De passage à Paris toujours. Je reviens d’un rendez-vous
important que je n’aurais jamais imaginé avoir il y a encore quelque temps,
avec un érudit de grand renom. Je reste sous le charme de sa gentillesse, de
son art de recevoir — café, macarons, parmigiano à point d’un goût sans pareil
— et il m’a apporté une information qui me taraudait l’esprit depuis plusieurs
années. Je suis sur une enquête quasiment policière. Et comme dans toute
enquête, je me dois de conserver la plus grande discrétion à ce sujet. Je n’en
dirai donc pas davantage. J’ai eu de la chance de le trouver, car il repart
prochainement à Venise pour continuer son travail.
Sortant de chez lui je suis à peu près euphorique dans ce
Paris dont le ciel de plomb doit finir par taper sur le moral au bout de
quelques jours sans avoir seulement aperçu le soleil. J’évite de prendre le
métro, et j’aime marcher, arpenter les rues. Je me dis parfois que si l’on
connaissait vraiment les vertus de la marche à pied, sans doute notre monde
connaîtrait-il de meilleurs moments. Je sais que je partage avec quelques
écrivains, diaristes, poètes inconnus, le plaisir de marcher avec le nez dans
les étoiles. Je pense notamment à Théodore Monod, Nicolas Bouvier, Jacques
Lacarrière et tant d’autres dont l’ouverture au monde fut un bonheur
d’écriture. Et même dans Paris, surtout dans Paris, ville que j’aime et déteste
à la fois, se trouve toujours une occasion de faire surgir quelques moments de
poésie, non venue du néant, mais émergeant d’une histoire sans fin. Chaque porche
de maison, chaque fenêtre sont pourvoyeurs d’histoires dont il suffit d’écouter
patiemment, portés par les courants d’air de la ville, les mots effilochés
qu’il suffit de capturer.
Nous sortons de chez Gibert et sommes tous deux
affamés : à côté se trouve un Monop’ face au musée de Cluny, où l’on peut
manger : de petites barquettes de plastique transparent feront l’entrée,
le plat et le dessert. Ce n’est pas bon, mais on est déjà presque en fin
d’après-midi, et les estomacs gargouillent de faim. Nous nous asseyons. À la
table d’à côté se trouve un jeune Japonais qui est affairé avec son téléphone
portable. Il consulte ses messages, appelle et converse en japonais. Puis la
conversation s’arrête et il reprend son activité de consultation sur son
téléphone.
Soudain, une vieille dame surgit, et ayant, elle également,
acheté l’une de ces barquettes, la pose devant le jeune Japonais qui reste
interloqué, la regarde et ne comprend pas ce qui se passe. « Ça suffit,
dit-elle, ça fait un moment que vous êtes là, il faut me laisser la place
maintenant ! » Le jeune homme la regarde et manifeste qu’il ne
comprend pas, la regarde, me regarde, paraît paniqué. « Allez, dégagez, je
vous dis, je veux m’asseoir là ! » Nous sommes nous-mêmes interloqués
M. et moi, et je décide d’intervenir : « Mais que voulez-vous faire,
madame, il y a d’autres places ailleurs, pourquoi importunez-vous ce
monsieur ? — De quoi vous mêlez-vous, ça ne vous regarde
pas ! » me répond-elle. « Mais si, madame, ça me regarde, vous
voyez que ce garçon ne comprend pas ce que vous dites, et vous n’avez pas de
raison de l’agresser ! — Foutez-moi la paix, me répond-elle, je veux
m’asseoir là, ça fait deux heures qu’il est assis à la même place, et je veux
m’asseoir aussi ! — Vous avez le choix avec d’autres places, votre
attitude est désobligeante, discourtoise envers ce jeune homme ! »
Finalement, devant ma détermination à le défendre, la
vieille dame finit par céder, non sans manifester sa colère : « De
quoi vous vous mêlez, sale con, ce n’est pas vos affaires ! Sale
con ! — Venant de vous, Madame, c’est un plaisir d’être
insulté ! » Les quelques tables qui écoutaient, éberluées par les
cris de la vieille dame, éclatent de rire. Elle finit par s’asseoir et manger
son repas. Le jeune Japonais décide de partir. Je lui dit de ne pas s’inquiéter
que la vieille dame n’a plus toute sa raison. « She’s mad. » Le jeune Japonais,
sans sourire, me remercie à plusieurs reprises en français de mon intervention,
puis se lève et repart. La vieille dame regarde ailleurs. Son esprit
trouble vagabonde dans d’autres nuages du quartier latin. Drôle d’après-midi.
A Paris, on ne marche plus le nez en l'air mais les yeux rivés sur le téléphone.
RépondreSupprimerAh les rombières...
Il m'arrive aussi d'avoir les yeux attentifs au téléphone !
RépondreSupprimerCe n'était pas une rombière, juste une pauvre femme paumée...
p't-être qu'elle aime pas les jaunes ? p'-être qu'elle voulait juste une place dont le siège était chaud ? p't-être qu'elle aurait voulu se faire draguer ? ou p't-être qu'elle est comme moi : détestation du téléphone ! quand je dis ne pas avoir de portable, ça tombe des nues ! pas de mobile ? ah ! si, ça, j'en ai toujours des tas !
RépondreSupprimerdécidément, je suis encore plus content de m'être éloigné de cette ville ! Celeos, qu'allait-il faire en cette galère ?
ohé ! bout d'chou d'Épissure !
RépondreSupprimertrophime avec ph ? pas plutôt un F ?
quelle époque !
Non, ph, Yves. Rien à voir avec les vers :
RépondreSupprimerTrop fîmes l'amour
dont j'ai le fond dément !
Pss, Yves ! Les commentaires pour Épissures,on peut les mettre sur Épissures, je vous assure !