L'auberge des orphelins

mardi 8 septembre 2015

Une lettre du Var 2/2



(suite du billet du 3 septembre 2015) 


Le seul dieu auquel j’accorde un quelconque crédit reste décidément un personnage infréquentable. Je ne suis pas sûr qu’on pourrait en trouver ici une trace archéologique, mais qu’importe ? Est-il besoin en permanence de donner des légitimités ? Quand il ne serait qu’au fond d’une cuve où se fait l’âpre vin cévenol, son rire éclaterait dans les myriades de bulles qui montent à la surface de la tine pour s’épanouir d’étourdissement. Ses avatars peuvent revêtir de nombreuses formes, et je joue à l’incarner lorsque mon humeur m’y incite. Ma folie d’enfant caché ne se plaît parfois qu’à jouer entourloupes, défaire ce que l’on a patiemment construit pour proposer d’autres voies à la raison, penser de nouvelles logiques qui me sont toutes plus utiles que la raison raisonnante des chercheurs d’un soleil confus, où ils croient trouver la lumière. 

Savent-ils seulement que la lumière ne se découvre vraiment que dans l’ombre, la noirceur la plus totale ? C’est le plus petit lumignon, la plus petite luciole voletant au-dessus d’un ruisseau qui sait indiquer le bon chemin, un chemin de détours, zigzagant entre rochers et broussailles, où l’ivresse de l’esprit comme celle du corps sont en mesure de laisser entrevoir les grâces du monde comme celles de l’enfer.


Qui n’a pas suivi ce chemin ne connaît que peu la fragilité des choses : savoir comment il fut détruit par les Titans, déchiré vivant de leurs dents féroces, dévoré dans un sacrifice sans concession, permet d’apprécier sa douceur auprès des êtres les plus humbles, du plus petit fétu de paille. Il fallait qu’il fût deux fois né et mort au moins une fois pour comprendre les mystères de la vie. Je raconterai sa fidélité, passant à Lerne, auprès de Polymnos qui aima sa beauté. Y eut-il, en effet, amant plus assidu, dispensateur de désir, désir toujours plus dévorant lui-même au point tel qu’il fallut l’allier à la folie ?


Je relis le courrier de G. Je sais qu’il y a eu ce temps que lui comme moi, avons su occuper, remplir de trop de fatras, peut-être. Il me rappelle quelques moments où dans les rues de Cannes et de Grasse, nous parlions, enflammés, de théâtre, de cinéma ; des moments d’humour partagés et des anecdotes que notre vie commune éphémère avait su engendrer. Il ne me précise pas si sa vie si bien construite a pu parfois s’émanciper de trop de sagesse. Je m’interroge à ce sujet, moi qui, touché un jour par le dieu de l’ivresse, ai toujours pris la part de la déraison, seule qui me soit restée. À ce titre, et pour le prix à payer, je conserve le droit du sourire.



Je lui confirme que j’existe encore, que je sais aimer et trancher dans le vif. Et si j’avais à n’y être plus, il pourra sans doute encore écrire à la même adresse. Le Dionysos caché au plus profond de la Maison des Cévennes pourra encore lui répondre dans le chant d’un oiseau, la musique du ruisseau et dans le vent des grands frênes.


4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup merci pour ce morceau de soleil,de végétation odorante, de bruissement d'insectes, de chuchotement de satires et de faunes, de pensées et de souvenir de magie qui relie deux terres ou les dieux s'amusent rient et se chamaillent.deux terres d'hydromel.

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  2. Texte très inspiré et inspirant.
    Suivi du commentaire de unnu qui l'est tout autant.
    Voila qui fait naître, en nous, un sourire (qui restera invisible) avant d'entrer dans un monde sagement rangé où nous pourrons entendre les éclats de rire de l'enfant qui nous habite..

    Marie

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  3. Heureux de vous procurer ce sourire, Marie.

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !