L'auberge des orphelins

samedi 15 novembre 2014

Une femme-fleur, Hélène Martin

Je déplore souvent de ne pas trouver de chanson d'amour chantée par un garçon à destination d'un autre garçon. René Crevel reprochait au texte de Proust de parler d'Albertine alors qu'il était notoire que Proust parlait d'Albert. Il est possible que les temps qui viennent puissent corriger cet excès de pudibonderie, et qu'enfin dans des médias de grande écoute l'amour d'un garçon pour un autre garçon soit enfin audible.
De manière paradoxale c'est une jeune femme, Hélène Martin, qui rend possible la chose, et c'est sans doute le Condamné à mort de Jean Genet qui n'était pas destiné à devenir chanson qui restera le texte de référence en la matière. Elle met le texte en musique en 1962-1963.


 Mais c'est malgré tout un truquage : parce que le texte va au-delà de l'intention d'un seul texte de chanson, et à travers l'hommage de Jean Genet rendu à Maurice Pilorge et  le rejet de la peine de mort sublimée en geste héroïque, la reconnaissance de ce texte ne permet pas la banalisation des amours masculines, comme si la singularité de Jean Genet, et sa volonté de demeurer toute sa vie dans un monde de marginalité ne laissait pas de place à l'acceptation simple de la différence des normes amoureuses.
Je parlerai prochainement de Nicolas Bacchus, peut-être une rare exception à cette règle. Je n'ai aucun souvenir d'avoir vu mentionner son nom sur un média, fût-il une radio communautaire. Il y a encore du chemin à parcourir, nous le savons.

Il fallut sans doute attendre les affrontements avec l'extrême droite du groupe Occident venu perturber la pièce Les paravents au Théâtre de l'Odéon, pour que le nom de Jean Genet devînt assez communément détesté par la presse traditionnelle, alors que lui-même n'était pas connu du grand public.




Quant au texte du Condamné à mort, publié d'abord aux éditions l'Arbalète, c'est en 1964 qu'Hélène Martin l'interprète pour la première fois en public. Son travail fut ensuite sans cesse mis en valeur, et on ne compte plus les interprétations jusqu'à celle, relativement récente, d’Étienne Daho, et de Jeanne Moreau.






L'anecdote veut qu'elle n'ait jamais rencontré Jean Genet, qui se faisait souvent fuyant, et que comme Hugo, il ne souhaitait pas d'abord que l'on mît en musique le texte qui était cette lumière pour la guillotine de Maurice Pilorge.


Maurice Pilorge, assassin de vingt ans
Par des amis commun, Hélène Martin fait passer en 1963 à Jean Genet une bande magnétique. Genet lui répond :


 " Vous avez une voix magnifique. Chantez Le condamné à mort 
quand vous voudrez et où vous voudrez. Je l'ai entendu. Grâce à vous il était rayonnant. 
Amicalement. 
Jean Genet."

Le site  d'Hélène Martin est ici, où elle rend hommage à Jean Genet, et aux poètes : clic

6 commentaires:

  1. Bonjour
    Si cela vous intéresse :
    http://bibliotheque-gay.blogspot.fr/2010/07/chants-secrets-jean-genet.html
    J'ai eu récemment entre les mains un exemplaire du premier tirage du poème, à l'adresse de Fresnes et la date Septembre 1942.
    http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2014/bibliotheque-r-bl-pf1453/lot.80.html
    Émouvant (on oublie le prix).

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  2. Bonjour,
    Merci de vos indications ; la vente de ce premier tirage chez Sotheby's m'avait échappé... Vous avez eu bien de la chance. J'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler. Vous avez pu voir que Jean Genet s'est incrusté de manière indélébile dans mes pages !
    Bien à vous.

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  3. Je pense que j'aurai bientôt l'occasion de reparler de Genet. Je viens de lire "Pompes funèbres". En attendant, par le détour d'un message sur Tirésias de Jouhandeau, je viens de publier une photo de Genet avec Jean-Jacques Pauvert et Roland Saucier.

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  4. Merci, Bibliothèque Gay. Ce sera également l'occasion de revisiter un autre texte de Genet sur Véhèmes, Le funambule . Je m'y attelle.

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  5. J'ai beaucoup de mal à lire Genet. Jean.
    Ce n'est pas que que n'aime pas, c'est tout le contraire. J'y tombe littéralement, comme on le fait parfois dans les rêves. Et cette puissance que je n'ai ressentie dans aucune autre lecture me fait m'arrêter.
    Votre blog me donne envie de reprendre.
    Marie
    Belle journée, Céléos

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  6. Merci, Marie. Il ne faut pas craindre d'accepter le bouleversement qu'apporte cette lecture, qui permet de comprendre qui et ce que nous sommes.
    Belle journée également, Marie.

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Généralement, je préfère qu'on m'écrive au stylographe à plume et à l'encre bleue... L'ordinateur n'a pas intégré encore ce progrès-là !