Existe-t-il en effet une sorte de métalangage, une manière d’être qui définirait le fait d’« en être » (on repense à la chanson homophobe d’un Fernandel, qui sous des dehors de comique qui le rendait sympathique, était très réactionnaire, voire légèrement collaborationniste, et assurément très homophobe. Il avait appris ça sans doute à l’Alcazar de Marseille qui, comme tout music-hall, faisait ses choux gras de la moquerie, et peut-être au-delà, sur les pédés). Nombre de thèses de sociologie ont vu le jour sur ce thème, à savoir principalement la sociologie des homosexuels : qui sont-ils, que font-ils, où vont-ils ? Quelles parts de marché représentent-ils ? Où les trouve-t-on, en dehors des ghettos/quartiers gays où s’expriment les affichages les plus évidents de leur « culture » ?
On part du principe qu’être homosexuel consiste à s’affranchir d’une norme comportementale considérée longtemps comme naturelle qui exprimerait une « virilité » et déterminerait un penchant pour le sexe féminin. Quoi de plus naturel en somme ? Avoir, de manière inversée, un penchant pour les garçons allait ainsi à contresens de la « nature ». Et ainsi, tout geste, tout élément qui pourrait appartenir à l’autre sexe serait une rupture de classification, un désordre du monde. Aux hommes les attitudes nettes, franches, affirmées, la voix portant haut, le pas décidé ; aux femmes la douceur, la délicatesse, le sourire avenant, les gestes précieux, une certaine élocution de la voix faisant traîner les syllabes, le goût pour la musique, l’opéra, la cuisine, les chiffons, bref, d’un côté la mécanique, y compris celles que l’on roule, de l’autre chiffons et bonbons.
Même punition pour les couleurs, le rose étant banni du choix des hommes virils. La chanson de Fernandel qui suit est édifiante : 1968 encore. Qu’il s’en est passé des choses cette année là ! Mais si le public rit, c’est que peut-être les choses pour l’homosexualité sont en train de changer, très, très, très lentement. On ne condamne plus, on sourit, on se moque. Le refrain « Ta, ta, ta, tala tata, prout, prout ! » fait référence, de manière très directe, au terme « tata, tante » (tata, c'est le tonton qui n'en n'a pas, bien sûr l'homosexuel étant pensé comme « passif », décliné en « tarlouse », « fiotte », « taffiotte », etc., le terme « pédé » n’étant qu’insuffisamment connoté. « Prout, prout », fait référence au pet, donc à l’anus, donc à la sodomie, fantasme absolu des hétérosexuels quand ils évoquent les homosexuels. Ainsi, dire en chantant « tata, prout-prout » fait hurler de rire une salle de la classe populaire en 1968, celle qui peine à effectuer ses quarante heures à l’atelier et voit d’un très mauvais œil des jeunes (car « ils », de ceux « qui en sont » sont plutôt jeunes forcément) qui ne sont pas en mesure de se salir à la graisse d’une machine, mais « sont virtuoses de la guitare », savent « coudre un bouton », etc.
Force des clichés, évidemment. Faute de statistiques, on n’a jamais su quelle proportion d’homosexuels se cachait dans les ateliers des usines. Si une meilleure visibilité était tolérée dans les salons, c’est que ces mêmes salons permettaient aux homosexuels de se fondre dans une fréquentation féminine, évitant ainsi de polluer la masse virile masculine parmi laquelle l’homosexualité révélée était sanctionnée immédiatement par la plus grande violence.
On notera chez Fernandel l'usage du « poignet cassé », signe, s'il en fut, qui montrait qu'on « en était ».
L’autre aspect soulevé par la question de Silvano est la question du « radar ». Le terme n’est pas anodin : c’est un outil de guerre. S’il y a radar c’est pour pouvoir reconnaître celui qui a la même « particularité » que soi, la même « orientation » dirait-on aujourd’hui, la même « déviance » diraient les praticiens de la normalité. S’il y a radar, c’est donc pour se reconnaître « entre soi », et principalement, pour se rassurer. Toute chose étant égale par ailleurs, un sketch juif évoque le même comportement, essayant de deviner si quelqu’un dans le train est effectivement juif, les apparences les plus patentes étant évitées. Ce « radar » gay pourrait ainsi être d’abord une espèce de défense réflexive, sachant qu’être gay, comme être juif dans un milieu « normal » met en danger ; d’où le sentiment fictif d’être en sécurité dans un milieu qui revendique ouvertement son homosexualité, ce que les homosexuels appellent le « milieu ». Essayer de repérer les signes du métalangage homosexuel chez l’autre permet ainsi de repérer un allié éventuel.
C’est un peu ce que nous faisons également sur Internet, sous couvert de l’anonymat le plus souvent. Rompre la solitude terrible du sentiment de la différence. Cela étant, ces signes sont pourtant terriblement parlants : empruntant à l’autre sexe (car il n’y en a que deux, et entre les deux une ligne d’indétermination qui nous permet de passer de l’un à l’autre ; être masculin, pour un homme évolué, consiste également à reconnaître en soi sa part de féminité, et inversement pour les femmes. Toute autre séparation aussi nette ne reviendrait qu’à opérer la répartition définitive des sexes des sociétés traditionnelles, dont excision et circoncision représentent la part la plus évidente) un geste, une phrase, une manière de regarder, ces éléments sont passés dans un registre connoté où il nous est loisible de repérer les signifiants de ce qui, dans un sexe, appartient à l’autre, sans y toucher.
Ravi de vous voir rebondir. J'ai apporté une réponse au commentaire que vous avez laissé au bas de mon billet. Mon propos était ludique : merci de lui avoir donné cette dimension.
RépondreSupprimerJ'avais bien entendu, et c'est bien ainsi, l'aspect ludique de votre billet. J'avais envie, très subjectivement, d'un peu de réflexivité, qui n'est pas toujours facile à pratiquer. Mais vous savez que je ne rejette pas la part de l'humour, loin de là !
RépondreSupprimerImpecable!
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