L'auberge des orphelins

vendredi 21 octobre 2016

Leonard stin Ellada

Ce jour sort un nouveau CD de Leonard Cohen. You want it darker. J'ai présenté ce titre le 24 septembre dernier (cliquer ici : clic), il y a moins d'un mois. Si je suis fan de Leonard Cohen, je ne sais pas si je me réjouis vraiment de cette sortie. Je suis heureux qu'il soit toujours de cet esprit vif, qu'il témoigne de cette générosité qui l'a toujours caractérisé. Ce qui me fait drôle est qu'on le présente comme un vieillard. Certes, ses quatre-vingt deux ans accusent la vieillesse, le visage fatigué, les cheveux très gris. Je conserve pourtant toujours l'image de cet homme jeune, que j'ai vu plusieurs fois en concert. Je le vois également parcourant Hydra, cet île porteuse de magie que fréquentaient autrefois artistes, poètes, écrivains, après que des pirates albanais s'y furent installés, et où il vécut avec Marianne Ihlen. C'était un temps, me semble-t-il, où le soleil savait briller plus sûrement qu'aujourd'hui où nous marchons en terres d'incertitudes.

Leonard a toujours accompagné mes sentiments amoureux. En esprit, sa poésie, sa musique nourrissaient mes propres élans, mes moments de doute et de spleen. Je me rappelle l'une des dernières fois que je vis J. Il avait eu un accident de scooter, sans vraiment de gravité, dans le tunnel de la Croix-Rousse. C'était au printemps, et un concert de Leonard était organisé à la Bourse du Travail. L'après-midi j'étais passé voir J. à l'hôpital. Sa jambe était dans le plâtre et un énorme pansement taché de sang couronnait son genou. Était-ce la chaleur de ce printemps déjà avancé ou l'émotion de ce pansement qui me paraissait monstrueux ? Je partis dans une crise de tétanie et l'infirmière dut me bassiner les tempes, éponger ma sueur et me faire respirer de l'air frais sur le balcon de la chambre. Je repris mes esprits, m'excusai de ce moment de faiblesse. Je dis encore quelques mots à J. Je savais que nous nous étions tout dit.

Le soir le concert fut magique, plein de cette tendresse au delà de l'amertume dont sa voix si profonde a toujours été porteuse. Leonard fait partie de ces garçons abandonnés dans lesquels je me reconnais. Tout est comme si manquait en quelque endroit, dans le corps, l'esprit ou le cœur, une part de soi invisible  - l'ombre de Peter Pan, peut-être - qui dit qu'on n'arrive pas à marcher comme il le faudrait dans la vie. Quelques femmes ont compté dans celle de Leonard, dont Marianne fut la lumière éblouissante. D'autres garçons ont besoin qu'un autre garçon vienne apporter une part de réconfort, un court moment qui ne sera jamais définitif. On croit un instant reconnaître le garçon que l'on cherchait. On le retrouve même, le temps d'assouvir son désir. Puis l'image que l'on avait cru reconnaître s'estompe, se dissipe dans un brouillard, et ne demeurent plus que des fantômes. Au fil du temps on n'est plus soi-même qu'un autre fantôme, errant dans les couloirs du temps, retrouvant dans les pièces défraîchies d'un château poussiéreux et humide les photographies jaunies du seul garçon qu'on avait cru reconnaître de cette part d'invisibilité à jamais disparue.

Dans ce temps qui passe Leonard demeure, comme une forme de l'éternité. Au loin il y a le Canada, New-York. Je ne sais pas où il vit et je m'en fous puisqu'il est en Grèce. Pour l'éternité.








8 commentaires:

  1. Vous dites avec beaucoup de sensibilité comment nous savons chercher chez des artistes véritables la part d'universalité affective et fantasmatique qui nourrit notre propre difficulté d'être et aussi nos propres bonheurs.

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  2. Merci et bienvenue dans mes commentaires, Ludovic.

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  3. Comme beaucoup , j'adore la voix de Leonard Cohen ; mais aprés 3 ou 4 chansons , elle me fout le bourdon ... Et vous ?

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  4. Non, Paul, je suis en état d'apesanteur...

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  5. J'aime. Même si France Inter en a beaucoup fait avec la sortie "en exclu" du nouvel opus, dont, sans pudeur, ils disent et redisent que ce sera sans doute le dernier.

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  6. Oui Silvano. France Inter en fait beaucoup. Mais c'est à la mesure de l'artiste qui reste un monument.

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  7. Merci de ces documents que je decouvre... très sympa, Leonard à Hydra! je ne connaissais pas ce reportage, ni cette chanson..c'est impardonnable, n'estce pas? toujours aussi interessant, ton blog. Merci! je commente peu, mais je suis....

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  8. Tu me manquais, Arthur, on t'avait kidnappé ?

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !