Bon, les élections providentielles sont faites. J’ai prévu de continuer cette réflexion sur la notion de démocratie. C’est vrai que la situation en France en particulier vient à point nommé pour illustrer le propos. Que nous ont dit ces « suffrages exprimés » ? Pas grand-chose de nouveau, en fait, et c’est plutôt ce qui est exprimé autrement qui est intéressant. Jamais l’extrême droite n’avait eu autant de voix, et la géographie électorale montre que ce sont les régions particulièrement matraquées par la politique économique qui se réfugient dans un vote d’extrême droite. En toute logique, le choix qui a été fait va confirmer la libéralisation du contexte législatif, et permettre de déréguler davantage les relations entre salariés, sociétés du Net, non-salariés exploités comme des salariés, etc. Ce qui renforcera encore davantage, par réaction les votes en faveur de l’extrême droite. Le système qui vise à la disparition totale de la démocratie est parfaitement performant.
Je ne vais pas commenter ces élections, ou seulement de manière anecdotique. J’essaie de prendre du recul dans ce débat où les jeux sont faits dès le départ : ce fameux système que tous dénoncent et auquel tous appartiennent fonctionne de manière reproductive, réplicative : lorsque ça ne fonctionne plus, il faut trouver une manière pour que ça fonctionne malgré tout. Exeunt alors les partis « traditionnels » de la quatrième et de la cinquième république. Alors on fait des « mouvements » dans lesquels il n’y a pas d’exclusive, ce qui permet d’agréger toutes formes de tendances, de Robert Hue à Alain Madelin en passant par Christian Estrosi. Ce qui s’est passé là, ces derniers temps, a consisté à développer l’image du repoussoir, le Front national pour permettre de faire front contre les idées xénophobes etc. Faire front républicain. Pure illusion, puisque la république a failli, et que les abstentionnistes, dont les jeunes gens, ont exprimé très clairement que le choix qui demeurait était de voter pour une organisation fascisante ou pour un agent du système qui produit du fascisme. Quel choix ! Dans les deux cas les dés sont pipés. Je disais dans mon précédent billet « Nouvelles du chaos 1 » que la démocratie a été instaurée pour que le capitalisme puisse fonctionner ; ce fut avec l’aval des populations anciennement dominées que l’on transforma en populations dominantes. La colonisation en est un excellent exemple : il suffit de dire que les populations dominantes sont éclairées, que les populations dominées ne le sont pas et ont besoin d’une tutelle pour être dirigées. Que le Macrounet ait dit que c’était un crime contre l’humanité est assez vrai. Il savait assez ce qu’il en a été de l’action de l’État français contre les populations africaines notamment. (Dans le même temps, le coup de la Manif pour tous humiliée pour se concilier quelques personnes de Sens commun procédait du grand art confusionniste, histoire de tout mélanger avec son contraire — quel brouet !)
On n’a donc plus besoin de démocratie puisqu’on en est arrivé à un système binaire. C’est là qu’on s’aperçoit de la réalité de ce que c’est qu’une société postmoderne : l’illusion du choix ne trompe plus beaucoup, et on s’aperçoit vraiment de la duperie pseudo-démocratique qui s’exprime vraiment dans les élections présidentielles : au premier tour on choisit, et on s’arrange pour que les électeurs se satisfassent d’avoir pu exprimer leur choix au premier tour. Au deuxième tour, on passe aux choses sérieuses : le repoussoir permet de conforter le représentant du système économique en place. Car il n’est pas question en France qu’on puisse remettre en cause le système centraliste qui existe depuis… François Ier pour le moins! Veut-on se convaincre que le système féodal est toujours actif ? Le vote à Paris pour Emmanuel Macron est à plus de 89% ! Paris est-il ainsi une république bananière ? C’était le sentiment en France en 2002, que le vote ainsi transformé en un système repoussoir, avait réduit le système électoral à une machine très malsaine. Quinze ans après, les mêmes institutions, sclérosées, ont répété une situation sinon identique, à tout le moins très analogue.
J’entends à la radio une électrice répéter le poncif selon lequel « il faut voter », que « dans d’autres pays, on n’a pas le droit de vote », que « nos ancêtres se sont battus pour pouvoir voter », etc.
Je le redis : voter consiste à accepter un système représentatif. Lorsqu’on n’est pas en mesure de comprendre les situations, de les apprécier dans l’ensemble de leurs enjeux, bref, lorsqu’on est incapable majeur (c’est le coup qu’on a fait aux populations colonisées), on justifie ainsi ce système de représentation. D’autres sont censés être plus compétents, plus instruits, plus informés… Alors on leur délègue notre pouvoir de décision. Aussi, tant que ce système politique de la représentation fonctionnera, les délégués ainsi élus seront forcément de connivence avec les intérêts économiques qui ont bien compris que le système de représentation est le seul à même de les préserver. C’est au point qu’il existe même une espèce de sacralité autour du terme de démocratie, dont le nom, héritage de l’ancien grec, justifie à lui seul, au nom de l’héritage civilisationnel justement, toutes les turpitudes commises.
Alors faut-il condamner la démocratie, la vouer aux gémonies, laisser faire un système dictatorial ? Ou faut-il considérer que la « démocratie » des sociétés occidentales serait le moins pire des systèmes, mais le seul acceptable ?
(À suivre)
Ne me dis pas que tu n'as pas de 3e voie !
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il s'agit d'une 3ème voie. Il faut en tout cas réfléchir à d'autres façons de décider...
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