Tu m’envoies ce message matinal pour me dire que tu te
trouves à deux pas de chez moi.
A deux pas de chez moi ? Y suis-je encore seulement ?
Tu me demandes de te parler de toi, chose que je n’ai pas
faite selon ce que tu souhaitais. Je ne sais avoir quelque perception de qui
que ce soit : je ne suis pas dans les têtes, je ne suis pas dans les
cœurs. J’essaie simplement de comprendre ce qui anime chacun, comment les
émotions construisent la vie à partir de quelques mots, quelques traits tracés
dans l’air. Sans jamais oublier les événements, qui sont terribles, et qui
révèlent à chaque fois le sens de la perte.
Je me suis défait cette année du cadavre de mon père. Je te
raconterai, si tu le souhaites, l’unique fois où il m’a semblé communiquer avec
lui, sans aucun mot, dotés tous deux de notre seule capacité à percevoir le
silence, et, dans ce silence, comment la musique du vent, quelques odeurs
d’automne sont venues en symphonie chanter ce monde.
Curieuse année de communications tronquées qui se révèlent,
de toute façon, sans grande importance. Comme dans une mauvaise histoire, on
joue avec des reflets de miroirs, une sorte de galerie des glaces déformantes.
On croit avoir aperçu son propre reflet qui n'est qu'à peine un faible rayon de
lumière jouant avec des ombres. On croit se rassurer en permanence sur son âge
qui ne peut pas être celui de ses artères car la vue du sang reste
insupportable. La vie se dissout dans celle des autres quand, en permanence, on
croit y déceler de plus belles lueurs sur la rondeur d'une épaule, et, de
préférence, quand l'autre a fermé les yeux : il a, gravé sur l'intérieur de ses
paupières, de si belles étoiles !
Sache que, parlant de toi, je ne cherche qu’à parler de moi
qui me suis enfin dissous dans ce monde. Comme Jean dont je te parlerai
peut-être un jour, j’ai encore à retrouver quelques petits cailloux, éparpillés
çà et là, sur les crêtes des montagnes : ils balisent ma route, ils sont
constitutifs de tous les instants volés à quelques garçons souriants, à quelque
kleftis maladroit, chacun faisant
œuvre de poésie, dont j’ai croisé le chemin. Ils animent mes souvenirs comme
d’autres animent les tiens ; nous en faisons nos panthéons.
Tu me précises que tu ne seras pas disponible. J’imagine
alors que ton message n’a pour objet que de me dire ta proximité. Ta
présence m’est alors fantomatique alors que moi-même ne suis plus très présent
aux choses de ces lieux : mon esprit court déjà, et je ne suis pas sûr que
quiconque puisse me rattraper. Quelques nuages passent dans le ciel chargé de
chaleur ; un vent d’ouest contourne les cimes. Je ne suis pas entre deux
eaux, mais dans ce vent léger qui déjà voyage.
Celeos
Très beau texte, émouvant, profond, sincère.
RépondreSupprimerLes illustrations sont judicieusement choisies : il y a même l'étagère de ma grand-mère ; comment avez-vous fait pour la (re)trouver ?
Merci, Silvano. L'étagère de votre grand mère ? C'est la maison des Cévennes. Je cois que rappeler que nos grands mères respectives devaient avoir un certain cousinage...
RépondreSupprimerj'aime bien cette idée de la sagesse envahissant un être, l'apaisant, le bonnifiant...
RépondreSupprimerce n'est pas un privilège de l'âge comme le croient certains.
c'est en l'humain dès le départ. parfois, certains d'entre nous cultivent cette beauté, d'autres la laissent dormir, parfois la détruisent.
vertu du silence aussi dans ces lignes. les gens en ont tellement peur !
un souvenir : comédien, j'avais une scène d'engueulades avec un autre. je devais entrer très en colère et commençais mon texte. chaque soir, je grapillais de plus en plus de secondes de silence avant d'attaquer. ce silence devenait d'une telle intensité que la scène se déroulait de mieux en mieux. avec mon collègue, c'était devenu un jeu entre nous.
voilà. votre confidence en réveille d'autre.
belle journée à vous et vos lecteurs.
Merci de votre propre confidence, Yves. On n'estime jamais assez les vertus du silence.
RépondreSupprimerUn pur délice !
RépondreSupprimerMerci, Joseph.
RépondreSupprimeraprès une semaine à gouter aux plaisirs musicaux en chambre et en orchestre, ce fut un régal de savourer cette forme d'art que vous maitrisez si bien (en tout cas mieux que moi le concerto pour alto de Telemann, ou un divertimento de Mozart)
RépondreSupprimerDu pays taiseux où je me trouvais alors, j'ai aimé ce beau texte aux accents qui ne me sont pas étrangers. Un jour, nous passons tous des frontières.
RépondreSupprimerMerci Estèf. Oui, les frontières sont sans doute nos territoires privilégiés.
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