Jean Genet évoque, dans le Journal du voleur (publié en 1949), sa rencontre avec Guy. Jean Genet, maître en écriture, opère la métamorphose de la misère dans les relations qu'il raconte avec les mauvais garçons, catégorie qui paraît difficile à appréhender aujourd'hui. Le Journal du voleur est un long poème en prose — mais Genet a-t-il jamais écrit autre chose que de la poésie, jusque dans ses outrances incompréhensibles à certains intellectuels ? — qui est un éclairage sur le monde considéré comme le jeu pervers des dominations grossières ou subtiles, à partir de quoi il s'agit d'entrevoir les manières de s'en échapper.
La description de ce que peut être alors la tendresse passe, en geste de peintre qu'était Genet.
La description de ce que peut être alors la tendresse passe, en geste de peintre qu'était Genet.
Il Bronzino Portrait d'un jeune homme - 1550-1555 |
" […]
Quand
pourrai-je enfin bondir au cœur
de l'image, être moi-même la lumière qui la porte jusqu'à vos yeux ? Quand serai-je au cœur
de la poésie ?
Je
risque de me perdre en confondant la sainteté avec la
solitude. Mais par cette phrase, ne risqué-je pas de redonner à la sainteté le sens
chrétien que je veux détacher d'elle ?
Cette
recherche de la transparence est peut-être vaine. Atteinte elle serait le repos. Cessant d'être « je », cessant d'être « vous », le sourire subsistant c'est un sourire égal posé sur les
choses.
Le
jour même de
mon arrivée à la Santé
— pour l'un des nombreux séjours que j'y
fis
— je comparus devant le directeur : j'avais
bavardé au guichet d'un ami reconnu au passage. Je fus puni de
quinze jours de mitard, où l'on
me conduisit tout de
suite. Trois jours après que j'étais au cachot, un auxiliaire me fit passer des mégots. C'étaient les détenus de ma cellule où, sans y avoir encore mis les
pieds, j'étais affecté, qui me les envoyaient. En sortant du cachot je les remerciai. Guy me dit :
— On a vu qu'il y
avait un nouveau, c'était marqué sur la porte :
Genet. Genet on savait pas qui
c'est. On te voyait pas arriver. On a compris que t'étais au mitard et on t'a fait passer les clops.
Parce
que mon nom, sur les
registres, m'établissait dans cette cellule, déjà ses occupants se savaient solidaires d'une peine inconnue, encourue pour un
délit auquel ils n'avaient aucune part. Guy était l'âme de la cellule. Il en était cet adolescent, blanc et bouclé, beurré, la conscience inflexible, la rigueur.
S'adressait-il à moi, chaque fois j'éprouvais
le sens de cette expression étrange : « Dans les reins une décharge de parabellum ».
Il fut arrêté par la police. Devant moi s'échangea ce dialogue :
— C'est toi qui as fait le coup de la rue de Flandre.
— Non, c'est pas moi.
— C'est toi. La concierge te reconnaît.
— C'est un type qui a ma gueule.
— Elle dit qu'il s'appelle Guy.
— C'est un type qui a ma gueule et mon nom.
— Elle reconnaît tes fringues.
— Il a ma gueule, mon nom et mes fringues.
— C'est les mêmes cheveux.
— Il a ma gueule, mon nom, mes fringues et mes
cheveux.
— On a relevé tes empreintes.
— Il a ma gueule, mon nom, mes fringues, mes cheveux
et mes empreintes.
— Ça peut aller loin.
— Jusqu'au bout.
— C'est toi qui as fait le coup.
— Non, c'est pas moi.
C'est
de lui que je reçus la lettre où se trouve ce passage. (Je venais d'être encore
enfermé à la prison de la Santé... ) : « Mon petit Jeannot, je suis trop fauché
pour t'envoyer un colis. Je n'ai plus le rond, mais je tiens à te dire ceci qui
va te faire plaisir je l'espère, c'est que, pour la première fois, j'ai voulu me
branler en pensant à toi et j'ai joui. Tu peux au moins être sûr qu'au dehors il
y a un copain qui pense à toi.
[…] "
Le jeunot ne se génait pas pour décrire tout le bien que lui inspirait le 'Genet" tant il est vrai que comme chantait Georges " Auprès de mon arbre -(buste) je vivais heureux, j'aurais jamais du le quitter des yeux"
RépondreSupprimer"Cessant d'être "je", cessant d'être "vous", le sourire..."
RépondreSupprimerSpirituellement très inspirant, un chemin de vie qui efface...tous les chemins.
Marie
Est-ce comme comme le suggérait Sartre, un narcissisme absolu qui se dissoudrait dans l'écriture de la transparence à "tout" révéler ? Il n'y aurait alors plus rien à écrire et peut-être enfin une sérénité retrouvée.
RépondreSupprimerSeuls les poètes et les enfants savent, c'est probablement pour cela qu'ils nous touchent et nous émeuvent tant.
RépondreSupprimerMarie