L'auberge des orphelins

samedi 14 octobre 2017

Dernières nouvelles de la domination

Deux thèmes actuellement m'occupent l'esprit en matière de domination, la Grèce et la Catalogne. Je crois que leurs deux situations sont très liées, du seul fait de cette volonté de résistance à la domination des pouvoirs des Etats, et des forces réactionnaires qui s'opposent à cette soif d'émancipation.

Je ne serai pas très long : concernant la Grèce, on a appris dans le journal Les Echos, que la dette grecque avait permis de générer quasiment 8 milliards d'euros (7,8 M€) d'intérêts à la Banque Centrale Européenne (BCE). On y apprend que les profits générés sont redistribués aux banques des 19 pays qui ont participé au rachat de cette dette proportionnellement à leur participation au capital de la BCE. Sachant que la dette grecque ne sera jamais remboursable, on peut donc en conclure sans exagération que l'Europe et en particulier l'Allemagne dans cette opération ont rétabli la mainmorte sur la Grèce. Si certains pouvaient encore croire que l'Europe jouait un jeu de solidarité politique entre ses membres, cette mise au jour de la grande profitabilité de la dette grecque vient mettre à mal cette croyance. C'en est au point que croire à l'Europe est devenu un élément de superstition comme autrefois on accrochait du buis bénit au-dessus des cheminées pour écarter le mauvais œil ! 

Concernant la Grèce, le service public étant en grande partie démantelé, les biens publics étant privatisés (on se rappelle qu'Emmanuel Macron est venu avec des patrons français à Athènes proposer que les investisseurs français rachètent à la Grèce ce qu'il restait des bijoux de famille...) la Grèce a ainsi fait la preuve de sa profitabilité, avec les salaires et les retraites de la misère que nous aurons bientôt en France. La «main invisible» des marchés  va pouvoir faire à nouveau son miel d'un pays réduit à accepter l'inacceptable.

En Catalogne, le journal Le Monde a envoyé la journaliste Raphaëlle Rerolle, qu'on ne présente pas. Elle témoigne de la situation en interviouvant des personnes présentes lors de la journée de fête «nationale». Un jeune monarchiste, qui appartient à la mouvance carliste et veut non seulement l'unité nationale, mais le «rétablissement de l'Espagne catholique qui abolirait l'avortement et le divorce», et puis une jeune fille qui raconte : « J’ai appris la langue par amour pour la Catalogne, alors qu’elle était interdite à l’école, du temps du franquisme. Chez moi, on était fiers de vivre dans la région la plus développée d’Espagne. Du coup, quand on me traite de “facha”, je suis indignée : c’est le contraire de ce que j’ai toujours défendu. » (on peut consulter ici l'article en ligne)

Ce qui ressort de son reportage est le sentiment d'un immense gâchis dont peuvent être rendus responsables les nationalistes des deux camps, ceux qui ont utilisé le sentiment identitaire catalan pour conforter une histoire fantasmatique, et ceux qui ont conforté la volonté de domination franquiste et nationaliste de l'Espagne monarchiste tout aussi fantasmatique dont les vieux démons du fascisme ne les ont jamais vraiment quittés, malgré la période de la Movida qui, elle aussi, a fait illusion dans une Espagne en crise de ses institutions depuis le XIXe siècle. Et il est pour le moins ironique de voir le «socialiste» Pedro Sánchez s'associer à Rajoy dans le cas concret d'une expression populaire telle que l'est le référendum organisé par la Generalitat de Catalunya.

Ce constat ne remet pas en question le mouvement démocratique qui s'est exprimé autour de la démarche en peu désespérée de Carles Puigdemont. Finalement, Pablo Iglesias s'est rallié à la démarche des Catalans, voyant qu'il y avait une voie possible pour de véritables alliances démocratiques.

