Papa est
mort. Je crois que ça fait déjà de longues années. En fait, personne
n’était vraiment sûr qu’il fût vraiment vivant, et ils m’ont dit que la
dernière fois qu’ils l’ont vu ainsi, il courait les bois et les landes.
Mais depuis il ne bouge plus. Son cadavre repose sur une
table longue, à la cave, coincée par une pile de moellons pour la stabiliser.
S’il m’arrive d’y descendre, pour essayer de retrouver un outil oublié, je
passe en vain les recoins qui pourraient m’apporter une quelconque indication.
Je n’en retiens rien, et remonte à chaque fois bredouille.
Lui est là, immobile. Au fond, sur une vieille planche,
restent quelques bouteilles de bière, vides, ainsi que des étiquettes,
séparément. Et des bocaux de choucroute, pleins. C’est sa collection. Il n’y
touche jamais. Il est mort. J’ai pensé un temps que son cadavre disparaîtrait,
qu’il retournerait à la poussière. Les rats sont partis. Ils n’ont pas voulu de
sa compagnie. Il faudrait le faire s'en aller, laisser les lieux dans un état de
propreté qu’ils n’ont pas connu depuis longtemps. Je ne sais quoi faire de ce
cadavre. Le dépecer, mettre les morceaux dans une valise, les apporter à Paris
que je traverserais à pied, ouvrant la valise à chaque pont pour en jeter un
morceau dans la Seine ? Appeler une entreprise de déménagement pour
installer le cadavre en un lieu où il ne gênerait personne ? Tout cela en
vaut-il la peine ?
J’ai mieux à faire. Je dois moi-même aller chercher les
meilleures parts de moi que l’on m’a arrachées quand je marchais sur les
sentiers d’Orient, où, enivré par les senteurs arbustives, j’avais livré mon
âme aux passereaux du chemin.
Ron Mueck Dead Dad - 1997 |
En attendant, je vais laisser le cadavre où il se trouve. Je
ne descendrai plus à la cave. Le cadavre restera. Je ne fermerai pas la porte.
Il faudra qu’un jour quelqu’un rende au lieu son état originel, propre à y
déposer des objets utiles, des victuailles, du vin de garde, quelques boulets
de charbon pour temporiser un froid toujours possible.
Je n’y serai plus. Je serai loin de son cadavre.
Dad is dead.
I think he’s been dead for a long time. In fact, nobody was really sure he was
really alive, and they said to me that the last time they saw him so, he was
running through woods and moors.
Since that
time he hasn’t been moving anymore. His corpse is laying upon a long table, at the
cellar, wedged within a rubble wall to keep it steady. When it comes to me to
go down to the cellar in order to find a forgotten tool, I vainly pass the
places and edges which could bring me any instruction. I don’t take anything
back and go upstairs empty-handed.
Ron Mueck Dead Dad - 1997 |
He is
there, motionless. At the end of the cellar, on an old board, some old empty beer
bottles are still standing, and, separately, with some labels. And a lot of
sauerkraut jars. Full. This is his collection. He doesn’t take one of them
anyway. He is dead. I thought one moment that his corpse would disappear, could
turn to dust again. The rats are gone. They didn't want to stay with him. It would
be necessary to make him go, to leave the premises in a clean state just like
they haven’t been for a long time. I don’t know what to do with this corpse.
Cut it up, put the pieces in a suitcase and bring them to Paris
that I would cross walk, opening the suitcase at each bridge to throw each
piece into the Seine? Call a moving company to
set the corpse on a place where it couldn’t disturb anyone? All of this is it
worth the
trouble?
I have better things to do. I must go by myself to long for the best
parts of me they ripped me away as I was walking on the paths of Eastern and
where, made drunk with shrub scents, I had given my soul to the robins and
nightingales of the way.
Waiting,
I’ll let the corpse just where it is. I shall not go down to the cellar again.
The corpse will stay there. I shall not lock the door. One must some day make
clean the premises, just like it was in the beginning, suitable to deposit
useful items, food, vintage wine, coal balls to mitigate always possible cold.
I
shall not be there anymore. I’ll be far away from his corpse.
© Celeos
Ce texte est troublant, Céléos.
RépondreSupprimerEt, je ne sais pourquoi, poétique.
Il semble nous entraîner au fond de nos caves noires...où nous y trouverons, cependant, une lumière.
Quant aux photos, elles nous invitent, plus que simplement, à apprécier le Beau.
Marie
Je vous rassure, Marie, il n'est pas totalement autobiographique.
RépondreSupprimerOuf! me voilà rassurée.
RépondreSupprimerMarie
(...je m'inquiète d'un rien...)
Quoique, en y repensant,il faudra que j'aille vérifier à la cave...
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