En bon piéton de
Rome, de Milan, de Turin ou de quelque lieu que ce soit en Italie, on se
persuade que, de toute éternité, l'Italie reste la même, que la piazza della
Signoria ne changera jamais, non plus que la piazza Navona, ni les escaliers de
la piazza di Spagna où les jeunes gens de toutes nationalités donnent à voir
leur satisfaction de s'approprier ce lieu. Je ne sais quel antique objet les
smartphones ont remplacé entre leurs mains témoignant de leurs
photographies sans grande imagination qu'ils ont été présents à cet endroit
précis. Leur présence est un aboutissement d'un moment dans lequel déjà Rome
n'est plus qu'un décor comme un autre qui cumule seulement le passage de
précédentes notoriétés. Mais peu importe. On ne s'attardera pas davantage sur
les trajets qui vont de la Barcaccia à la Fontaine de Trevi, de la via Margutta
à la piazza del Popolo.
Une fois précédente où j'avais été à Rome, la piazza
del Popolo accueillait, le lendemain, Matteo Salvini, l'épouvantable leader de
la Lega, Ligue du Nord s’entend, dont le discours xénophobe en fait le pendant
italien du Front national. Il avait succédé à Umberto Bossi, définitivement
rattrapé par des malversations et un AVC. Mais la bête immonde est
féconde : si le Movimento Sociale
Italiano — MSI — a disparu en 1995, il a engendré la Ligue du Nord et le Movimento Cinque Stelle — M5S — de l’humoriste Beppe Grillo. Contre
toute attente, l’homme du Nord et celui du Sud, a priori ennemis, se sont
entendus pour une coalition improbable, et, de fait, dans ce système
institutionnel tarabiscoté dont les Italiens se sont dotés — mais qui n’est pas
pire que le nôtre, quasiment monopartite si pas encore bonapartiste, se retrouvent comme larrons en foire.
Ainsi sont projetés à la tête de l’Italie les Pieds nickelés : Matteo Salvini, le
plus hargneux, Luigi Di Maio, napolitain dont le père était un responsable du
MSI, et un troisième larron, Giuseppe Conte, choisi par les précédents pour
former le gouvernement et devenir Président du Conseil. Giuseppe Conte
ressemble en bien des points à notre zozo de l’Elysée, mais certainement en moins
brillant.
Beretti del Sindacato Generale Italiano del Lavoro |
Les oripeaux servis
au tourisme de masse n’occultent déjà plus, à Rome, la dégradation de la ville
qui n’a plus les moyens d’entretenir ses infrastructures. On apprenait
récemment que plusieurs autobus de la Société Atac, qui gère les transports
romains, avaient pris feu non à cause d’un attentat, mais de la vétusté des
véhicules ; la piazza Venezia, incontournable dans les trajets romains,
est défoncée au point que les scooters des industries japonaises en ont fait
leur terrain d’essai ; la mairie de Rome met, paraît-il, à disposition des
Romains un formulaire de demande de remboursement pour les frais occasionnés
par les voitures endommagées par les nids-de-poule. Ceux qui ont expérimenté
les rues romaines savent qu’on s’y tord les pieds sur les pavés de basalte qu’aucun
service municipal n’entretient plus. Rome est sans doute, avec une maire qui
appartient au M5S, après avoir été gérée par Ignazio Marino, du Parti démocrate,
laissant la ville dans un état déjà peu enviable la préfiguration de ce que sera l'Italie dans son ensemble dans quelques années…
L’Italie, dans
ses institutions politiques, est peut-être déjà à l’image de ce délabrement de Rome,
qui ne laisse plus que la perspective de politiciens définitivement corrompus
ou des nervis néofascistes. En matière de fascisme, l’Italie était déjà en
avance au XXe siècle. Quelques
indices, pour la France, donnent à penser qu’on ne va pas tarder à rattraper l’Italie.
Je conseille la lecture, pour retrouver un peu d'humour, d'un très bon livre de Achille Corea, Roma senza vie di mezzo, qui vaut largement les Guide du routard souvent mal renseignés, paru en 2010 aux Editions Pendragon à Bologne.