Ai-je encore à faire avec
Athènes ? N’ai-je pas suffisamment parcouru toutes les rues sans en avoir
acquis toutes les senteurs, avoir rencontré toutes les gents qui ne sont ni
mieux ni moins bien disposées qu’ailleurs ? Le soleil a fait sortir un peu
plus garçons et filles sur les terrasses. Les mendiants continuent toutefois à
quémander, mais comme je les sens discrets, ayant acquis la conscience de cette
fatalité, et que leur survie ne dépend plus que d’un dieu qui les prendra en
pitié ou les délaissera sans autre forme de procès ! Mais les mendiants
sont moins offensifs que les serveurs des innombrables restaurants à touristes,
qui n’hésitent jamais à interpeller. Sans doute sont-ils devenus de bons
sociographes qui savent déceler l’hésitation du touriste en quête d’un morceau
à manger. Mais en mauvais commerçants qui ne savent pas convaincre, leur
insistance ne leur indique pas qu’elle fait fuir le client : celui-là n’a
besoin que d’un peu de temps pour se décider. Le refus du client est un affront
qui leur renvoie leur adresse insuffisante.
Les rues ne sont décidément plus
qu’une vaste cantine où toutes les pitas, gyros et autres greek fast food ne
donnent aucune envie. La cuisine grecque que l’on aime est une cuisine d’été,
adaptée à une activité où la chaleur domine, et où l’on n’a pas à devoir digérer
pendant le restant de la journée. C’est à croire que l’été n’en finit pas de
toutes ces grillades et autres pâtes feuilletées qui manquent de finesse, et où
quelques épices font illusion de saveur quand tout n’est plus qu’industriel,
même dans les innombrables lieux où l’on peut manger sans que jamais la journée
ne soit interrompue par un autre moment consacré à une activité intellectuelle.
Quoique, si les journaux ne sont
guère lus, il faut sans doute être rassuré de nombreuses librairies. Lit-on vraiment
en Grèce ? Sans doute autant qu’en France, ce qui est peu. Encore faut-il
y mettre des romans davantage que des sciences humaines : entre la
nécessité de rêver qu’imposent les temps actuels, et la réalité insupportable à
laquelle tous sont confrontés, le choix reste vite fait. Mais n’est-ce pas
également une activité intellectuelle ou culturelle que de rester de longs
moments à discuter entre amis assis à une table ? De quoi
parlent-ils ? Je ne sais : il me faudrait être davantage attentif et
me faire indiscret, ce qui en Grèce, pas plus que dans le reste de la
Méditerranée, n’est pas réellement une difficulté. Il m’arrive parfois de
prêter l’oreille. On parle de travail, des difficultés de relations que les
contraintes de salaires devenus très bas imposent. Aussi, le peu que l’on gagne
est dépensé rapidement : le loyer, les déplacements. Le coût de la
nourriture est devenu très bas ; on trouve toute sorte de lieux pour se
nourrir, et les magasins eux-mêmes compriment les prix s’ils veulent conserver une
clientèle, partant du principe qu’une marge extrêmement faible vaut mieux que
pas de marge du tout. On se rattrape sur le temps de travail passé à attendre
le client qui n’est pas rémunéré, puisque, après tout, avoir un commerce est
également une façon de vivre, choisie ou non.
Dans la rue, dans le bruit, car
les autos, les scooters passent incessamment, les gens parlent haut, pour
exister, sans doute, plus fort que le monde environnant qui s’impose avec toute
sa prégnance, mais un monde auquel on appartient, presque clos, comme un
théâtre où chacun joue le même rôle. Le petit monde d’Athènes est connecté sur
Iphone, et vit dans cette paranoïa urbaine comme si Athènes n’était qu’une
parcelle du vaste monde qui ne connaît pas de problèmes économiques, monétaires,
ou de vie, tout simplement. Car si le monde pauvre est là, tangible, le monde
des classes plus aisées est encore plus ostentatoire. Je m’étonne de voir
autant de magasins de luxe, autant de boutiques de fringues, autant de
cafés-lounges où la jeunesse peut passer de longues heures à parler, tout comme
dans les cafés des grandes villes en France, tout comme à Montpellier, à quoi
je trouve quelques comparaisons avec Athènes, l’histoire et les monuments mis à
part. Mais la vie à Athènes paraît plus frénétique, contredisant l’idée
préconçue d’une sorte d’indolence méditerranéenne ou orientale. C’est en fait
le mode de penser l’instant qui reste prégnant dans la culture grecque ou
orientale. Les penseurs français ont
longtemps cru que le siècle de Périclès était un modèle occidental dans une
opposition à la culture orientale. C’est une erreur. La rapidité avec laquelle
Périclès a fait réaliser les instants d’architectures d’Athènes, sa
modernisation, appartient justement à cette idée d’une frénésie de l’instant
toute orientale.
Au retour de mon périple dans les
rues, où j’ai frôlé Kolonaki, l’un des quartiers branchés les plus détestables
à mes yeux, où la gentry se montre comme si le monde extérieur restait
invisible, je suis redescendu par les rues basses de Plaka et Monastiraki.
Reprenant la rue Adrianou, sur la place qui permet le départ de la rue, un
mendiant est là posé au sol, exhibant les moignons de ses bras, le bras gauche
plus court que le bras droit dont l’avant-bras est en partie conservé. Son
visage est également très abîmé, comme rescapé d’un terrible accident dont il
donne le monde à témoin.
Ce mardi le monde d’Athènes a le
double visage de cette humanité, de la façade futile et de la déchéance qui
n’attend plus beaucoup de la vie rêvée. Encore un coup de ces salopards de
dieux cyniques et vengeurs.
Achille aurait il encore offensé les dieux? (je rêve de Brad Pitt là!)
RépondreSupprimerLes dieux sont tellement susceptibles ! Vous avez mieux que Brad Pitt : c'est ce soir !
RépondreSupprimerJ'aurais bien aimé te suivre un peu plus, au moins en pensée, dans ton périple athénien. MAis j'étais trop occupé ces derniers temps. Tu as dû déjà rentré. J'aime beaucoup ton interprétation du mode de "penser l'instant" en Grèce. C'est très vrai. On est ancré dans le présent, en dépit de ces siècles qui nous regardent et de ce futur qui menace. Athènes et ses contradictions, Athènes ville folle et trépidante où se cotoie le meilleur et le pire. Mais Athenes qui vit au final, tout en prenant le temps du présent. Je l'adore , en dépit de sa cohue, de sa nouvelle misère qui fait mal, je l'adore grâce à la vie qu'on ressent partout. Tu me raconteras alors, j'espère bientôt?
RépondreSupprimerΒεβαίως, Αρθούρο!
RépondreSupprimer