Situation étrange, en tout cas, que celle de la Catalogne. C'est un peu le constat de Raphaëlle Rerolle qui ne peut que dire l'incompréhension généralisée qui s'est emparée des uns et des autres. Le perdant de cette situation, en fin de compte, c'est l'histoire de l'Espagne : que ce soit en France ou en Espagne, il est bien difficile d'écrire ce qui s'est passé en Espagne depuis le pronunciamiento de Franco en 1936, et bien évidemment encore auparavant. La Movida, l'entrée de l'Espagne dans l'Europe et dans une économie généralisée a fait croire que la société espagnole, dans sa modernité, dans l'accès au reste du monde, pouvait sublimer tous les éléments de cette histoire, des barbaries qui s'y sont déroulées, celles de l'Etat espagnol restant, de toutes, les plus inacceptables. Et force est de constater que les jeunes Espagnols, qu'ils soient Catalans ou Castillans, restent bien ignorants de l'histoire factuelle de leur propre pays et de leurs propres régions respectives. Tout comme en France!


Pablo Picasso - Guernica - 1937
en hommage à la République espagnole dont cette ville d'Euskadi fut la martyre.
A la démission de Juan-Carlos, il était possible de revenir au régime démocratique républicain.
C'est un autre choix qui a été fait. L'oeuvre de Picasso peut être vue comme un stigmate de cette folie nationaliste qui a fait agir précisément l'aviation fasciste italienne et les nazis allemands contre une ville basque.



4 commentaires:

  1. Superbes analyses et comparaisons , et c'est de la part de celui qui fut en son temps qualifié de banquier communiste , mis à qui on opposa aussi le fait de travailler au service de l'argent et se dire poête ! mais de grâce que l'on cesse de dire dans une certaine presse, que la Belgique pourrait être une exemple pour l'Espagne dans ce conflit larvé avec la Catalogne , car gratté un peu le vernis de notre premier ministre et vous verrez de quoi il est réellement le porte parole ou le "vil" serviteur!

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    Merci pour ce billet.
    J'écrivais encore aujourd'hui à une amie catalane que la démocratie en Europe est de plus en plus fictive : les peuples votent et quand cela ne convient pas à la nomenklatura, on s'en tape, on avance, on réprime. Si ça se trouve, en laissant les Catalans voter, il n'y aurait pas eu de majorité indépendantiste ! Ils ont préféré la répression, méthode franquiste et aujourd'hui on en est à la perte totale d'autonomie de la Catalogne (qui avait gagné par le passé un certain nombre de droits par les négociations) : ils en ont profité pour faire main basse sur la région avec la bénédiction de l'Europe.
    Comme tu disais, les Grecs avaient voté contre un ènième memorandum, c'est pas grave, on l'a fait quand même.
    Moi qui suit une fervente européenne, je digère très mal tout ça : ce n'est pas la faute à l'Europe, c'est la faute à ceux qui asservissent les hommes politiques, c'est bien une volonté politique fasciste, autrement dit, les fascistes semblent bien se cacher aujourd'hui derrière les libéraux.

    RépondreSupprimer
  3. ... et je voudrais ajouter aussi que je suis d'accord qu'en France on ignore notre passé Vichyste, suffisamment pour oublier que "la manif pour tous" était aussi une manif pour rappeler que l’extrême-droite en France n'avait pas disparu, qu'elle revenait même en force (ils ont fait plein de petits en respectant les règles catholiques). En revanche, je suis sidérée que ces légitimistes soient suivi par les Finkelkraut et Zemmour !! Il y a quelque chose qui m'échappe ! Mais finalement, ils sont suivis aussi par les intégristes musulmans... sur le fond, ils sont tous d'accord.

    RépondreSupprimer
  4. Merci de ton commentaire, Sophie. Je crois qu'en effet, une mauvaise compréhension des événements est due à la profonde méconnaissance de l'histoire. Un article de Mediapart l'évoque aujourd'hui :
    http://blogs.mediapart.fr/sylvie-crossman/blog/011117/catalogne-les-fantomes-de-la-guerre-d-espagne?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3-5

    RépondreSupprimer

Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !