créatrice des mots du Poète qui va au delà de nos sens, de ce que nous voyons, entendons, percevons avec notre peau.
RépondreSupprimerMerci Céléos.
Marie
Te Deum florifère, c'est très beau estèf.
RépondreSupprimerOn entend cette musique très douce qui se substitue aux mots, Marie, puisque alors les paroles sont enfin dites.