L'auberge des orphelins

mardi 20 janvier 2015

Un souvenir d'enfance

     Ces jours-ci je pense à mes amis musulmans, pris en tenaille par cette horrible histoire. 

      Passant dans la rue j'entends une dame qui parle depuis sa fenêtre avec une autre dame en contrebas : "On est tous les mêmes. On est tous les mêmes ! C'est le Coran qui le dit !"
      Marchant, je n'entends pas la suite ; je me souviens de mon enfance. Mes premiers amis habitaient dans la cour, en bas. Sur les façades, les escargots laissaient les bandes argentées de leur passage. Contre le mur, les adultes accrochaient leurs vélos par la roue avant, et nous nous amusions à mettre en mouvement la roue arrière, émerveillés par le cliquetis que faisait le moyeu en tournant.
     Mes amis s'appelaient Abdelkrim et Kamel. Je les ai perdus de vue avant que je sois en capacité de m'interroger sur la beauté de leurs fesses ou eux des miennes.

     Un jour, arrivant dans la cour, je m'extasiai sur le jeu auquel ils étaient occupés : ils faisaient sauter, depuis la paume de leur main, de petits objets argentés. L'un de ces objets était de couleur rouge. 

      - Qu'est-ce c'est ?, demandai-je, intrigué.
      - Tu ne sais pas ce que c'est ? Ce sont des osselets ! Tu ne connais pas ça ? 

      Eh, non ! Je ne connaissais pas ce jeu. Pour le coup, c'était à leur tour d'être étonnés par ma découverte.

     Kamel entra dans la maison. Il parla à sa maman, puis partit en courant. Il revint quelques minutes plus tard, arrivant de chez le buraliste et me donna un petit sachet en plastique, contenant des osselets en aluminium dont l'un était rouge écarlate.

     - C'est pour toi ! me dit-il, tu apprendras à jouer.
     Je ne sais pas si j'étais plus étonné par les osselets ou par la gentillesse qui s'exprimait là.

     Madame B. vous étiez la beauté du monde. Parfois je vous entendais appeler Kamel qui aimait vadrouiller dans la rue d'à côté : "Kamel, Kamel ! Arrouah, arrouah !"

     Les années passant, nous nous sommes perdus de vue. J'ai vainement essayé d'apprendre, souvent seul, à jouer aux osselets. Il fallait les lancer depuis la paume, et les rattraper sur le dessus de la main. J'y étais très maladroit, et les osselets, en retombant, frappaient douloureusement les articulations des phalanges. J'y ai vite renoncé.

     Quand je repense à vous, Abdelkrim et Kamel, je repense toujours aux osselets. Je ne sais ce que vous êtes devenus, mais votre maman est pour moi toujours dans cette beauté du monde où je l'entends t'appeler, Kamel !

REUTERS/Louafi Larbi

2 commentaires:

  1. Pour moi, c'est l'inverse : à Rabat, l'un d'eux m'a volé mon pistolet à bouchon. Mais je ne lui en veux plus. La "révélation" me vint, un peu plus tard, d'un beau kabyle. Je ne serai jamais raciste.

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  2. Je n'ai jamais eu le moindre doute à ce sujet, Silvano. Il vous a rendu service : les bouchons s'adaptent mieux aux fiasques si on veut faire durer le chianti !

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !